Le retail textile français vit-il une renaissance grâce aux relocalisations et au digital ?
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Quelles industries, à l'exception peut-être de celles qui émergent, apportent uniquement de bonnes nouvelles ? Autrefois prospère, le secteur du retail dans l'industrie textile et de l'habillement en France est aujourd'hui confronté à une multitude de défis : la concurrence des pays à bas coût, l'essor du commerce en ligne et les changements dans les habitudes de consommation. En outre, loin d'être considérées comme bénéfiques pour revitaliser l'industrie, l'Europe et ses régulations sont largement fustigés dans les médias. Pourtant, il se pourrait bien qu'elles permettent au retail textile français de retrouver la position qu'il avait précédemment cédée à d'autres concurrents. FashionUnited fait le point.
L’industrie textile en France : entre déclin et surconsommation
Que disent les chiffres ? Chaque année, plus de 100 milliards de vêtements sont vendus dans le monde, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). En France, le marché du vêtement a connu une croissance notable au cours de la dernière décennie, avec une augmentation d'un milliard de vêtements vendus annuellement, atteignant 3,3 milliards de pièces, soit plus de 48 articles par habitant, selon l'éco-organisme Refashion. Cependant, cette hausse des ventes n'a pas conduit à une augmentation des embauches dans l'industrie textile et de l'habillement en France. Au contraire, le nombre d'employés dans ce secteur continue de diminuer. En 2021, environ 132 000 salariés travaillaient dans l'industrie textile française, un chiffre en constante baisse principalement en raison de la délocalisation de la production vers des pays à moindre coût de main-d'œuvre, indique Le Monde. Un fait qui s’observe notamment à travers la fermeture massive de magasins.
En 2022, près de 1 500 enseignes ont cessé leurs activités. En 2023, l'Alliance du Commerce a recensé la disparition de plus de 4 000 emplois dans le commerce de l'habillement et de la chaussure, portant le total à 37 000 suppressions d'emplois en dix ans. Cette hémorragie s'est accélérée au cours des deux dernières années : en 2023, 1,130 distributeurs de mode se sont placés sous la protection d’une procédure collective, soit une augmentation de 51,3 % par rapport à 2022, selon les données du cabinet Altares.
Le marché de l'emploi dans le retail textile français : état des lieux
Regardons plus en détail ce qu’il se passe sur le marché de l’emploi. L’industrie textile en France, marquée par l’ère de la fast fashion et du e-commerce, connaît des bouleversements majeurs en termes de profils de candidats et de conditions de travail, entraînant un turnover important. Depuis le début de l’année, les recrutements en retail mode et luxe ont augmenté, surtout pour les postes de front office, révèle les résultats de l’Étude de Rémunérations 2024 de Hays France.
Le turnover est particulièrement élevé pour les postes de Conseillers de vente et de Department managers. En back office, les postes de Stockistes et Caissiers sont également très demandés. Cependant, les postes de directeurs de boutique, moins sujets au turnover, voient une augmentation des demandes pour des postes intermédiaires tels que Responsable adjoint ou Team leader. Les magasins offrant les rémunérations les plus attractives constatent un turnover inférieur à la moyenne. En retail, le turnover atteint 60 %, bien au-dessus de la moyenne de 15 % tous secteurs confondus, selon la Direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares). Les collaborateurs, bien que représentant un coût significatif pour l’entreprise, n’en demeurent pas moins essentiels à la qualité de la relation client et à la fidélisation, faisant d'un turnover réduit un avantage concurrentiel crucial.
La production et la vente de vêtements en France
Malgré une demande croissante pour les vêtements, la pression des coûts et la concurrence internationale ont durement touché le secteur, entraînant une perte significative d'emplois et la fermeture de nombreux points de vente. La majorité des textiles vendus en France sont désormais importés, principalement d’Asie, qui a exporté plus de 11 milliards d’euros de vêtements vers la France en 2020, peut-on lire dans Le Monde. En plus d’être fabriqués à l’étranger, les vêtements vendus en France proviennent souvent d’entreprises étrangères. Les enseignes françaises, telles que Camaïeu, Kookaï, Kaporal, et Naf Naf, ont souffert de la concurrence de H&M, Zara, et récemment de l’ultra fast fashion de Shein.
Kiabi fait exception en restant compétitive grâce à ses prix bas, se classant parmi les trois principales enseignes d'habillement en France avec Zara et H&M. En 2021, Kiabi était la marque de vêtements la plus populaire en France, indique Le Monde, avec plus de 4,5 millions de clientes, et se classait troisième chez les hommes, derrière Célio et Jules. Le marché français a également perdu du terrain dans la vente en ligne. Selon l’étude annuelle «Quelles sont les enseignes préférées des Français en 2024 » réalisée par EY-Parthénon, la plateforme de seconde main lituanienne Vinted est désormais la préférée des Français pour la mode adulte, suivie par l'allemande Zalando.
Chaînes d'approvisionnement plus résilientes : moteur de la relocalisation industrielle
Toutefois, les entreprises relocalisent leur production en France et cela pourrait bien changer la donne. Pourquoi ce retour sur le territoire ? Notamment parce que les normes et législations européennes les incitent à le faire. Le mouvement, enclenché en Europe et aux États-Unis depuis la crise sanitaire du Covid, va s'accélérer, selon une étude de Capgemini.
Les entreprises françaises projettent des investissements de réindustrialisation s'élevant à 340 milliards de dollars entre 2023 et 2026. Comme l'indique Les Echos, ce n'est pas une simple réaction aux difficultés d'approvisionnement pendant la pandémie. Le mouvement de relocalisation industrielle est une « véritable lame de fond » dans tous les pays et secteurs étudiés. La principale raison invoquée lors de cette enquête menée auprès de 1 300 hauts responsables de groupes industriels générant plus d'un milliard de dollars de chiffre d'affaires annuel pour cette démondialisation est la recherche d'une plus grande résilience des chaînes d'approvisionnement. Après les pénuries causées par la crise sanitaire, 70 % des industriels ont cité la maîtrise et la sécurité de leur supply chain comme priorité. Les tensions géopolitiques, mentionnées par 63 % des répondants, viennent ensuite. La durabilité et la réduction des émissions de CO2, y compris les émissions indirectes, sont des motivations pour 55 % des industriels. Enfin, 49 % des dirigeants sont influencés par les incitations financières et les politiques publiques de réindustrialisation dans leurs pays.
Mais alors, que va-t-il se passer exactement ?
Ce qu’indique le Baromètre Smart Retail 2023 de Samsung Electronics France, réalisé avec Infopro Études, c’est que le magasin physique reste le canal de vente préféré des Français. Une tendance qui sera à priori alimentée par un meilleur sourcing, plus proche, relocalisé en France ou en Europe. Malgré l’essor de la vente en ligne, les boutiques gardent un avantage concurrentiel non négligeable : elles sont un point de contact direct avec les marques et elles permettent de découvrir les produits de façon concrète. Les consommateurs apprécient le choix d’un achat en ligne ou en boutique, mais ils ont une affinité avec les retailers offrant une expérience client.
L’étude de Samsung Electronics France, menée en février 2023 auprès de 268 décideurs de la distribution et de 1 000 consommateurs représentatifs, révèle que 75 % des parcours d’achat sont finalisés en magasin. Ce chiffre, stable dans le temps (-2 %) même pendant la période Covid, contredit l’idée reçue selon laquelle les Français préfèrent faire du repérage en magasin avant d’acheter en ligne, une pratique marginale (moins de 4 % des cas). Bien que l'étude porte sur tous les secteurs du retail, les données s'appliquent également au secteur de la mode et de l'habillement, offrant un aperçu précieux des comportements d'achat et des stratégies des décideurs.
Le digital en magasin : atout pour l'expérience client mais encore loin d'être mature
Mais qu'est-ce qui pousse les consommateurs à entrer et à rester dans un magasin en 2024 ? Selon le média Points de Vente, ce serait notamment la présence de dispositifs numériques en magasin. Et les chiffres sont plutôt convaincants : les dispositifs numériques attirent plus d’un tiers des consommateurs (36 %) et 53 % d'entre eux les trouvent pertinents pour gagner du temps. Cependant, comme le souligne Jérémy Taghon, directeur de l’activité Consumer Electronics B2B chez Samsung Electronics France, le digital doit enrichir l'expérience client sans remplacer l'interaction humaine.
En effet, plus de la moitié des Français (56 %) hésitent à fréquenter un magasin autonome, et seulement 34 % se disent prêts à tenter l'expérience. Les professionnels constatent bel et bien des bénéfices significatifs du digital sur l'expérience client, notamment une amélioration de la fidélisation (65 %, +21 % depuis 2017), de l’image de marque (64 %, +20 % depuis 2017), et de l'efficacité des promotions (56 %, +22 % depuis 2017). Malgré une conviction à 89 % quant au rôle crucial du digital pour leur développement, seuls 27 % des distributeurs estiment leur maturité digitale satisfaisante, en baisse de 9 points par rapport à 2021. Le coût financier demeure le principal obstacle à une digitalisation rapide (55 % des distributeurs), mais la demande pour un parcours client numérisé se renforce avec l'évolution des attentes des consommateurs.
Ainsi, le secteur du retail textile en France, autrefois prospère mais désormais fragilisé par la concurrence internationale et l'essor du commerce en ligne, pourrait connaître une renaissance grâce aux efforts de relocalisation et à l'intégration du digital. Les entreprises françaises investissent massivement pour renforcer la résilience de leurs chaînes d'approvisionnement et répondre aux nouvelles attentes des consommateurs. Bien que la maturité digitale soit encore difficile à atteindre, notamment en raison des contraintes financières, les bénéfices observés laissent entrevoir un avenir où le retail physique et numérique cohabiteront pour offrir une expérience client enrichie. La demande croissante pour un parcours client numérisé offrant des perspectives prometteuses pour l'avenir du retail textile en France.