Metaverse et design de mode : vers la fusion des identités physiques et digitales
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Même s’il n’est pas totalement nouveau, le metaverse est un concept encore en plein développement. On le décrit aujourd’hui comme un « multiverse » composé de différents environnements virtuels que les utilisateurs peuvent explorer et au sein desquels ils peuvent trouver leur place. Une nouvelle table ronde organisée lors du Met Ams, une conférence récemment créée à Amsterdam et entièrement consacrée à l'accessibilité du metaverse, vient de mettre en exergue ce nouveau phénomène.
Le panel, qui s'est tenu le 16 juin, était composé de personnes influentes dans l’industrie de la mode digitale. Ashumi S, fondatrice de l’agence de création digitale Mad XR, Giancarlo Pazzanese, maître de conférences à l'Amsterdam Fashion Academy, et Kerry Murphy, fondateur et directeur général de la plateforme de mode numérique The Fabricant, ont tour à tour exposé leur point de vue sur la fusion des identités digitales et physiques dans le metaverse.
La discussion a rapidement permis d’identifier le concept d’identité dans l’univers virtuel, que les spécialistes ont chacun décrit comme le résultat de leur éducation et de leurs expériences personnelles dans le monde physique. Des expériences « réelles » qui peuvent souvent entrer en conflit avec l’image que nous voulons - souvent inconsciemment - donner de nous dans le metaverse, même si les utilisateurs tendent à partir de zéro pour créer leurs personnages.
« Le monde dans lequel nous vivons est encadré par des limites, à commencer par les lois de la physique », a déclaré le modérateur du panel, Diego Borgo, spécialiste du metaverse et des jetons non fongibles (NFT). « Ce qui est passionnant avec le metaverse et la réalité virtuelle, c’est la capacité à sortir du cadre, à devenir qui on veut. Ça devient d’autant plus passionnant lorsqu’on comprend les opportunités que cela représente pour la mode et la mode digitale ».
« Créer plusieurs personnages »
Pour Giancarlo Pazzanese, l’idée d’une liberté totale peut également s’appliquer aux vêtements. Le metaverse donne aux créateurs la possibilité de réimaginer complètement les silhouettes, de remodeler notre conception d’un vêtement et de le porter au-delà des limites qui existent dans le monde physique. Pour les membres du panel, pas de doute : les marques de mode doivent profiter de cette liberté qu'offre l'espace virtuel et explorer ce nouveau terrain d’expression, notamment sur le plan de la fluidité des identités dans la réalité virtuelle.
«Nous ne sommes pas obligés de n'être qu’une seule personne, le metaverse permet la création de plusieurs personnages différents », a déclaré Kerry Murphy, fondateur de The Fabricant. « C'est là toute la puissance du metaverse et du Web3. Ces nouveaux terrains de jeu offrent les outils nécessaires pour nous permettre de nous exprimer de manière beaucoup plus personnelle. Avec un peu de chance, les expériences vécues dans le metaverse entreront aussi dans nos vies réelles, où nous serons peut-être assez courageux pour trouver des nouveaux moyens d’expression qui n’auraient pas été possibles autrement ».
Selon Ashumi S, fondatrice de Mad XR, les enfants façonnent aujourd’hui leur identité par le biais de jeux de rôles directement inspirés de leurs expériences de jeu dans le metaverse, contribuant ainsi à créer leur propre manière de s’exprimer et de s’habiller. À cela, Kerry Murphy ajoute cependant que les enfants sont tout autant confrontés au poids des constructions sociales que les adultes, ce qui les empêche souvent d’adopter la mode qu’ils ont choisie dans le metaverse dans le mode réel, à l’exemple d’un garçon portant une robe.
«Développer un espace sûr »
«Il est assez remarquable de voir comment les constructions sociales arrivent à s’insérer dans le metaverse », commente Murphy. « Je continue de penser que les enfants ont besoin d'apprendre à faire tomber ces barrières. C'est un espace où ils peuvent apprendre à s'exprimer d'une manière beaucoup plus complète que dans leur vie « physique », mais nous devons en faire un espace sûr, et pas seulement une réplique de notre société, au risque de n’avancer en rien ».
Pour Giancarlo Pazzanese, la sûreté du metaverse est aujourd’hui un point essentiel, or elle est souvent négligée. Selon le spécialiste, laisser nos préjugés inconscient y prendre place pourrait entraver son développement. « Pour être libres, nous exprimer et essayer de nouvelles choses en matière de mode, nous devons nous sentir en sécurité », a-t-il déclaré. « Il y a une vraie diversité invisible, et c'est ce qui crée une communauté, lorsque vous êtes reconnu et accepté pour les aspects que vous ne voyez pas mais que vous voulez exprimer d'une manière ou d'une autre ».
Pour en arriver là, les panélistes ont souligné la nécessité de diversifier l'espace lui-même, chacun d'entre eux notant qu'il y a un manque évident de diversité hommes-femmes et d'inclusion culturelle dans les industries du Web3 et des metaverse. Un constat qui devient évident lorsque qu’on observe les avatars féminins souvent ouvertement sexualisés présents dans les jeux en ligne et créés par des designers masculins, ou dans la faible diversité des personnages et la typologie de créateurs numériques, bien souvent des hommes. Tous s'accordent à dire qu'il est impératif d’agir pour plus de diversité.
« En tant que concepteurs, nous avons la responsabilité des images que nous diffusons », a ajouté Giancarlo Pazzanese. « Le metaverse doit être construit par des personnes ayant une vision à long terme, et pas seulement considéré comme un défi technique. Il est important d'y associer d'autres concepteurs, des personnes qui peuvent définir les valeurs du metaverse, un environnement aujourd’hui dominé par les hommes, auquel cas nous ne ferons que reproduire le même espace que celui qui existe déjà. Le metaverse est une extension de notre existence et il a pour vocation d’être un monde meilleur, pas l’inverse ».
En conclusion, si le metaverse permet une grande liberté et une grande flexibilité, les entreprises doivent néanmoins assumer la responsabilité des images qu'elles diffusent. Ainsi Giancarlo Pazzanese espère que le metaverse pourra devenir cet « espace sûr » pour ceux qui cherchent à explorer leur identité, à se déconstruire et à promouvoir un environnement plus inclusif.
Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.com. Il a été traduit et édité en français par Maxime Der Nahabédian.