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« Madame Cardin, à la cour du dernier empereur du monde », Sylvana Lorenz signe un nouvel ouvrage

Par Sharon Camara

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Culture|INTERVIEW

Avec « Madame Cardin, à la cour du dernier empereur du monde », Sylvana Lorenz signe son deuxième ouvrage consacré au grand couturier, disparu le 29 décembre 2020, à l’âge de 98 ans.

Celle qui l’a côtoyé pendant plus de 30 ans et qui a été en charge de la communication de l’espace Cardin de 1998 à 2015, aborde, avec cette biographie, les moments forts de la vie de Pierre Cardin mais aussi ses zones d'ombres: ses amours homosexuelles, l’emprise qu'il exerçait sur son entourage et ses déboires industriels.

Pour FashionUnited, l’écrivaine aux multiples facettes se livre à cœur ouvert sur sa vie aux côtés du créateur et homme d’affaires.

Qu'est ce qui différencie ce nouvel ouvrage du premier « Pierre Cardin, son fabuleux destin », sorti en 2006 ?

Lorsque j’ai sorti la première biographie, Pierre Cardin était encore vivant. À l’époque, il ne voulait pas qu’on parle de son homosexualité et c’était son seul soucis. Il faut bien comprendre que Pierre Cardin est né en 1922 et à l'époque on mettait des gens en prison pour ça. Il est né dans une famille catholique pratiquante italienne et c'était considéré comme une honte sociale. Même en 2021, vous avez des homosexuels qui n’osent pas l’assumer à cause de cette pression donc imaginez à cette époque ! Ce nouvel ouvrage est publié après sa mort, donc ce n'est plus une atteinte à sa personne, je peux parler plus librement. Je peux parler de mon histoire d’amour avec lui, ce que je n'ai pas fait dans le premier. Je m’étais aussi privée à cause du regard de la famille.

Justement, savez-vous si la famille de Pierre Cardin a entendu parler de ce livre ?

D’abord il faut savoir qu’il a une grande famille. Toute sa vie, il a été rejeté par la plupart des membres de sa famille. La seule avec qui il avait une relation c'était Jeanine, sa sœur aînée. Les deux filles de Jeanine sont encore vivantes mais je ne suis pas en contact avec elles. Par contre, j’ai connu Rodrigo Basilicati-Cardin, son petit-neveu. Je lui ai envoyé un texto lorsque j’ai reçu les premiers exemplaires du livre. Je le connais depuis qu’il a 27 ans, je l’ai vu évoluer dans l’entreprise donc par respect, j’ai proposé de lui envoyé l’ouvrage. Je n’ai pas eu de réponse. Jusqu’à présent, c’est silence radio. Je ne sais pas quoi penser puisque les silences sont difficiles à interpréter : est-ce un « oui »? Un « non »? Ou alors une manière de dire « je vais réfléchir »? Je ne sais pas.

Facebook Sylvana Lorenz

Avec ce livre, quel message souhaitez-vous faire passer?

Je ne voulais pas mourir sans avoir raconté ce que j'ai vécu. Je l'ai fait par rapport à moi, c’est une démarche personnelle et égoïste.

Je suis fascinée par ce monsieur depuis que j’ai neuf ans. Ma mère ne s'intéressait pas à moi et j’en souffrais beaucoup. J’ai vu qu’elle portait plus d’intérêt aux personnalités dans les magazines et surtout à Pierre Cardin. À l’époque, il était en couple avec Jeanne Moreau. Donc j’ai vu cet homme et j’ai dit à ma mère que lorsque je serai grande, j'irai à Paris et je l’épouserai. C'était un transfert affectif, à cause de ma mère. À partir de ce moment-là, je me suis mise dans la tête d'aller à Paris et d'épouser cet homme, donc il représente un homme idéal que je voulais épouser depuis longtemps.

S'il y a une personne qui devait raconter son histoire, c'était moi.

J’ai cet homme dans la tête depuis mes neuf ans et aujourd’hui j’en ai 68 ! C’est quand même toute une existence. Ce n’était pas un homme auquel on avait accès facilement et il a réussi à s’ouvrir à moi. Je sais qu'il m'a aimé mais d’une façon différente de la mienne. Je pense qu'il a toujours regretté de ne pas pouvoir vivre avec moi, avec une femme qui lui aurait sûrement apporté une famille, une justification et une paix sociale.

C'est une biographie témoignage, que je sors. Je raconte ce que j'ai vécu, ce qu'il m' a raconté. Il m’a dit des choses qu’il n’a partagé avec personne d’autre. S'il y a une personne qui devait la raconter c'était moi, parce que je suis une femme et que quelque part, il aurait voulu être un homme à femme. Je crois que ça un lien avec son homosexualité, il avait honte de ça, il voyait son orientation comme un malheur, une malédiction. Il n’a pas voulu qu’on ait d’enfant et c’était pourtant la seule chose qu’il n’avait pas réussi dans sa vie. Cela a été très difficile pour moi, mais plus tard il m'a dit la vérité, c’est comme s’il s'infligait une punition. Donc j’ai voulu raconter mon histoire, ma souffrance car j'ai failli perdre la vie dans cette affaire.

Vous avez écrit sur votre compte Instagram qu'il vous a fallu trois ans pour écrire le roman, quel a été l'élément déclencheur ?

Sa disparition. Il faut savoir que l’espace Cardin, dont j’étais la chargée de communication, a fermé en 2015 et à partir de ce moment-là, je ne travaillais plus pour lui, j'ai été mise en licenciement économique. Pour moi, c'était grave de ne plus pouvoir le voir. J’ai pu le supporter car il continuait à m'inviter dans sa vie, à déjeuner, à dîner, à aller en soirée. Il me prenait la main, me disait qu’il m'aimait. Je ne faisais plus partie de son entreprise mais j'étais toujours dans son cœur. Ensuite, il a commencé à être malade et je le voyais dépérir, j'avais de moins en moins accès à lui et chaque fois que je ne pouvais pas le voir, j’essayais de me connecter à lui à travers l’écriture.

Je passais toutes mes journées dans mes souvenirs, dans mes carnets, mes vidéos et j'étais consciente du choc que j’allais avoir à sa mort. Ce livre a été comme un pansement et la motivation vient de la séparation.

Qui est Sylvana Lorenz ? Comment est-ce que vous pouvez vous décrire?

Par rapport au livre, je dirais que je suis une femme d'art, une passionnée et une engagée. Les gens disent souvent que j’ai été la muse de Pierre Cardin mais en fait, c’est plutôt lui qui a été ma muse ! J'ai toujours considéré que Pierre Cardin était un des artistes de mon écurie. Médiatiquement c'est Jeanne Moreau qui l'a mis en lumière en 1962. Avant ça, on ne savait pas qui il était. Bien-sûr c'était un couturier qui avait beaucoup de talent, mais il n’avait pas une grande notoriété. Avec cette histoire, il a été placé sous les projecteurs pour ensuite retomber dans l’anonymat. Je suis la deuxième femme avec qui il a eu une relation amoureuse et qui l'a relevé médiatiquement. J’ai été une femme de média, j’ai été employée par M6 et TF1. Je l'ai mis sous les projecteurs, j'ai mis mon talent au service de cet homme donc je dirais que je suis une femme dénicheuse de talent et que j'ai fait ressortir le talent de Pierre Cardin qui était tombé dans l'oubli. Je ne l'ai pas fait, mais je l'ai refait, après Jeanne Moreau.

  • « Madame Cardin, à la cour du dernier empereur du monde», de Sylvana Lorenz est disponible depuis ce jeudi 25 novembre 2021, aux éditions de l'Archipel.

Crédit : Pierre Cardin. Image via Ahlers AG

Pierre Cardin