L'enchevêtrement de la lingerie et de la mode : Le Salon International de la Lingerie fête ses 60 ans
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Il est facile d'oublier l'ampleur des changements qui ont eu lieu dans l’industrie de la mode au cours des soixante dernières années. La lingerie, qui représente désormais une partie importante du vestiaire féminin, a naturellement connu ses propres révolutions. Cependant bien que mode et lingerie semblent intrinsèquement liées, elles ont longtemps entretenu une relation distante.
L’une des ambitions du Salon International de la Lingerie (SIL) à Paris est de refléter le dynamisme du marché de la lingerie. Au cours de ses 60 ans d’existence, le SIL a évolué avec son époque, comme en témoigne sa dernière édition qui s’est tenue du 20 au 22 janvier au cours de laquelle de nouvelles catégories, des sélections élargies et une offre plus diversifiée ont reflété le monde actuel.
Le SIL reflète l’évolution de la lingerie ces soixante dernières années
La dernière édition du SIL est revenue sur certains moments marquants du salon depuis sa création et de la lingerie dans son ensemble. Pour y parvenir, les décennies passées ont été célébrées lors d'un défilé anniversaire, où des mannequins de renom présentaient un éventail de silhouettes.
Plus récemment, de nombreuses préoccupations sociales ont participé à redéfinir la signification des sous-vêtements. Le directeur du SIL, Matthieu Pinet, a rejoint le salon en 2017, année marquée par le mouvement #MeToo. Selon lui, cette époque a marqué un changement majeur dans le segment de la lingerie. « Pendant toutes ces années, la lingerie était principalement destinée au regard masculin », a déclaré Pinet lors une conversation avec FashionUnited. « Désormais, les femmes portent de la lingerie pour elles-mêmes. Même si toutes les marques n'aient pas pour autant adhéré à ces nouvelles valeurs, la plupart d’entre elles en ont pris connaissance. »
En 2023, WSN Developpement, qui supervise les salons de mode et d’accessoires Who's Next, Impact et Bijorhca, a pris le contrôle du Salon International de la Lingerie. Matthieu Pinet n’est pas inconnu au monde de la lingerie puisqu’il était auparavant chargé de la section Exposed du SIL, laquelle est entièrement dédiée aux marques qui envisagent la lingerie comme un accessoire de mode. Cependant, depuis qu’il assure la direction du salon, Matthieu Pinet présente non seulement le travail de jeunes marques, mais aussi celui de noms plus établis. Interrogé sur les nouveautés de l’édition de janvier 2024, Pinet a déclaré : « Selon moi, nous assistons au début d'une nouvelle histoire. Une histoire où la lingerie est synonyme de mode. »
Le bien-être au cœur de la demande des consommatrices
Naturellement, au cœur de ces transformations se trouvent les demandes des consommatrices en constante évolution. À ce titre, Pinet a veillé à ce que le SIL s'adapte constamment à la demande actuelle. Cela s'est notamment traduit par l'inclusion d'une section bien-être. « Le rôle d'un salon professionnel est d'anticiper les choses, et le bien-être est une opportunité d'ouvrir encore plus l'industrie de la lingerie », a commenté Pinet, avant d’ajouter : « Nous avons actuellement 12 marques, mais je peux facilement imaginer 40 exposants. C'est une opportunité pour nous de croître, mais aussi pour les magasins d'avoir une plus grande sélection de produits. Je ne dis pas que chaque produit bien-être sera dans chaque magasin demain, mais je peux garantir que dans cinq ans, vous trouverez ces produits partout. »
Parmi les marques présentées au sein de la catégorie bien-être du SIL, on retrouve notamment le groupe Gisele qui supervise plusieurs marques dont Überlube, spécialisées dans la réalisation de lubrifiants intimes et le fabricant britannique de jouets pour adultes Love Not War. Le SIL était une nouvelle aventure pour le groupe qui avait jusqu’alors présenté l’offre d’Überlube lors de salons professionnels médicaux. Les représentants ont noté qu’ils rencontraient une clientèle similaire dans des environnements différents.
Cheryl Sloane, responsable de la marque Überlube, a déclaré : « [Le bien-être] continue d'évoluer car l'industrie évolue. Historiquement, il s’agit d’une industrie où les femmes utilisaient des produits essentiellement développés par des hommes. De plus en plus de femmes sont désormais impliquées dans le développement, ce qui a naturellement changé les choses. Auparavant, les hommes achetaient les produits même si les femmes les utilisaient. Aujourd’hui, les femmes se sentent plus à l'aise pour acheter ce type d'articles grâce à la pédagogie développée autour de ces sujets. »
« Selon nous, le plaisir féminin correspond au bien-être féminin. »
Les entreprises de lingerie sont nombreuses à intégrer la question du bien-être dans leur offre, comme en témoigne la marque britannique Coco de Mer qui a lancé en 2021 sa propre collection Pleasure. Les produits de la ligne sont distribués chez des revendeurs tels que John Lewis, Goop et Sephora à mesure que la demande augmente. À ce sujet, Lucy Litwack, PDG et propriétaire de Coco de Mer, a déclaré : « Ces produits sont devenus tellement plus courants, alors qu'ils étaient tabous il y a quelques années. Vous ne les auriez jamais vus en vente dans les zones commerçantes principales. Selon nous, le plaisir féminin correspond au bien-être féminin, et tout le monde s'y met. La crise sanitaire a vraiment accéléré cette tendance car les gens plaçaient le bien-être au cœur de leurs préoccupations. »
Pour Litwack, l’un des changements les plus importants concerne la clientèle. « Nous avons toujours eu des clientes assez éveillées mais nous avons noté une différence considérable dans la lingerie, confie la dirigeante. Beaucoup plus de femmes achètent pour elles-mêmes. Même la lingerie de luxe, qui était autrefois offerte par les hommes en cadeau, est désormais achetée tout au long de l’année. Les femmes sont également beaucoup plus ouvertes à l'expérimentation et à l'expression de leurs désirs. »
Des consommatrices plus éduquées et sûres d’elles
Les exigences des consommatrices sûres d’elles sont de plus en plus prises en compte dans le fonctionnement du SIL, où de nouveaux marchés et des marques émergentes renouvellent la lingerie. Les culottes menstruelles gagnent ainsi en popularité, avec des jeunes marques dirigées par des femmes qui comprennent l'importance de se sentir à l'aise à tout moment du mois. Parmi ces marques figure notamment Lövane, une entreprise française fondée en 2021. Khelida Andjorin, responsable des communications au sein de la marque, explique que l’adoption de tels produits n'a fait que croître au cours de la dernière année.
« L'année dernière au SIL, nous parlions de culottes menstruelles et beaucoup de personnes étaient réticentes. Avec ce type de produits, il faut prendre le temps d'éduquer les gens. Certains détaillants que nous avions vus sont maintenant revenus et sont plus intéressés pour travailler avec nous », a déclaré Andjorin. La demande est telle qu'il y a maintenant de plus en plus de concurrence sur le marché, avec de grandes marques comme Chantelle qui se lance également sur ce marché, rendant plus difficile la visibilité pour les petits entrepreneurs. Cependant, Andjorin a noté que Lövane se démarque en repoussant les limites avec des lancements de produits plus sexy. L’entreprise s'étend également à de nouvelles catégories, comme les maillots de bain.
Cet attrait envers les produits fonctionnels pouvait être observé chez des exposants tels que Bye Bra, une entreprise néerlandaise habituée du salon, qui continue d'agrandir son stand afin de refléter sa présence croissante sur le marché international. La gamme de sous-vêtements adhésifs de Bye Bra a également connu une demande accrue depuis le covid, stimulée par sa production ininterrompue et saisonnière. « La demande a augmenté un peu avant le covid, mais maintenant elle explose. Beaucoup de détaillants reçoivent des demandes en magasin pour des soutiens-gorge adhésifs. Ils deviennent plus populaires, ce qui marque un grand changement dans la lingerie en général », a déclaré Arlette Wagenaar, responsable des achats et du développement de produits.
De l’autre côté du spectre se trouvent les marques plus axées sur la mode, comme Nette Rose du Cap, une marque sud-africaine née il y a six ans et dont la ligne de sous-vêtements aux notes florales a attiré l'attention d'un public varié au SIL. Bien que la marque soit toujours en train de se positionner pour répondre à une gamme plus diversifiée de morphologies, ses produits parlent particulièrement aux acheteurs européens et asiatiques. « Notre marché sud-africain est très diversifié, nous n'avons pas encore pu nous y implanter », a déclaré la designer et fondatrice Meg Miller. « Nous y parviendrons et cela s’annonce déjà comme une aventure excitante. Nous nous adressons davantage aux petites tailles de bonnets pour le moment, qui semblent être plus répandues en Asie et en Europe. Nous sommes déjà présents à Taïwan et à Hong Kong, par exemple. »
La lingerie attire des acteurs internationaux
Les pays d’Asie gagnent du terrain sur le secteur de la lingerie à mesure que le marché évolue et que la demande continue de croître. Bien que les acheteurs du Japon et de la Corée aient également commencé à se faire plus nombreux au SIL, le directeur du salon, Pinet, a déclaré que la Chine était l'un des marchés dont la présence n’a cessé de s’intensifier. « Ce qui est vraiment intéressant, c'est qu'il y a 10 ans, nous ne pouvions pas imaginer avoir des marques chinoises dans notre section Exposed, mais cela a changé », a noté Pinet. « J'ai été surpris par l'évolution du marché chinois. Auparavant, la production chinoise était teintée de connotations négatives. Il existe désormais un nouveau monde qui est si créatif et a tellement d’énergie. C’est un marché émergent avec ses propres spécificités, mais nous le suivons de très près.»
« Il y a un nouveau monde qui est si créatif et a tellement d'énergie.»
Her Senses, basée à Shanghai, propose de la lingerie produite localement. Elle se considère comme une marque de « Fashion Lingerie », ce qui explique sa place dans l'espace Exposed. La marque défend une offre tournée vers l’inclusion, ce qui lui a récemment permis de susciter un intérêt accru, conduisant ainsi à une expansion conséquente. Her Senses participe pour la deuxième fois au SIL et continue d'explorer le marché européen, où elle est plus susceptible de rencontrer des détaillants de lingerie et des concept stores intéressés par sa ligne par rapport à la Chine, axée principalement sur le e-commerce.
« Il n'y a presque pas de boutiques de lingerie en Chine, ce sont principalement des concept stores de mode. L'achat de lingerie se fait principalement en ligne. [Le commerce de détail] ne se développe pas très bien. [En Europe,] il y a un plus grand marché de boutiques de lingerie, donc nous voulons explorer ces opportunités », a déclaré Quina Huitao Zhou, overseas project manager, ajoutant qu'il existe également une différence dans la demande des consommateurs internationaux. « Une grande majorité de personnes en Chine recherchent des modèles simples et fonctionnels. Nos soutiens-gorge s’inscrivent davantage dans un style français : ils sont assez sexy, transparents et non rembourrés. Ils s’adressent, de ce fait, à un marché de niche. Nous avons toutefois une clientèle fidèle. Nous nous concentrons toujours sur le commerce électronique et explorons en même temps les opportunités hors ligne. Nous développons actuellement un site Web mondial qui sera lancé en février 2024. »
Quel futur pour le SIL et la lingerie ?
Du côté du salon, des changements, adaptations et évolutions sont en cours. Ces dernières années, le SIL a adopté un format plus pratique pour les acheteurs car il réunit sous un même espace tous les acteurs de l’industrie. « Le [SIL] revient à ce qu'il était. Avec le covid, nous avons manqué quelques années. Puis lorsque nous sommes revenus, le salon avait perdu son entrain. Ce salon recommence à être animé. Nous avons accueilli de nombreux pays lors de l’événement. Nous avons l'impression que l'industrie revient enfin. Les gens commencent de nouveau à avoir confiance dans le commerce de détail traditionnel. »
Ce sentiment persiste malgré une légère hésitation concernant la question du bien-être dans la lingerie, qui, comme le prêt-à-porter, souffre financièrement bien que pas autant, selon Pinet. Cependant, le directeur du salon a déclaré que de nouvelles catégories telles que les vêtements de sport et les maillots de bain participaient à dynamiser le secteur.
Le salon devra également faire face aux enjeux liés à la durabilité, à la lumière des prochaines réglementations de l'UE. Pinet a souligné : « Le prêt-à-porter évolue enfin et la lingerie suit un peu en retard. Nous aimerions qu'elle évolue plus rapidement, mais elle est sur la bonne voie et je suis confiant pour l'avenir. »
En ce qui concerne les perspectives du SIL, Pinet a déclaré que même si Paris restera le principal lieu du salon, il envisage également d'organiser des événements de plus grande envergure ailleurs, notamment aux États-Unis et en Chine, où le marché commence à décoller. Ayant déjà organisé des salons dans ces régions - Curve New York aux États-Unis et Interfilière Shanghai en Chine - Pinet connaît les besoins spécifiques de ces marchés. Aux États-Unis, par exemple, il espère contribuer au changement d'état d'esprit très axé sur les affaires vers un état d'esprit qui peut envisager une fusion entre mode et lingerie. Il conclut : « Ma stratégie n'est pas de développer de nombreux petits événements dans le monde entier. Je préfère en avoir moins mais d’envergure. »
Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.com. Il a été traduit et édité en français par Aéris Fontaine.