COP21 saga (fin) : Luxe : le réchauffement climatique menace les matières premières
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Cachemire, vigogne, soie mais aussi cuir, les matières du luxe sont menacées par le réchauffement climatique. Comment les maisons françaises s’engagent dans le combat ?
Si le luxe est la valorisation de ce qui est rare, il est aussi souvent définit comme inutile et ostentatoire. De ce mariage contre nature, il faut bien reconnaître que ce marché est pourtant par essence très proche des préoccupations du développement durable car comme lui, il se nourrit de la rareté et du beau et a donc intérêt à les préserver.
Le luxe prescripteur ?
Au cœur des procédés de fabrication de ces grandes maisons, place à des savoir-faire ancestraux qui font l'objet de toutes les attentions pour leur préservation et leur transmission. Il en va de même pour les matières premières utilisées qui sont la base même de ce qu'est le luxe. Voilà qui réconcilie luxe et développement durable et qui devient aujourd’hui plus que jamais un cheval de bataille.
Ainsi, chez LVMH (Céline, Christian Dior, Edun, Kenzo, Louis Vuitton…), Bernard Arnault a signé La Charte environnement en 2001. Celle-ci a été rejointe depuis 2012 par le programme LIFE qui vient renforcer l’intégration de l’environnement dans les processus managériaux, faciliter le développement de nouveaux outils de pilotage et tenir compte des évolutions et enrichissements découlant des pratiques innovantes de chaque marque. Mis en œuvre par le comité de direction de chacune d’elle, LIFE s’articule autour de neuf dimensions clés de la performance environnementale. Depuis juin 2014, le programme est intégré au plan stratégique de chaque Maison. Parmi les projets concrets figurent l’installation de l’énergie solaire sur les toits de la Manufacture Tag Heuer, la production par Loro Piana de 4 pour cent de son électricité à partir de sources renouvelables ; tandis que, petit à petit, l’ensemble des boutiques du groupe passe à l’éclairage LED qui diminue en moyenne la consommation d’électricité de 30 pour cent.
Chez le concurrent Kering (ex PPR), l’environnement occupe également une place de choix afin de responsabiliser l’ensemble des marques (Gucci, Saint Laurent, Bottega Veneta, Puma ou encore Stella McCartney, fleuron de la mode vegan). « L’idée est de réaliser le maximum de potentiel pour chaque marque de la façon la plus imaginative et durable possible, explique le groupe. Nous les poussons à fonder de nouveaux modèles économiques qui contribuent à un monde meilleur au point de vue économique, social et environnemental ». Après la création du Compte de Résultat Environnemental (système de chiffrement concret du coût de l’impact de Kering sur l'environnement), il creuse son engagement en faveur de l’environnement et d'un luxe plus écologique et durable en s’associant à BSR (le réseau mondial d’entreprises et d’expertise dédié au développement durable) pour publier en novembre 2015 un rapport ambitieux intitulé : « Changement climatique : implications et stratégies pour le secteur de la mode et du luxe ». Son but : mesurer les conséquences du changement climatique sur le secteur de la mode luxe et se propose d’aider les acteurs de la filière à comprendre leurs faiblesses. Ainsi, il formule des recommandations permettant l’élaboration de modèles économiques plus responsables et économiquement viables à long terme.
Les matières premières directement menacées
Il faut dire que pour ces maisons, l’enjeu est de taille. Selon le Carbon Disclosure Project (CDP), si en moyenne, la moitié environ des émissions de carbone d’une entreprise sont issues de sa chaîne d’approvisionnement, dans les métiers du luxe, la majorité d’entre elles proviennent de la production des matières premières et des premières étapes de traitement.
Et le réchauffement climatique menace directement ces matières, denrées stratégiques pour la filière. « Le secteur du luxe se caractérise par sa dépendance vis-à-vis de matières premières de qualité issues de filières de production circonscrites géographiquement et fortement vulnérables aux variations climatiques», souligne en effet le rapport de Kering. En première ligne pèsent en effet des risques climatiques actuels et futurs sur le coton, le cachemire, la vigogne, la soie, le cuir de vache et de veau, et le cuir de mouton et d’agneau. Ainsi, très à la mode, le cachemire connaît actuellement un succès dramatique dont les répercussions sont visibles à des milliers de kilomètres de chez nous. « Jamais la pression de la ressource de cet « or doux » n’a été aussi forte, confirme Cécile Lochard de l’agence Citizen Luxury qui s’emploie à sensibiliser le secteur du luxe à ce sujet. C’est une partition dramatique qui se joue actuellement en Mongolie intérieure : désertification du désert de Gobi, surpâturage des chèvres, changement climatique (avec des été de plus en plus chauds et des hivers polaires) qui décime les troupeaux… ». Déjà des filières de cachemire durable commencent à se mettre en place en Mongolie pour aider des familles d’éléveurs.
Parmi les principaux enseignements mis en avant dans le rapport Kering, l’urgence est donc pour les entreprises de bien comprendre leurs chaînes d’approvisionnement et soutenir des systèmes de production de matières premières qui soient plus résilients aux chocs et à la volatilité engendrés par le changement climatique. Les solutions qui se focaliseront sur la base de cette chaîne seront à même de procurer une multitude de bénéfices sociaux, environnementaux et économiques.
« Toutes les entreprises doivent se préparer à combattre les effets du changement climatique », a déclaré Aron Cramer, PDG de BSR. « Ce rapport montre en quoi le phénomène affecte l’industrie de la mode et du luxe, et surtout, présente les solutions qui vont permettre à ses dirigeants de maintenir, face aux effets du changement climatique, la disponibilité des matières premières de qualité situées au cœur de sa proposition de valeur. »
Photos : Une filière de cachemire en Mongolie avec Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières - Récolte du coton bio Coop Naturaline.