Quelles expressions désignent le mieux les tendances de mode printemps été 2024?
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Slouchy, Late Nineties, Poor Esthetics, Devilish et En catchana baby sont les nouvelles expressions à la mode, entendues pendant la semaine parisienne du prêt-à-porter, qui s’est déroulée fin septembre / début octobre 2023. Focus sur le langage paradoxal, majoritairement en anglais, qui illustre les tendances vestimentaires du printemps été 2024.
Slouchy pour une allure déconstruite et amplifiée
Capté sur le défilé Louis Vuitton pour décrire un sac mou et sans forme, qui se porte à bout ou sous le bras, le mot « slouchy » (ample, en français) a, jusqu’à présent, été utilisé pour qualifier un pantalon déstructuré, caractérisé par une coupe très large au niveau des hanches et des fesses, pour se resserrer aux chevilles. Pour le printemps été 2024, Glenn Martens pour Y/Project en fait une illustration XXL.
Ce jeu de (dé)constructions est parfaitement illustré par la créatrice chinoise Uma Wang et par un nouveau venu sur la scène parisienne : Alainpaul. Après avoir forgé son expérience chez Vetements, et Louis Vuitton (époque Virgil Abloh), le créateur et son mari ont lancé une griffe éponyme. La collection SS24 est une proposition de postures qui joue sur les proportions pour, dixit le communiqué, « augmenter notre anatomie, stimuler notre langage corporel et enrichir notre expression personnelle ».
Par extension, « Slouchy » désigne une silhouette amplifiée, en opposition avec le terme « kiki » (proche du corps). On retrouve cette tendance chez Maison Margiela. John Galliano, le directeur artistique, explore une esthétique qui lui ressemble avec des costumes pour femmes XXL, inspirés de la garde-robe masculine. Pierre Cardin et Yves Saint Laurent avaient coutume de dire que les formes définissent les changements de mode. Alors, la déconstruction est un gage d’allure pour le printemps été 2024.
Late Nineties pour une maille et un tailoring chic et minimaliste
La mode est histoire de paradoxes. À la tendance « Slouchy » s’oppose donc le « Late Nineties » (fin des années 90). Ici, la silhouette est minimaliste, elle souligne les lignes du corps sans effet ostentatoire. On pourrait dire que c’est la tendance la plus proche du fameux Quiet Luxury qui a envahi la mouvance commerciale Contemporary High End. Ici, citons le travail de Jonathan Anderson pour Loewe et d’Anthony Vaccarello pour Saint Laurent qui signent deux best du printemps été 2024. Respectivement : un gilet en maille cintré descendant jusqu’à mi-mollet et le retour de la saharienne, version veste, chemise, robe, combinaison, etc.
Il y a la réminiscence d’un Raf Simons ou d’un Helmut Lang dans l’air. Justement, le créateur d’origine vietnamienne, Peter Do, qui a fait ses armes chez Celine (avec Phoebe Philo) puis chez Derek Lam, est le nouveau directeur artistique du label Helmut Lang. Il a présenté sa première collection à l’occasion de la fashion week de New York et a défilé, fait inédit, pour sa marque en propre dans le calendrier officiel de Paris Fashion Week, le 26 septembre 2023.
Peter Do se distingue par sa maîtrise du tailoring, avec des coupes impeccables, une prédilection pour le noir et blanc, nuancé de total looks camel et touches rouges. Autre défilé remarqué, celui de Marie-Christine Statz pour Gauchere, qui explore, dixit le communiqué, « un minimalisme progressif, se concentrant sur des coupes nettes, équilibrant la tension et l'harmonie pour une silhouette bien découpée ».
Son costume monochrome, légèrement démesuré (avec épaules larges), porté jambes nues, est un autre must de la saison SS24. À noter : ses escarpins en cuir plissé, bouts pointus et talons fins de 5 cm (à vue d’œil), prennent le pas sur la tendance amorcée par Prada pour l’automne hiver 23/24.
Poor esthetics ou le goût du destroyed
Paradoxe suivant : celui d’une mode héritée, elle aussi, des années 90, mais à l’inverse de ce chic minimaliste. À l’époque, on disait grunge et cela montrait le refus de se plier aux codes d’une société matérialiste. Plus de trente ans plus tard, cette envie de rébellion subsiste et c’est d’autant plus drôle quand elle s’exprime à travers une marque au patronyme explicite : Enfants Riches Déprimés.
« La collection SS24 raconte l'histoire d'un Américain perdu dans une ville européenne, un romantique sans espoir, que l'on voit vivre à travers de multiples références temporelles et spatiales ». Tout est dit dans ce descriptif qui se traduit par un vestiaire qui n’hésite pas à trouer des pullovers, vendus minimum 1 200 euros en boutique.
Plus c’est destroyed, plus ça plaît. Semblant de tout et de rien, la Poor Esthetic (esthétique du pauvre) fait la part belle à la tendance Cut Out, jeu de découpes savant, permettant au vêtement de dévoiler certaines parties du corps (Ottolinger). Mais aussi aux graffitis, comme chez Vaquera où trône, au sein du très exclusif showroom Dover Street Market, un « tas » de chaussures empilées.
Devilish ou la Lucifashionister (pour Lucifer)
Du destroyed au dévastateur, démoniaque, diabolique, il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir. Devilish est la version resucée du goth, un classique qui a fait son retour sur les podiums suite à la période Covid. À ce jeu, Rick Owens, est devenu une figure emblématique.
Sans vouloir faire allusion à l’affaire morbide qui a entaché sa réputation (et dont on ne saura jamais le fin mot tant de multiples versions hantent les gossips de la fashion week parisienne) il faut reconnaître que Demna Gvasalia, DA de Balenciaga, est expert dans l’art de conjuguer le rouge et le noir, couleurs phares du monde des ténèbres. La preuve avec son dernier show où défilaient, en total looks noirs et devant un rideau rouge, ses proches et sa propre maman (en photo).
En version sexy en diable, citons le show du créateur français Gilles Asquin. Jörmungandr, le nom de sa collection SS24, est également celui d’un gigantesque serpent de mer, issu de la mythologie nordique du IXᵉ et XIIIᵉ siècle. Surnommé « serpent-monde », il est le symbole de l’apocalypse et de la renaissance. Pendant le show d’Asquin, la performance musicale de la chanteuse ODA Louise était accompagnée par la musique de Clara Devil. Tout cela ne s’invente pas.
En catchana baby ou la revendication d’un corps féminin sexué
En puisque l’on évoque le côté sexy de la saison printemps été 2024, impossible de ne pas citer un must parmi les expressions de la Gen Z : le fameux « En catchana baby » (en levrette), extrait du titre d’Aya Nakamura, « Djadja ». Si la référence peut sembler un peu vieillotte, le fait est qu’il a fallu du temps pour que le langage de la pop urbaine parvienne jusqu’aux oreilles de la fashion sphère. Mais n’est-ce pas le jeu de la rue d’influencer les podiums les plus selectifs ?
Au-delà de l’expression, c’est la revendication d’un corps féminin sexualisé qui explose ici, à l’opposé du non gender (encore un paradoxe). On le retrouve chez Mugler, marque dont l’ADN a toujours fait de la femme femme un élément de séduction. Ou encore chez Duran Lantink. Lancé en 2019, le label néerlandais, finaliste du concours Andam 2023, explore le corps de manière exacerbée avec un haut de bikini façon frite de piscine, une chemise et un mini-short rembourrés « là où il faut » ou encore cette robe rouge, ersatz contemporain du maillot de Pamela Anderson dans « Alerte à Malibu » ou de la glamoureuse Jessica Rabbit.
Esthétique rouge que l’on retrouve également chez Atlein. Soit dit en passant et pour conclure, le rouge, qui était LA couleur de l’automne hiver 2023-2024, perdure sur l’été 2024. Et la veste masculine, normalement attribuée à l’hiver, passe l’été en pente douce.