Yann Rivoallan, président de la FFPAPF : « La relocalisation est au cœur de notre mission et j’y crois ! »
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Muté à la présidence de la Fédération Française du Prêt-À-Porter Féminin (FFPAPF) en juin 2022, et également Vice-Président de l’Union Française des Industries Mode et de l'Habillement (UFIMH), Yann Rivoallan a, à charge, plusieurs missions : outre le fait de continuer sur la voie de la digitalisation des entreprises, amorcée par son prédécesseur, Pierre-François Le Louët, il s’agit aujourd’hui de les engager sur le chemin de la responsabilité sociale et environnementale. À ce jeu, la route la plus rapide est le circuit court et, si on va par-là, la nécessaire réindutrialisation de l’appareil textile français. Un chantier d’envergure sur lequel il va bien voulu s’entretenir avec FashionUnited.
Croyez-vous en une possible réindustrialisation de la France ?
Yann Rivoallan : La pandémie fait que les entreprises qui ont choisi de sourcer loin, et notamment en Asie, pour privilégier une politique de prix bas vont être mises à mal. En effet, il n’y a pas de deuxième Chine. Le pays représente 45 pour cent de la production mondiale dans le secteur de l’habillement. Comme vous le savez, elle se referme et son marché intérieur grandit et, en même temps, ses prix de vente augmentent. Mécaniquement, il va falloir trouver d’autres solutions.
La donne est ainsi en train de changer au profit des entreprises du secteur qui ont fait le choix d’un circuit d’approvisionnement de proximité, qui ont développé leur image de marque, la valeur de leurs produits, mais aussi les ventes en multicanal qui mixent réseau de boutiques et commerce en ligne.
Du côté des consommateurs, si le prix des produits « fabriqués en France » est le premier facteur d’arbitrage et le premier frein à la relocalisation de l’activité, la donne est aussi en train de changer : grâce aux nouvelles technologies, nos industriels peuvent produire au plus juste, plus rapidement et donc être compétitifs. Il y a de très belles initiatives qui sont déjà couronnées de succès. Je pense au Slip Français, Atelier Tuffery, Lener Cordier, etc.
Quel est le pourcentage de vêtements fabriqués en France ?
Il y a actuellement 3 pour cent de vêtements fabriqués en France, tous secteurs confondus (chiffres de l’UFIMH). Mais il n’est pas insensé de penser que, si la filière se mobilise, le made in France pourra remonter à dix ou 15 pour cent des ventes en France et que l’emploi puisse doubler ou tripler. Le défi d’aujourd’hui est de fabriquer intégralement un vêtement en France, de la filature à la confection, en passant par le tissage et la teinture. Idem, c’est en train de changer. Une marque comme 1083 propose des pièces dont une partie du filage, cent pour cent de la teinture, du tissage et de la confection se font en France. Un label tel que « France Terre Textile » garantit que 75 pour cent des étapes de fabrication ont eu lieu dans l’Hexagone.
Nous nous devons également d'avoir une vision et une ambition européennes car les leviers économiques sont là. Nous avons la chance d’être sur un continent avec de fortes expertises complémentaires. Nous allons dans la bonne direction et je suis très confiant !
Beaucoup de métiers manuels ont disparu ou disparaissent, comment gérer, en termes de formation professionnelle, leur retour en grâce ?
Nous menons en partenariat avec la FHCM deux très belles campagnes :
- « Savoir pour Faire » est une plateforme qui valorise à la fois les savoir-faire uniques de la filière mode et luxe française, la richesse de ses quatre-vingts métiers techniques, de ses 250 formations et de ses emplois mais aussi un espace dédié qui vise à communiquer des informations claires, à mettre en relation les entreprises et les demandeurs d’emploi et à faciliter le recrutement.
- Le « Forum de la Mode », un événement dédié aux collégiens et lycéens et financé par les ministères de la Culture et de l’Économie, ayant pour objectif de présenter ces métiers méconnus.
La bonne nouvelle est que les effectifs se sont stabilisés et que ces métiers redeviennent désirables. Les entreprises et les ateliers de la mode et du luxe ont besoin de recruter 10 000 personnes par an dans les métiers techniques. Les principales professions en tension sont les prototypistes, couturières, coupeurs, mécaniciens régleurs, conducteurs d’équipements.
Il semble que le faible attrait financier puisse expliquer le manque d’attrait pour ces métiers de la main. « Les jeunes ne veulent plus faire ça », est une phrase souvent entendue. Que pouvez-vous dire à propos des rémunérations ?
Concernant les salaires, si le salaire moyen d’un couturier se situe autour de 1 700 à 2 200 euros bruts par mois, un responsable de production touche une rémunération entre 45 000 et 60 000 euros bruts annuels, la rémunération médiane d’un Concepteur 3D est de l'ordre de 36 000 euros bruts annuels, un responsable RSE touche en moyenne 47 000 euros brut annuel.
Il faut aussi noter que nos métiers sont souvent synonymes de « carrières », il y a tant de jolis parcours de vie dans nos entreprises. Le secteur de la mode est un vrai vivier d’emplois en France. Dans le pays, près de 600 000 emplois sont directement liés à cette industrie. Et si on prend en compte les emplois indirects - transports, communication, événementiel… - le secteur de la mode génère carrément un million d’emplois dans l’Hexagone.
Quid de l’appareil industriel qui s’est désossé ? comment faire revenir des machines ? en reconstruire de nouvelles ?
Depuis quelques années, les sites de production se déploient, les manufactures investissent dans leur appareil industriel. Plus de 780 projets de relocalisation et de développement d'activités sont d'ailleurs déjà soutenus par le plan Relance du gouvernement, parmi lesquelles ceux de Petit Bateau (Aube), Tricot Saint-James (Manche), Safilin (Pas- de-Calais) ou Velcorex (Haut-Rhin).
La digitalisation de notre industrie, notamment avec des solutions telles que celles de Lectra, permet de mieux maîtriser les coûts. Tous ces logiciels qui planifient la production et adaptent la découpe permettent d’économiser 10 à 20 pour cent de chutes en moyenne, soit deux à quatre pour cent de matière et on réduit les déchets de dix à vingt pour cent. Grâce à la technologie, nos entreprises sont aussi plus réactives et nos délais de fabrication plus courts permettant ainsi de développer de nouveaux modèles d’avenir telles que la fabrication à la demande.
Quel est le process vertueux pour produire en France à prix accessibles ?
Des produits plus responsables, et donc à valeur ajoutée. Une fabrication et une distribution plus digitales et innovantes, pour améliorer les marges. Un lien plus intense entre les façonniers européens et les marques. Des marchés internationaux intéressés par notre savoir-faire. Ces quatre facteurs clés de succès seront le futur de la Mode Française.
La « sustainability » est devenue le passage obligé des marques de mode, tous niveaux de gamme confondus. Comment les aidez-vous à être plus responsables, transparentes ?
Il est urgent de repenser le modèle de notre filière et je me réjouis de constater que de nombreuses marques ont d’ores et déjà évolué vers une mode responsable. Je note aussi que 99 pour cent des marques qui se lancent ont cette dimension. C’est très encourageant !
Cela correspond aussi à une demande du consommateur qui affirme un vrai désir de qualité, d’authenticité, de sortir de l’uniformité des productions de masse. Ils cherchent des vêtements qui ont une histoire et c’est pour cette raison qu’ils se tournent beaucoup vers une production plus locale qui porte une forme d’héritage et véhicule une histoire. Les nouvelles lois vont dans ce sens : plus de transparence, plus de traçabilité. Les fabricants ont aussi un rôle capital : quand il y a collaboration entre marques et fournisseurs, la traçabilité et la transparence deviennent beaucoup plus faciles.
Le succès de marques comme Loom, Patine (deux marques que nous avons accompagnées dans le cadre de notre programme Talents), l’engagement pour le « made by » porté par De Bonne Facture ou encore la transformation de Bash et tant d’autres me font dire que nous allons dans la bonne direction.
Comment pouvez-vous aider, via la Fédération, ce nouvel impératif qu’est la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ?
Depuis plus de 3 ans, nous avons mis en place - avec le soutien du DEFI - de nombreuses aides pour accompagner les marques dans la digitalisation (le PAD) et leur transformation RSE (le PARSE). Nous avons aussi publié plusieurs guides sur l’écoresponsabilité (toujours avec le soutien du DEFI) : un guide sur les approvisionnements responsable, un sur l’écoconception et le tout dernier sur la communication responsable. La RSE est au cœur de notre accompagnement : nous avons une responsable RSE, Adeline Dargent, qui très active dans ces changements de législations et au contact quotidien des marques.
Par ailleurs, nous venons de recruter un expert du secteur, Thibaut Ledunois, notre nouveau directeur du service Entrepreneuriat. Il vient de chez Ethiwork, une agence qui accompagne les marques sur tous ces sujets. Aux côtés d’Adeline Dargent, il pourra accélérer cette mutation de nos marques et leurs attentes grandissantes.