Le paradoxe des business models de la fast fashion et des pratiques éthiques
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Le business model de la fast fashion en 2019 n'a pas beaucoup changé à l'ère de la durabilité. Au niveau de la vente au détail, nous voyons encore des présentoirs remplis de t-shirts à 5 euros, des piles de jeans coûtant moins de 10 euros et des robes imprimées annoncées à 9,99 euros. Même les marchandises les moins chères peuvent facilement être recherchées sur Google et achetées en ligne. La fast fashion et les normes commerciales éthiques semblent paradoxalement se situer aux extrémités de l'échelle de la durabilité, et pourtant les détaillants de marques connues du grand public font croire aux consommateurs que leurs usines, processus de fabrication et travailleurs respectent les normes auxquelles ils s'attendent, sans pour autant être incrédules ou alors ils ne veulent pas s'aventurer à la précision.
Les marques sillonnent le monde pour trouver les usines les moins chères et la main-d'œuvre la moins chère afin de vendre de gros volumes de vêtements. Tout a commencé en Chine avec l'industrie de la production de fast fashion qui s'est depuis déplacée en Inde, au Bangladesh, au Vietnam, en Afrique - partout où l'on peut maintenir les marges du business model à bas prix et à grand volume.
Business models et standards de travail
Un rapport publié par l'Ethical Trading Initiative en mars montre le lien entre les business models et les standards de travail. Plus précisément, que les détaillants consacrent des sommes importantes à la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et à d'autres initiatives apparentées, mais il y a peu de progrès en termes d'amélioration concrète des conditions de travail des travailleurs dans la production.
Les fabricants de vêtements maintiennent depuis longtemps des standards de travail épouvantables
Le rapport souligne que le secteur du vêtement est depuis longtemps associé aux pires normes de travail. Cependant, ces conditions se sont encore détériorées avec l'émergence des mannequins de la fast fashion et de l'ultra fast fashion. Ces changements ont donné lieu à une approche de plus en plus axée sur la "consommation de vêtements jetables", où le business model est basé sur des produits bon marché dont le cycle de vie est toujours plus court et qui génèrent des profits grâce au volume des produits vendus.
Les approches alternatives aux business models incluent la lenteur, la traçabilité et la transparence concernant les impacts sur les droits de l'homme, les fournisseurs et les prix. Le rapport propose également une organisation hybride et un actionnariat alternatif tel que la copropriété. Quelle est la création de valeur de ces entreprises ? S'agit-il uniquement d'en faire profiter ses actionnaires ?
Les besoins commerciaux et les stratégies éthiques ne devraient pas s'exclure mutuellement. Les détaillants doivent mieux intégrer les normes de commerce éthique comme exigence de base dans les critères d'achat. Les investissements clés doivent refléter les incitations à prendre des décisions d'achat qui profitent aux travailleurs de la chaîne d'approvisionnement, plutôt que simplement aux ventes et aux bénéfices sur le marché intérieur. Les détaillants devraient également être financièrement responsables de minimiser les violations des droits des travailleurs, en surveillant et créant des programmes de transparence pour s’assurer d’avoir une visibilité sur les violations des droits des travailleurs.
Alors que l'industrie s'efforce de produire des vêtements à moindre coût et à plus grande vitesse, elle fait coudre des vêtements avec ses conséquences négatives pour les travailleurs et les agriculteurs. Les détaillants de mode se sentent pressés de produire des articles jetables moins chers, qui sont de plus en plus gaspillés. Pour briser ce cercle vicieux, il faut rééquilibrer l'ensemble du business model de manière à repenser la manière dont la valeur est créée, pour quoi et dans quel but.
La société de consommation contemporaine et le modèle de chaîne d'approvisionnement le moins coûteux sont devenus le schéma dominant de la façon dont les biens passent du producteur au consommateur. Au cœur de cette démarche se trouve la volonté de réduire les coûts de production, en particulier les coûts de main-d'œuvre. Ce modèle peut coûter cher : des exemples tels que les tragédies de Morecombe Bay et de Rana Plaza font la une des journaux, mais des incidents à plus petite échelle se produisent quotidiennement, souvent à l'insu des détaillants et des consommateurs à l'autre bout de la chaîne logistique.
L'ignorance des faits n'est plus acceptable : les business models doivent placer les droits du travail, aux côtés d'autres facteurs externes auparavant non chiffrés, tels que les déchets et le changement climatique, au centre de leur agenda. De nombreux cabinets ont adopté une approche de "conformité" fondée sur l'élaboration de codes de conduite et de vérifications connexes.
De par leur nature même, ces approches sont défensives et visent à éliminer les problèmes plutôt qu'à élaborer un modèle d'entreprise positif qui place les droits de la personne et les droits des travailleurs au centre de la stratégie commerciale globale.
Cet article a été traduit et édité en français par Sharon Camara.
Source : Reinecke, J., Donaghey, J., Bocken, N. and Lauriano, L. (2019) “Business Model and Labour Standards: Making the Connection” Ethical Trading Initiative, London.