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L’industrie de la mode face aux défis du changement climatique

Par Guest Contributor

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Image d'illustration du changement climatique. Crédits : Photo de Markus Spiske via Pexels

Bruxelles - Accusés de ne pas réduire suffisamment leurs émissions de gaz à effet de serre ou de faire des déclarations mensongères sur leurs engagements durables, des multinationales et des États membres de l’UE sont traînés devant la justice par des ONG et des citoyens. Ces dernières années, plusieurs actions ont été menées contre eux.

Rédigé par

Lucas Falco (avocat) et Annea Bunjaku (juriste), EDSON LEGAL

Si, à ce jour, les litiges liés au changement climatique concernent principalement les gouvernements (voir l'affaire Urgenda contre le gouvernement néerlandais*) ou les multinationales (voir l’affaire du «peuple contre Shell»**), les entreprises de mode non plus ne sont pas épargnées.

Même si aucune action concrète n’a été engagée pour l’heure contre une entreprise de mode, des procédures légales pourraient être initiées si des ONG ou des citoyens constatent que ces entreprises ne sont pas totalement transparentes sur l’impact de leurs activités sur le changement climatique.

Cette hypothèse pourrait aussi impacter les gouvernements, qui seraient alors accusés de ne pas avoir su anticiper en établissant des lois strictes sur le recyclage d’articles de mode. Pour aller plus loin, les autorités pourraient même envisager d'adopter des lois strictes qui s'appliqueraient à l'industrie de la mode et affecteraient directement la rentabilité de ces entreprises.

Plusieurs tribunaux en Europe se sont retrouvés face à des cas de communication trompeuse liée au respect de l’environnement ou à la durabilité. Une communication mensongère qui concerne divers produits dont des vêtements. Certains cas seront évoqués dans cet article.

Nous présenterons, dans un premier temps, les initiatives de l'industrie de la mode visant à lutter contre le changement climatique, puis nous nous concentrerons sur les déclarations de l'industrie relatives à la durabilité.

L'impact de l'industrie de la mode sur le changement climatique

Le changement climatique a un impact direct sur l'industrie de la mode : à travers les sources d'eau, les niveaux de pollution, ainsi que tout ce qui touche aux pratiques agricoles utilisées pour la production de certaines matières. Des éléments qui ont un impact significatif sur l'équilibre écologique de la planète.

Les répercussions sur l'environnement étant considérables, l'industrie de la mode s'est engagée, à travers la Charte de l'industrie de la mode pour l'action climatique, initiée par les Nations unies, à adopter un comportement plus responsable. Ce document signé par 101 entreprises de mode, énonce 16 principes visant à réduire de manière significative les émissions de gaz à effet de serre, à encourager les pratiques durables et à encourager les initiatives légales. Il s'agit d'un élément clé pour pousser l'industrie de la mode à s’engager en faveur de pratiques plus responsables.

Les entreprises du secteur de la mode subissent des transformations importantes en raison du changement climatique. Le secteur est contraint de modifier ses habitudes et de mettre en œuvre des méthodes de production différentes. Celles-ci font l'objet d'un examen minutieux en raison de leur contribution largement reconnue aux émissions de carbone. L'industrie de la mode produit 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre par an, soit plus que les émissions des voyages internationaux et des transports maritimes combinés, ce qui est considérable. Plusieurs études estiment que d'ici 2030, les émissions du secteur pourraient augmenter de plus de 60 %. Afin de limiter l'impact environnemental de la mode sur le changement climatique, les acteurs du secteur sont vivement invités à recourir à des sources d'énergie renouvelables et à réévaluer leurs méthodes de production.

Les entreprises du secteur de la mode sont confrontées à des défis importants liés au changement climatique. Le secteur est responsable d’émissions de gaz à effet de serre, de pollution de l'eau et de l'épuisement de certaines ressources en raison de la production massive d’articles. Cette problématique est parfaitement illustrée par l'industrie de la fast fashion et les quantités importantes de déchets textiles que l’on retrouve en Europe mais surtout sur des plages dans des pays en voie de développement. Il est important de noter que l’industrie de la mode est la deuxième plus grande consommatrice d'eau au monde. Pour produire ne serait-ce qu’une chemise en coton, il faut environ 2 700 litres d'eau, et jusqu'à 10 000 litres d'eau pour fabriquer un jean. Par ailleurs, la deuxième source mondiale de pollution de l'eau est le processus de teinture, qui est essentiel à la fabrication des textiles. Des restes de teinture sont parfois retrouvés dans des ruisseaux et des rivières, confirmant l’impact négatif de cette pratique sur l’environnement.

Afin d’évoluer, l’industrie de la mode doit adopter des pratiques plus durables. En encourageant les comportements éthiques, la mode, connue pour sa créativité, pourrait séduire davantage les consommateurs tout en atténuant son impact néfaste sur la planète.

Quand des entreprises de mode se lancent dans une communication mensongère

L'industrie de la mode a été confrontée à plusieurs reprises à des cas de déclarations trompeuses liées à la protection de l’environnement. Ci-dessous, quelques cas récents qui ont eu lieu en Europe.

Aux Pays-Bas, l'Autorité néerlandaise pour les consommateurs et les marchés («ACM»), a constaté que l'enseigne de fast fashion H&M utilisait à tort des termes liés à la durabilité en employant les mots «Conscious» et «Conscious Choice», sans détailler les avantages écologiques associés aux produits concernés. Dans le même registre, l'entreprise française de grande distribution d’articles de sport et de loisirs, Decathlon, ne précisait pas non plus les avantages environnementaux de son label de durabilité «Eco design». En conséquence, ces marques de mode se sont engagées à faire des dons de 400 000 et 500 000 euros à des causes respectueuses de l'environnement afin de compenser le manque de clarté de leurs déclarations en matière de développement durable.

L'entreprise de mode H&M a également fait l'objet d'un examen minutieux de la part de l'Autorité norvégienne de la concurrence pour des pratiques trompeuses concernant la «Conscious Collection» de l'entreprise, qui ne comportait aucune définition légale des termes «durable», «vert» et «respectueux de l'environnement».

Au Royaume-Uni, l'autorité britannique de la concurrence et des marchés, la CMA (Competition and Markets Authority), a récemment annoncé que, dans le cadre d'une enquête plus large sur le greenwashing, elle s'intéressait à des détaillants de mode tels que ASOS, Boohoo et George, situé dans le magasin Asda. L'enquête vise à déterminer si les consommateurs sont trompés par les entreprises qui s'auto-proclament respectueuses de l'environnement et du développement durable.

D'autres facteurs importants sont pris en compte, tels que le type de matériaux utilisés pour la conception des pièces, leurs origines, ainsi que les termes utilisés dans la description, qui sont parfois vagues et peuvent tromper le consommateur sur le caractère durable et respectueux de l’environnement des produits.

Les revendications écologiques d'autres enseignes de mode, telles que Mango, Primark, Tesco F&F et Zara, adeptes de formules qui se veulent engagées telles que «committed», «made faithfully», «join life», font l'objet d'un examen minutieux. Elles sont aussi accusées d’avoir partagé aux consommateurs des informations confuses et de manquer parfois de transparence. La plupart de ces marques ont entamé une transition utilisant des matériaux à peine plus qualitatifs tout en continuant à produire en grande quantité.

D'autres entreprises de mode font l'objet de vives critiques pour avoir qualifié leurs produits de durables et respectueux de l’environnement sans pour autant être transparente sur la composition et la provenance des matériaux utilisés pour leurs articles. C’est le cas de la marque japonaise de prêt-à-porter, Uniqlo. Aux États-Unis, les affaires judiciaires liées au développement durable se multiplient. Dans l'affaire civile «Lee contre Canada Goose», le juge de New York a rejeté une demande de non-lieu pour Canada Goose, qui aurait trompé ses clients sur la source éthique de la fourrure utilisée pour ses manteaux. Le tribunal s’est prononcé en faveur du plaignant, tout en estimant que les accusations n’étaient pas extrêmement graves même si ces promesses étaient de nature à tromper les clients.

Certains régulateurs de la concurrence publient des recommandations afin de montrer aux entreprises comment elles pourraient aborder les questions de protection de l'environnement. L'ASA britannique (l'Advertising Standards Authority britannique qui est l'organisme d'autorégulation de l'industrie de la publicité), dans son rapport sur les revendications écologiques, a donné son avis sur la manière dont les déclarations de durabilité doivent être claires et prendre en considération le cycle de vie complet du produit présenté, sauf indication contraire. Elle estime aussi que les affirmations de durabilité ne doivent pas être considérées comme exhaustives s'il n’existe aucune confirmation scientifique.

Pour lutter contre les revendications écologiques abusives, les autorités ont enquêté sur l'un des systèmes d'évaluation de la durabilité les plus connus de la Sustainable Apparel Coalition (SAC), à savoir l'indice Higg. Dans un rapport conjoint de l'ANC norvégienne et de l'ACM néerlandaise, publié en août 2022, l'impact environnemental de la production de vêtements à partir de certains tissus a été analysé et il a été conclu que les déclarations des distributeurs norvégiens n'étaient pas suffisamment corroborées par les données de l'indice Higg MSI. Par conséquent, cela pourrait facilement être considéré comme trompeur et contraire à la législation de l'UE. La marque de vêtements norvégienne Norrøna s'est donc vu interdire d'utiliser cet outil pour faire valoir ses affirmations en matière d'environnement.

Futures lois européennes sur les déclarations environnementales et les pratiques de «greenwashing»

Au cours des deux dernières années, la Commission européenne a présenté deux grandes propositions de lois visant à garantir le bien-fondé des allégations écologiques («La proposition de directive sur les allégations écologiques») et à empêcher les pratiques de «greenwashing» («Directive sur la lutte contre le greenwashing»).

Proposition de directive sur les allégations écologiques

La proposition de directive sur les allégations écologiques introduit des critères communs contre les allégations environnementales trompeuses. Elle exigerait des entreprises qu'elles respectent des conditions minimales lorsqu'elles justifient et communiquent des allégations environnementales. Ces exigences s'appliqueraient aux déclarations explicites et viseraient également à prévenir la prolifération de nouveaux labels environnementaux publics et privés.

En outre, la proposition de directive sur les allégations écologiques n'autorise plus les étiquettes qui utilisent une notation globale de l'impact environnemental général du produit. Les labels environnementaux seraient davantage réglementés afin d'éviter leur prolifération. Les nouveaux systèmes d'étiquetage publics ne seraient pas autorisés et les nouveaux systèmes privés devront être évalués avant d'être approuvés.

La proposition de directive sur les allégations écologiques n'a pas encore été formellement approuvée au moment de la rédaction de cet article, mais il est très probable qu'elle soit adoptée dans le courant de l'année 2024.

Directives anti-greenwashing

La directive anti «green washing» de la Commission modifie la directive sur les pratiques commerciales déloyales 2005/29/CE («UCPD») et la directive sur les droits des consommateurs 2011/83/UE afin de donner aux consommateurs les moyens d'assurer la transition écologique grâce à une protection renforcée contre les pratiques déloyales et à une meilleure information.

La directive relative à la lutte contre le «greenwashing» modifie notamment la directive sur les pratiques commerciales déloyales afin d'inclure dans la liste des pratiques commerciales déloyales trompeuses et interdites les pratiques suivantes : «faire des déclarations environnementales généralisées et vagues» et «afficher un label de durabilité volontaire qui n'est pas basé sur un système de vérification par une tierce partie ou approuvé par les autorités publiques».

Le Parlement européen et le Conseil de l'UE sont parvenus à un accord sur le contenu de la directive relative à la lutte contre le «greenwashing». La directive devrait être publiée au Journal officiel de l'UE en ce début d'année 2024.

Les futurs défis environnementaux pour le secteur de la mode

L'industrie de la mode sera confrontée à des défis importants dans un futur proche. Le renforcement des exigences en matière d'allégations environnementales aura un impact considérable sur les entreprises actives dans le secteur de la mode, qui font déjà l'objet de poursuites judiciaires dans plusieurs pays européens. Les entreprises de mode devront s'assurer que les labels et les allégations qu'elles affichent sur leurs vêtements sont basés sur des preuves scientifiques afin de prévenir tout risque de poursuites judiciaires. En outre, bien que cela soit un peu plus improbable, elles pourraient être confrontées à des exigences plus strictes en termes de recyclage et de réutilisation de la part des pays dans lesquels elles vendent leurs produits, en raison de l'augmentation des litiges liés au changement climatique.

Image d'illustration du changement climatique. Crédits : Photo de Markus Spiske via Pexels

Cet article a été traduit et édité en français par Sharon Camara.

Sources:
- *Urgenda Foundation v. State of the Netherlands Climatecasechart.com (Climate Change Litigation Database) filing date 2015
- **Milieudefensie et al. v. Royal Dutch Shell plc. Climatecasechart.com (Climate Change Litigation Database) filing date 2019
- Exxon Mobil Corp. v. Office of the Attorney General Climatecasechart.com (Climate Change Litigation Database) filing date 2016
- Matthew Hilbberd, ‘Key challenges for the fashion industry in tackling climate change’, Studies in Communication Sciences 18.2 (2018), p.383 and pp. 393-394.
- Business Insider article ‘How Fast Fashion Hurts the Planet Through Pollution and Waste’ by Morgan McFall-Johnsen, 21 October 2019
- United Nations Climate Change 'Fashion Industry, UN Pursue Climate Action for Sustainable Development', 22 January 2018
- ACM publication Commitment decision for H&M regarding sustainability claims, 13 September 2022
- Business Human Rights Resource Centre article ‘Netherlands: H&M and Decathlon to remove sustainability labels from products following investigation by regulator into potentially misleading claims’ , 14 September 2022
- Gov.UK CMA 'ASOS, Boohoo and Asda: greenwashing investigation', 26 January 2023
- Greenpeace blog ‘Fashion greenwash: how companies are hiding the true environmental costs of fast fashion', 24 april 2023
- Earth.org '5 Fast-Fashion Brands Called Out for Greenwashing' by Martina Igini, 24 August 2022
- Proskauer on Advertising Law 'United States District Court Southern District of New York against Canada Goose Us, INC.', filed June 2021
- Asa.Org.uk The Cap Code Environmental Claims
- ACM & Norwegian Consumer Authority report ‘Guidance to the sustainable apparel coalition environmental claims in marketing towards consumers based on the Higg msi’, 5 October 2022
- EU Unfair commercial practices: https://eur-lex.europa.eu/EN/legal-content/summary/unfair-commercial-practices.html
- European Commission ‘Green Claims Directive Proposal’ 22 March 2023: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52023PC0166
- European Commission ‘Anti-Green Washing Directive’, 30 March 2022: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52022PC0143&qid=1649327162410
- European Commission ‘Unfair Commercial Practices Directive’, 11 May 2005: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:02005L0029-20220528
- European Commission ‘Consumer Rights Directive’ 25 October 2011: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:02011L0083-20220528

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