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Fashion Reboot 2024 : Trump, marché chinois, défiance des consommateurs et Quiet Luxury

Par Florence Julienne

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Business|COMPTE RENDU
Gildas Minvielle et Lucas Delattre, Fashion Reboot 2024 Credits: F. Julienne

L’élection de Donald Trump, la perte de vitesse des marques de luxe françaises sur le marché chinois, le sentiment d’être dupé par le marketing et la force tranquille du Quiet Luxury sont les quatre principaux thèmes abordés par l’Institut Français de la Mode, à l’occasion de son Fashion Reboot 2024.

Ce traditionnel rendez-vous fixé par l’Institut Français de la Mode (IFM) aux professionnels du secteur permet, chaque fin d’année, de faire le point sur l’actualité sociétale et économique de la mode, le tout agrémenté de témoignages sur des profils gagnants ou porteurs de nouvelles idées.

La matinée de ce jeudi 21 novembre 2024 démarre au quart de tour avec une question brûlante : que faire face au retour de Donald Trump ? « Le prendre aux mots, il croit ce qu’il dit et il ne croit pas à la mondialisation, explique le premier intervenant, Alain Frachon, éditorialiste au journal Le Monde. En ce qui concerne la guerre en Europe, il ne veut plus y participer, il veut un cessez-le-feu, quitte à ce qu’il y ait des concessions territoriales. Ce sera aux Européens d’assurer leur sécurité. »

« Idem pour les tarifs douaniers qualifiés par le futur président de "more beautiful than love" (plus beaux que l’amour) et idem pour l’accord de Paris sur le climat dont il souhaite sortir », renchérit l’éditorialiste. Et même s’il n’aura pas les coudées franches, vu qu'il n’a pas le congrès derrière lui, la négociation économique diplomatique et le lobbying vont être des leviers d’action pour continuer de vendre aux États-Unis et éviter que les frais de douane explosent (la promesse est de 60 % sur les produits chinois, or, parmi les marques françaises qui exportent, certaines fabriquent en Chine).

Denis Ferrand, Rexecode. Fashion Reboot 2024 Credits: F. Julienne

L’outil de négociation commerciale avec la Chine est de lui imposer de vendre à nos conditions

La Chine, il en est également question. « Pour la première fois, l’État chinois a investi dans la consommation des ménages. Si la Chine n’a pas de marché intérieur, il va lui falloir exporter, or les USA se ferment, rappelle Denis Ferrand, directeur général Rexecode, deuxième intervenant du Fashion Reboot 2024. De fait, l’Europe est le marché spontané et la cible rêvée pour l’économie chinoise. Il faut s’appuyer sur cela pour négocier. Nous devons réfléchir aux conditions dans lesquelles nous acceptons les produits chinois. »

Et d’ajouter que leur technologie est telle, 450 robots pour 10 000 emplois industriels, que le rempart n’est sans doute pas dans la réindustrialisation, « il faut lâcher notre arrogance », mais dans la demande de respect des normes écologiques et sociales. Un point d’autant plus précieux que l’inflation retombant, la consommation française remonte, comme le montrent les dernières études de l’IFM.

La mode, trop chère ? De la défiance vis-à-vis de la qualité

Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’IFM, prend alors la parole pour faire son rapport chiffré de l’activité économique de la mode en France. « Cette année, nous nous sommes particulièrement intéressés aux consommateurs », signale-t-il en introduction. Première donnée : 58 % des marques à enseigne regrettent un recul de la fréquentation.

Si 67,5 % des consommateurs interrogés indiquent que l’inflation a eu une influence sur leur façon de consommer, les verbatims recueillis signalent une perte de confiance dans le produit : « Les vêtements de marques connues sont trop chers et ne sont pas particulièrement durables », « La qualité des vêtements a baissé, je préfère ne pas mettre trop cher vu leur durée de vie ».

Résultat : 46 % des consommateurs ont acheté moins de vêtements au cours des douze derniers mois (27 % ont acheté moins cher, 19 % ont acheté au même prix ou plus cher). Les témoignages recueillis à ce propos montrent leur désinvestissement ou plutôt leur volonté d’investir dans la qualité : « J'achète moins de vêtements bas de gamme et plus de qualité », « J'achète de manière plus réfléchie : au lieu d'acheter quatre pièces, je vais en acheter une, un peu plus chère que je garderai plus longtemps ». Sauf que, comme souvent, il y a la volonté exprimée et il y a les actes.

Fashion Reboot 2024 Credits: Institut Français de la Mode

Decathlon est l'enseigne numéro un des destinations d’achat physiques et en ligne

Dans les faits, les enseignes et les sites internet les plus fréquentés ne sont pas ceux qui peuvent se targuer de briguer l’excellence. Côté boutiques physiques, le podium est occupé par Decathlon (26,9 %), Kiabi (26,9 %) et Zara (17,9 %). Suivis par H&M, Nike, Celio puis Intersport. Côté business en ligne, se trouvent Amazon (26,3 %), Decathlon (21,4 %) et Shein (19,9 %). Talonnés par Zalando, Vinted et Kiabi.

Si, en 2023, le commerce en ligne a connu un recul de 5 %, en 2024, la tendance est de nouveau positive avec une hausse de 1,7 % à fin septembre (+ 7 % par rapport à 2019). L’Observatoire estime que sa part devrait être de l'ordre de 23 % en valeur, dont 6 % pour le trio Shein, Amazon, Temu. De quoi s’inquiéter de la décomplexion des comportements d’achat face à l’ultra fast fashion ?

Oui et non à en croire les propos recueillis par le panel de consommateurs interrogés : « Il m'arrive d'acheter des produits de mode fabriqués en Chine, mais je préfère d'autres origines » (40 %), « J'évite systématiquement d'acheter des produits de mode fabriqués en Chine » (27 %), « Je ne fais pas attention au pays de fabrication lorsque j'achète des produits de mode » (21 %), « J'achète parfois des produits de mode fabriqués en Chine, la qualité me semble comparable à celle d'autres pays » (10 %). Là encore, on peut s’interroger sur la distorsion existante entre ce qui est dit et ce qui est vécu.

À ces faits, il faut ajouter le développement de la seconde main qui pourrait participer au brouillage de la perception du prix par le consommateur. 32 % d’entre eux privilégient systématiquement la seconde main. Aujourd’hui, le marché français de l’habillement, des chaussures et de la maroquinerie seconde main représente près de 12 % des achats. 58 % des enseignes vendent de la seconde main (+ 10 points vs 2023). C'est en projet pour 25 % d'entre elles.

Thomas Delattre, Fashion Reboot 2024 Credits: F. Julienne

La (re)désidérabilité pour la mode passera par la qualité du produit

L’après-midi du Fashion Reboot 2024 est consacré à des sujets d’actualité comme la polarisation de la mode « ultra fast fashion vs ultra luxe », l’intelligence artificielle ou encore la gestion des déchets textiles. Mais ce qui retient le plus notre attention, c’est la volonté de mettre en avant des marques emblèmes du Quiet Luxury. Ce, pour contrarier une certaine fatigue du luxe et de la logo mania.

Dans son intervention, Thomas Delattre, directeur du Fashion Entrepreneurship Center de l’IFM, cite une interview accordée par Frédéric Grangié, président montres et joaillerie de Chanel, au magazine Le Temps : « il y a un facteur inquiétant qui explique pourquoi cette crise va potentiellement durer plus longtemps que les autres : on peut l'appeler "banalisation", je parle plutôt de "fatigue" du luxe. Ce sentiment touche les marchés matures [...] La clientèle est fatiguée d'être matraquée par le luxe. »

Les interventions de Laetitia Mergui, CEO de la maison Lemaire, Freja Day, CEO de Sœur et Guillaume de Seynes, président du pôle amont et des investissements Hermès, vont toutes dans le même sens : le Quiet Luxury. Comprenez : privilégier la création d’un produit au marketing, être gentil, se donner le temps de travailler sa marque « la beauté est dans le chemin », l’indépendance managériale, le savoir bien faire, la réparabilité et la qualité. C'est sur ces valeurs pérennes que le Fashion Reboot clôt son exposé de l’année 2024.

En réssumé
  • L'élection de Donald Trump, la baisse de la demande des marques de luxe françaises en Chine et la défiance envers la qualité des produits sont des préoccupations majeures pour l'industrie de la mode.
  • Les consommateurs privilégient une consommation plus réfléchie, axée sur la qualité et la durabilité, même si les achats chez des marques abordables restent importants.
  • Le Quiet Luxury, privilégiant la qualité du produit au marketing, est présenté comme une réponse à la « fatigue du luxe » et à la surconsommation.
Institut Francais de la Mode