L’IFM et Kering font défiler des maillots de bain en laine au Sénat
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Un défilé de maillots de bain en laine, organisé au Sénat, chambre haute du Parlement français, a fait dire au jeune sénateur des Vosges, Jean Hingray, non dénué d’humour : « Vous pouvez conjuguer ma carrière prometteuse à l’imparfait ». Cette scène a eu lieu à l’occasion de la présentation du travail des étudiants de l’Institut Français de la Mode (IFM) pour leur certificat Sustainability IFM x Kering, groupe de luxe représenté par Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable et des affaires institutionnelles de Kering.
« Let’s go change the world! » Jeudi 28 mars après-midi, six groupes d’étudiants présentaient leurs projets proactifs à une assistance composée d’un jury prestigieux et de professionnels de la mode, dans l’enceinte du Sénat. Un fait inédit dans l’histoire de cette institution et de l’IFM, qui a mis au point un programme de cours sur le développement durable, basé sur des projets collaboratifs et contributifs, sous la houlette d’une professeure canadienne dynamique : Andrée-Anne Lemieux.
Le premier groupe exposait un projet d’upcycling réalisé en partenariat avec les créateurs ghanéens. Pour cela, ils se sont rendus sur le marché de Kantamanto, à Accra, capitale du Ghana, le plus grand marché de seconde main au monde. Et pour cause, le pays est littéralement envahi par les montagnes de déchets textiles largués par les pays occidentaux (260 000 tonnes de déchets vestimentaires venant de France).
Ils ont collaboré avec Or Foundation, une fondation qui lutte contre la surproduction textile et les inégalités sociales en Afrique, et mis en place un work process pour upcycler les fripes, valoriser les créateurs ghanéens et leur faire traverser la Méditerranée jusqu’à Paris. Le but ? Exposer ce travail collaboratif deux ou trois jours dans un pop-up store, au septième ciel du Printemps, un septième étage entièrement dédié à la circularité. « Pourquoi seulement trois jours » a réagi Jean-Marc Bellaiche, président du groupe Printemps, membre du jury, les invitant, par là même, à poursuivre leur projet.
Le deuxième groupe a organisé un programme de conférences, pour partager les connaissances, bonnes pratiques et intelligence collective en matière de développement durable, ce en partenariat avec Paris Good Fashion.
Le troisième groupe s’est fait remarquer avec Wool & Waves, une présentation de maillots de bain en laine, réalisés avec Woolmark et Vilebrequin. Sur le papier, cela peut sembler étrange, bien que ce process ait déjà expérimenté sur des shorts de bain pour hommes. Ici, la déclinaison féminine ressemblait à de vrais maillots proches du corps, sauf que l’absence d’utilisation de polyester ou autres fibres plastiques, issues de la pétrochimie, permet d’éviter la pollution de l’eau.
Le clou de cette présentation fut l’arrivée sur le podium de mannequins en maillots, laissant l’assistance coi et le jury masculin particulièrement avide de questions. Xavier Romatet, directeur général de l’IFM, n’a d’ailleurs pas manqué de saluer le fait que des femmes en maillots de bain se promenaient au Sénat.
Intelligence artificielle régénatrice, éducation à la mode responsable, les étudiants balaient tous les nouveaux champs du possible
Le projet Regen-AI, dévoilé par un quatrième groupe réunissant plusieurs nationalités, de Paris à Jérusalem, regroupait trois concepts « régénératifs » : l’upcyclicing, l’Intelligence Artificielle et la dimension sociale. L’upcycling, avec la création de pièces originales à partir de stocks excédentaires et de résine de pin biologique (Pine Tex). L’utilisation de l’IA pour la « conception » (attention le mot peut faire frémir, il s’agit ici d’optimiser les tissus allant ensemble en s’appuyant sur des bases de données facilement gérables par l’IA) de nouveaux vêtements à partir de stocks. Et enfin, la collaboration avec des ateliers spécialisés dans l’insertion professionnelle comme Espero ou La Tisserie Parisienne.
Avec ses « Petits Héros Durables », un programme éducatif et ludique pour sensibiliser les enfants à la mode responsable, le cinquième groupe a servi de base à un projet de loi, soumis par le sénateur Jean Hingray, le 21 mars 2024, intitulé « Éducation à la mode écoresponsable ».
Enfin, le dernier groupe a touché un phénomène rarement évoqué et pourtant extrêmement inquiétant aux vues de la paupérisation de la population française ou immigrée : les conditions de vie des sans-abri. Pour monter le projet « People Helping People », les étudiants sont allés à la rencontre des SDF pour comprendre les problèmes auxquels ils étaient confrontés.
En collaboration avec ShelterSuit, une organisation qui leur vient en aide, et munis des dead stocks de Balenciaga, ils ont conçu des tenues, entre abris et couverture de protection, et les ont distribués aux plus démunis. Ne reste plus qu’à les sigler et les commercialiser dans un esprit « buy one, give one ».
À l’issue de cette intense après-midi, les membres du jury ont tous salué la pédagogie de cette méthode d’enseignement qui joint le geste à la parole. Marie-Claire Daveu a indiqué être fière de participer à cette aventure : « vous prenez soin des gens et de la planète, vous combinez imagination et créativité. You can change the world ».
Le sénateur s’est montré très impressionné, étant lui-même rapporteur d’un projet de loi pour développer l'action de lutte contre la précarité alimentaire étudiante. « La mode fait bousculer la maison Sénat, continuez, c’est parfois aseptisé ici, a-t-il conclu. La mode est révélatrice du monde dans lequel nous vivons. Il faut porter haut et fort vos projets, bougez-vous et nous serons là pour vous accompagner ».