Jean Marc Gaucher (Repetto): "j'essaie d'être respectueux de la consommatrice avec un juste prix"
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Repetto est un cas d’école très inspirant pour toutes celles et ceux qui veulent séparer le bon grain de l’ivraie dans la cartographie des marques de mode actuelles. Quasiment au bord du dépôt de bilan en 2003, la marque de ballerine française connait aujourd’hui un succès d’autant plus vaste et durable qu’elle s’aventure avec panache vers de nouveaux terrains d’expression. L’artisan de cette superbe reprise en main est Jean Marc Gaucher. Ancien PDG de Reebook France, il a racheté cette société en déclin à l’aube des années 2000 pour en faire une luxueuse marque globale, cohérente et respectueuse de son ADN. Le tout en misant sur le made in France et sur la formation interne. En quinze ans, les ventes ont été multipliées par dix, avec 60 pour cent du chiffre à l’export.
Jean Marc Gaucher a procédé comme un scientifique, disséquant chaque composante de la société. Pour rappel, la marque Repetto est née après la seconde guerre mondiale lorsque Rose Repetto à la demande de son fils Roland Petit, alors jeune danseur, créa un chausson qui offrait une plus grande aisance aux danseurs et aux danseuses. Le secret de cette aisance consistait en une technique particulière, appelée le « cousu-retourné » : la semelle de cuir était cousue à l’envers avant d’être retournée. Rose Repetto fonda dans le foulée un atelier près de l’Opéra au sein duquel elle créa ses fameuses pointes puis ses célèbres Ballerines. Enfin elle confia la production à un de ses amis qui fabriquait des pantoufles en Dordogne à Saint-Médard-d’ Excideuil plus précisément.
C’est ce mythe fondateur – l’univers de la danse - que Jean Marc Gaucher choisit de mettre en lumière lorsqu’il reprit en main la société avec l’argent qu’il avait gagné lors de son passage chez Reebook. Regardez attentivement le décorum des boutiques Repetto : même si la pointe et la ballerine ne constituent qu’une relativement modeste partie du chiffre d’affaire, elles sont toujours très bien mises en valeur que ce soit en vitrine (via un décor évoquant l’univers de la danse et du ballet) ou à l’intérieur de l’établissement au sein duquel elles bénéficient d’un emplacement privilégié. Le message est clair : il s’agit de constituer une trame narrative forte autour de laquelle les autres produits dérivés de la marque – les chaussures, la maroquinerie, le parfum, la garde-robe- vont pouvoir s’épanouir légitimement « avec grâce et légèreté ».
Une production made in France, des collections plus nombreuses
L’autre coup de génie de Jean Marc Gaucher fut sa vision de ce que devait être une production cohérente et efficiente. Il conserve le site de production en Dordogne. « Tout le monde ne produit pas, insiste le PDG lors d’un entretien téléphonique. Je pense que le marché de la consommation des produits est entré dans un cycle qui est catastrophique. Comment vous dire cela sans me mettre tout le monde à dos ? Disons simplement que de très nombreuses marques achètent de très beaux emplacements pour leurs boutiques mais qu’elles produisent ensuite dans des pays à très bas coûts. Elles achètent les produits fabriqués à 100, elles mettent en vente en boutique à 600. Et ensuite, elles vont casser le produit avec des soldes à 50 pour cent. Ce sont des marques américaines fabriquant en Asie qui ont lancé ce système. Elles achètent de très beaux emplacements pour leurs boutiques mais elles réalisent la moitié de leur chiffre d’affaires dans les magasins d’usine avec des produits conçus spécifiquement pour ces magasins d’usine, sur des stands visibles depuis l’autoroute. Mon principe économique est diffèrent. Moi, j’essaie d’être respectueux de la consommatrice avec un juste prix. Je trouve irrespectueux pour quelqu’un qui a acheté un produit à 500 euros de le retrouver 15 jours plus tard à moitié prix ».
Le PDG de Repetto eut également une vision très nette de ce que devait être un bon rythme de production. « La société allait très mal lorsque je l’ai racheté. J’ai cependant voulu continuer à utiliser le site de production (en Dordogne, Ndlr) dont nous disposions. Or, tous les sites de production dans le monde ont le même problème : ils souffrent des pics de production. Globalement les entrées de saisons sont mal livrées, et les fins de saisons sont livrées quasiment à la date des soldes ». En s’appuyant sur son usine française, Jean Marc Gaucher choisit donc très vite de compartimenter ses livraisons en boutique. « Au lieu d’avoir une seule collection par saison, nous avons multiplié les séries limitées. Première mise en place avant Noël avec des modèles festifs, ensuite janvier-février avec des produits plus basiques, et enfin mars pour les modèles saisonniers, estivaux avec lesquelles le pied peut se sentir plus à l’aise. Même principe pour les couleurs, si un modèle sortait en rouge en février, le modèle jaune ne sortait qu’en mars ». Quinze modèles sont permanents, les autres sont renouvelés en permanence. Une nouvelle collection toutes les deux mois.
Ce système n’eut que des avantages. Pour les consommatrices d’abord : « Primo, cela ne sert à rien de livrer des modèles d’été avant mars, les clients ne les achètent pas tant qu’il fait froid. Ensuite cela nous permet d’avoir un renouvellement constant dans les boutiques. Deuxio, si les boutiques mettent toutes leurs nouveautés en début de saison, et si plus rien ne se passe pendant six mois, vous pouvez être sûr que les femmes délaisseront peu à peu le point de vente. Et pour les faire revenir dans les boutiques, c’est très compliqué pour les marques ». Ce système eut aussi beaucoup d’avantages pour le site de production. « Les commandes ainsi coupées en trois permettent de lisser la charge de production, ce qui fait que j’ai toujours du travail pour le personnel. Autre avantage pour moi, cela lisse mes besoins en trésorerie. Pour les revendeurs, cela lisse la trésorerie aussi : au lieu de recevoir une grosse commande en début de saison, ils en reçoivent trois plus petites ».
L’usine de Saint-Médard-d’ Excideuil est toujours là aujourd’hui. Elle s’est même agrandie. Pour faire face à la demande importante, notamment japonaise et coréenne, Repetto démarra en 2011 l'agrandissement de l'usine sur 3 000 m2 supplémentaires, de façon à pouvoir produire annuellement 500 000 paires de ballerines. Preuve de la pertinence du made in France appliqué à une production bien pensée, 70 jeunes furent embauchés et formés aux savoir-faire Repetto qui dispose désormais de son propre centre de formation à Coulaures, toujours en Dordogne. La moyenne d’âge à l’usine est de moins de 35 ans. La diversification fut d’autant plus réussie que la marque ne perdit jamais son âme, précisément grâce au maintien scrupuleux de son essence originelle, de ses savoir-faire spécifiques, et de son positionnement dans le luxe qui autorise une production de qualité.
En 2012, la marque se lance dans le prêt à porter. Fidèle à son principe de série limitée (une collection tous les deux mois), Repetto multiplie les collaborations audacieuses et inspirantes. Rien que cette saison, deux collaborations ont marqué les esprits. La première avec Stromae, via son label Mosaert : le chanteur et sa femme Coralie ont imaginé des modèles de ballerines unisexes élastiquées, aux imprimés joyeux et au talon recouvert mais aussi tout une gamme de t-shirt, de sweat de cardigan pour un total look inspiré l’univers de la danse. La seconde avec Matthieu Chedid qui a revisité le modèle Zizi, une chaussure à lacet inspirée des chaussons de Jazz, initialement créée pour Zizi Jeanmaire (qui était la belle fille de Rose Repetto). Le chanteur a paré cette chaussure iconique de tissus africains. Cette édition limitée (dont les bénéfices seront reversés sous forme de matériel de danse à l'association Donko Seko, une structure dont la mission principale est l'intégration par la danse et la socialisation de jeunes Maliens en difficulté) sera disponible sur la nouvelle boutique Repetto située sur les Champs-Elysées à Paris. La 127e boutique de la marque.
Crédit photo : www.repetto.fr