Maroquinerie française : l’évolution de la marque de niche Camille Fournet
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Société d'artisanat née à la fin de la seconde guerre mondiale, Camille Fournet est aujourd'hui une marque de maroquinerie de luxe qui entend bien rester dans l'air du temps. Pour FashionUnited, Claire Aubadie-Ladrix, designer et directrice artistique de Camille Fournet, revient sur l’évolution de la maison et dévoile ses projets.
Vous avez rejoint Camille Fournet en 2016. Quel était le positionnement de la marque ?
Claire Aubadie-Ladrix : Mon arrivée en 2016 intervient alors que Camille Fournet connaît un tournant et décide d’étendre son savoir-faire. La maison, qui s’était largement développée notamment dans les bracelets de montres auprès des grandes maisons horlogères suisses et françaises, a souhaité transposer ce savoir-faire à la maroquinerie en 2016. Si quelques essais avait déjà été opéré dans sa manufacture à Tergnier, Camille Fournet va véritablement développer son offre sur ce segment à partir de 2017.
L’idée c’était de se dire : Notre savoir-faire est développé et précis. Nous travaillons de belles matières, le cuir exotique mais pas que. Si nous proposons des éléments d’accessoires [les bracelets de montre], nous pouvons aussi faire de très beaux objets dans leur totalité.
En matière de ventes, quels sont les best-sellers ?
Camille Fournet est spécialisée dans le cuir exotique mais nous avons récemment développé le « plissé », une matière qui crée un effet de rayonnement obtenu à l’aide de plusieurs couches de cuir. Introduire cette nouvelle matière, qui se distingue de ce que nos concurrents proposent, a permis à la marque de se différencier et d’attirer l’attention.
Aujourd’hui, le modèle qui plaît le plus est le petit hobo plissé 32.14. De manière générale, nous avons constaté une transformation de l’échelle des pièces. Alors que les gros volumes plaisaient davantage, aujourd’hui ce sont les plus petites pièces qui sont appréciées. Nous avons redimensionné nos modèles afin qu’ils s’adaptent davantage aux modes de vie actuels, ce qui a apporté un nouveau regard sur nos produits.
Dans notre positionnement, nous avons fait le choix de ne pas être spécialement genrés. Au Japon, le cabas plissé est très populaire auprès de notre clientèle masculine.
Dans notre collection mobilité, on retrouve le holster 33.06, un modèle qui se porte près du corps, situé entre la banane et le « porte-revolver ». Ce sac est moins une question de succès commercial mais plus un succès d’image. Il est intéressant en termes de narration.
Outre la France, quelles parts représentent les autres marchés dans les ventes totales de la marque ?
Nous sommes présents au Japon, en Chine et aux États-Unis de manière différente.
Sur le marché japonais, nous sommes implantés depuis longtemps grâce à notre filiale. En Chine, nous possédons deux points de vente.
Nos clients chinois passent par la France pour obtenir nos pièces de maroquinerie lorsqu'ils sont en déplacement ou directement via notre site internet. Nous sommes implantés aux États-Unis à travers des points de vente dédiés à nos bracelets de montre.
Au total, le Japon représente 20 pour cent de nos ventes, suivi par les États-Unis avec 15 pour cent et la Chine avec 12 pour cent.
Camille Fournet propose des outils de personnalisation en ligne pour ses ceintures et bracelets. Souhaitez-vous étendre ce service à la maroquinerie ?
En 2022, nous nous sommes focalisés sur notre site internet avec une volonté de le développer, simplifier la navigation et apporter ces outils de personnalisation. Après les outils de configuration dédiés aux ceintures et bracelets, nous allons lancer en septembre un système de personnalisation des sacs en ligne, avec toujours la possibilité de les personnaliser en boutique.
Développer cet outil a été un véritable challenge car nous avons dû définir les bonnes matières et couleurs afin de proposer la même qualité de services et de créations en ligne et boutique. Nous souhaitions permettre à nos clients de s’exprimer, tout en ne rendant pas la tâche trop complexe pour notre manufacture.
À partir de septembre, nos clients auront la possibilité de personnaliser quatre modèles : le petit hobo 32.14 (lisse et plissé), le porté-croisé plissé 32.04, le holster 33.06 et le sac à dos 32.11 (lisse et quadrillé). En tant que designer, j’aime que les gens puissent s’approprier les objets. De cette manière, nos clients peuvent tisser un lien plus fort avec ces derniers.
Comment la marque parvient-elle à recruter des artisans ? Combien travaillent aujourd’hui au sein de vos manufactures et quels sont vos prochains objectifs en matière de recrutement ?
Il est très difficile de recruter des artisans. Chez Camille Fournet, nous avons un département dédié à la formation et nous sommes en contact avec plusieurs écoles. Ainsi, quelqu’un qui n’est pas du métier, mais qui est intéressé et possède des aptitudes, peut être formé et se reconvertir. Avoir sa propre école interne permet de recruter plus facilement.
Notre manufacture est située en Picardie, à Tergnier plus exactement. C’est une région touchée par le chômage et jugée moins attractive que d’autres endroits en France.
Toutefois, malgré ces difficultés, nous parvenons à attirer des passionnés qui ont un véritable intérêt pour les métiers liés au savoir-faire artisanal. Aujourd’hui, nous travaillons avec 180 artisans et nous avons prévu d’en recruter 100 autres sur les deux prochaines années.
Quels sont vos futurs projets retail ?
En France, nous nous concentrons sur la région parisienne. Des discussions sont actuellement en cours pour ouvrir de nouveaux points de vente à Paris. À la fin de l’année, nous allons inaugurer une première implantation dans un grand magasin à New York.
Dans les cinq ans à venir, le focus sera clairement sur les États-Unis car nous possédons déjà une clientèle américaine qui vient à Paris pour la partie maroquinerie ou passe par notre site internet. Les clients américains ont un goût prononcé pour le savoir-faire français et le Made in France. Ils ont tendance à se lasser plus vite et sont à la recherche de marques de luxe plus niche.
En termes de matières et de produits, y aura-t-il des nouveautés ?
Nous allons lancer une gamme de voyage, prévue en 2024, qui intègre des sacs 48h, 24h, des trousses de toilette et différents accessoires pour les voyages. La ligne sera réalisée à partir d’une association de textile et cuir. Introduire une nouvelle matière autre que le cuir, pour des questions de poids, est ici indispensable.
Nous menons en parallèle des essais sur des matières plus incongrues, toujours au stade de recherches. Camille Fournet est une marque relativement jeune du point de vue de la maroquinerie. Il faut donc qu’elle soit suffisamment assise dans les esprits, avec ses codes d’origine, avant d’incorporer des matériaux trop différents.
Selon moi, le fait de se diversifier trop tôt n’aide pas forcément à la lecture de ce qui fait notre point d’excellence. Il faut laisser le temps à notre clientèle actuelle et surtout future de se rendre compte de la qualité de notre savoir-faire.
Une partie de l’entretien a été menée sous forme écrite.