« L’Asie rêvée d’Yves Saint Laurent » : quand l’imaginaire et la réalité ne font qu’un
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« J’ai abordé tous les pays par le rêve», disait Yves Saint Laurent. L’Asie et les contrées lointaines ont exercé sur lui, et sur d’autres artistes européens, une immense fascination que l’on retrouve au fil de ses collections empreintes de coutumes locales, de folklores et d’exotismes.
Le Musée Yves Saint Laurent à Paris vient d’ouvrir les portes de sa première exposition temporaire depuis son inauguration en octobre 2017. « L’Asie rêvée d’Yves Saint Laurent », du 2 octobre 2018 au 27 janvier 2019, rassemble une cinquantaine de modèles haute couture inspirés de l’Inde, de la Chine et du Japon. Pour la première fois, ces pièces issues de la collection du musée sont présentées avec des objets d’art asiatiques prêtés par le musée national des arts asiatiques - Guimet et par des collectionneurs privés, afin d’offir un regard inédit sur le travail du couturier.
« Dans ses collections, Yves Saint Laurent livre une vision très personnelle de l’Asie fondée sur une connaissance approfondie de son histoire, de sa culture et de ses arts», explique Aurélie Samuel, Conservateur du patrimoine et commissaire de l’exposition Directrice des collections du Musée Yves Saint Laurent Paris.
À travers les costumes traditionnels indiens, chinois et japonais puisés dans des livres la majeure partie du temps, Yves Saint Laurent propose une vision à la fois littérale et imaginaire de l’Asie pour donner vie à des créations haute couture. « Dès ses premières collections, il réinterprète les somptueux manteaux des souverains de l’Inde. Ensuite, la Chine impériale lui inspire la collection de l’automne-hiver 1977, pour laquelle il donne une image théâtrale et transformée du pays. Cette même année, le créateur met en exergue ces influences asiatiques à travers une nouvelle fragrance. La « sulfureuse » Opium suscite un vent de scandale qui lui confère un succès mondial. Fasciné par le Japon, et en particulier par le théâtre Kabuki, il revisite plus tard le kimono », précise un communiqué du musée.
L’Inde traditionnelle revisitée depuis 1962
Dans l’oeuvre du couturier, l’Inde reste l’une des sources majeures d’inspiration. La connaissance qu’il a de ce pays s’appuie essentiellement sur les livres qu’il possède, parmi lesquels quelques ouvrages de référence. Dès la première collection du printemps-été 1962, il réinterprète les vêtements de la garde-robe impériale, dans une vision personnelle et féminisée du manteau traditionnel indien. Pour sa dernière collection en 2002, il fait défiler plusieurs robes drapées qui reprennent les fondamentaux du sari, tenue traditionnelle de l’Inde du Sud.
Soiries précieuses et bijoux ornent ses créations
Yves Saint Laurent trouve dans l’Inde du Nord un mélange d’élégance et de féérie et il décide de revisiter les somptueux manteaux des souverains de la région. Il va ainsi développer un goût pour les soieries précieuses brochées d’or, les broderies métalliques en relief et les costumes sophistiqués agrémentés de boutons-bijoux hérités des costumes princiers de la cour moghole, dynastie qui régna sur l’Inde du XVIème au XIXème siècle. Le couturier réinterprète aussi l’usage des bijoux de ces derniers en reprenant le boteh, un motif floral en forme de palme emblème du pouvoir royal, qu’il utilise de la même manière comme ornement de turbans (sarpech).
Le Maître réinterprête par la même occasion les saris hindouistes drapant les femmes indiennes qui rivalisent de beauté et les tisse dans la plus fine des mousselines, dont la subtile transparence suggère le corps sans le dévoiler.
Au sein de l’exposition, les créations d’Yves Saint Laurent sont présentées en dialogue avec de somptueuses tenues du XVIIIème et XIXème siècle ainsi qu’une statuette équestre en argent ou encore des portes de palais grandioses du Rajasthan dont les ornements sont proches de ceux dessinés par le couturier. Le lien esthétique s’applique aussi aux croquis originaux qui sont présentés en regard de miniatures indiennes.
La Chine telle qu’il l’avait imaginée...
Il suffisait d’un livre d’images pour que l’esprit du couturier se fonde dans un lieu ou un paysage. « Je n’éprouve aucun besoin de m’y rendre. J’en ai tellement rêvé… », confiait-il à l’époque.
À l’exception de l’exposition qui lui était consacrée à Pékin en 1985, Yves Saint Laurent ne voyagea pas en Chine. C’est donc principalement à travers sa vaste collection de livres, les films ou les objets d’art chinois qu’il possédait avec Pierre Bergé, qu’il se construit une Chine imaginaire que l’on retrouve principalement dans la collection automne-hiver 1977 mais déjà de manière plus diffuse à l’automne-hiver 1970.
La Chine suscite chez Yves Saint Laurent des vêtements amples, caractéristiques des habits chinois témoignant du statut social de ceux qui les portent. Si la forme évoque la veste traditionnelle portée par les femmes de l’ethnie Han (ethnie majoritaire de la Chine continentale), Yves Saint Laurent ne garde de ce vêtement que la coupe droite, le volume, ainsi que les manches larges, en s’appuyant sur une construction technique à occidental. Par ailleurs, les « chinoises » d’Yves Saint Laurent semblent se conformer à la tradition de l’Opéra de Pékin qui ne vise pas à restituer un vêtement authentique et historique mais à produire un effet esthétique, soulignant les mouvements des acteurs.
« Des fumées de mon cerveau déchiqueté ressurgissent toutes les dynasties, leur fureur, leur arrogance, leur noblesse, leur grandeur. Je parviens enfin à percer le secret de la Cité impériale d’où je libère, mes fantômes esthétiques, mes reines, mes divas, mes tourbillons de fête, mes nuits d’encre et de crêpe de Chine, mes laques de Coromandel, mes lacs artificiels, mes jardins suspendus »
« Dans ses créations d’inspiration chinoise, Yves Saint Laurent emploie de façon récurrente des motifs floraux qui renvoient explicitement à l’Extrême-Orient. La collection de l’automne-hiver 1970 semble évoquer par son décor floral une vision personnelle du répertoire iconographique des robes informelles bianfu (vêtements de loisir) caractérisées par des motifs libres et variés de fleurs aux coloris vifs. Les formes générales du vêtement font à la fois écho à l’Asie et au monde des steppes par l’utilisation de la tunique floue, de la blouse longue et des manches en T. Le col, par sa fermeture sur le côté, évoque les robes dragons de la dynastie mandchoue (1644 – 1912) ».
« Si j’ai choisi Opium comme nom pour ce parfum, c’est que j’ai espéré intensément qu’il pouvait, à travers toutes ses puissances incandescentes, libérer les fluides divins, les ondes magnétiques, les accroche-cœurs et les charmes de la séduction qui font naître l’amour fou, le coup de foudre, l’extase fatale lorsqu’un homme et une femme se regardent pour la première fois. »
Opium, force et controverse
En octobre 1977, Yves Saint Laurent organise un lancement au 5, avenue
Marceau
Dans l’exposition, différentes versions du célèbre flacon imaginé avec Pierre Dinand sont présentées aux côtés de véritables inrô japonais de l’époque d’Edo et de l’ère Meiji (XVIIème – XIXème siècle), dont ils reprennent la forme principale. Yves Saint Laurent est immédiatement séduit par ce flacon qui lui inspire le nom du parfum. La campagne publicitaire est transgressive et percutante. La photographie d’Helmut Newton avec Jerry Hall et le slogan provocateur de l’agence MAFIA « Opium, pour celles qui s’adonnent à Yves Saint Laurent » vont à la fois intriguer, créer le désir mais surtout provoquer un scandale sans pareil.
Opium n’arrive en Amérique qu’en septembre 1978 avec une spectaculaire soirée de lancement organisée sur une jonque nommée le Peking dans le port de New York. L’American Coalition Against Opium and Drugs déclenche alors une campagne contre Opium, aux côtés des associations de chinois américains qui voient en ce nom une provocation diplomatique. Cette fragrance reste l’un des plus grands succès de l’histoire des parfums.
Le Japon où le miracle suprême de célébrer les noces du passé et du présent
Très tôt Yves saint Laurent s’est rendu au Japon et a été fasciné par ce pays ancien et moderne au même titre que Monet, Van Gogh et tous les artistes art-déco qui y ont voyagé.
Fasciné par l’époque d’Edo (1600-1868), durant laquelle l’art s’affranchit peu à peu du pouvoir impérial, et par le théâtre Kabuki, Yves Saint Laurent va revisiter le vêtement traditionnel qu’est le kimono. En forme de T, il en donne une version qui conserve la fluidité de ses lignes, accompagnant la silhouette dans le mouvement au lieu de la contraindre. Tout en reflétant la quintessence ancestrale du Japon et son raffinement délicat, l’interprétation du kimono par Yves Saint Laurent n’en reste pas moins une création originale.
«Pour Yves Saint Laurent, le Japon est plus qu’une inspiration, c’est un modèle qui constitue le point de départ d’une création rendant hommage à la grâce des courtisanes déambulant dans les rues de Gion, quartier réservé de Kyoto qu’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé ont arpenté. Pierre Bergé déclarait ainsi « Nous étions passionnés par Kyoto et tout ce qu’il se passe dans Gion. Je suis beaucoup allé au Japon. C’est mon pays de prédilection. ». Au sein de l’exposition, le dialogue entre les créations d’Yves Saint Laurent et les tenues traditionnelles japonaises, comme un superbe costume de kabuki de type uchikake, ou certaines estampes représentant les courtisanes, témoigne de cette passion. »
Photos : Musée Yves Saint Laurent Paris