Comment Chanel s'est rapproché en toute discrétion du groupe Rolex
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Baselword va fermer mardi les portes de sa dernière édition. Le salon a perdu de nombreux exposants (ils etaient 1900 il y a quelques années, ils sont quasiment trois fois moins nombreux aujourd’hui) mais les plus grands sont restés, vaillants et impassibles aux tourments de leurs concurrents: il s’agit de Patek Philippe bien entendu mais aussi de Rolex bien évidemment. Une autre maison est restée: on y pense moins quand on parle d’horlogerie pourtant elle s’est taillée, discretement mais surement, une place de premier plan dans cette industrie: il s’agit de Chanel.
Le salon a delivré son lot de nouveautés. Du coté des geants du secteur, les nouveautés les plus prisées étaient des déclinaisons de modèles existants. Pour les modèles totalement inédits, il fallait plutot jeter un oeil vers les start-up (gros coup de coeur pour la jeune maison Reservoir) ou vers les “montres de mode” sans prétention mécanique: on pense par exemple à la maison Gucci qui nous a séduit avec sa nouveauté baptisée Grip, une montre à quartz en acier au design délicieusement singulier.
Mais le vrai interet de Baselword cette année, en dehors du plaisir habituel consistant à découvrir les nouvelles collections, était de constater la puissance intacte ou vacillante des compétiteurs en présence, d’analyser les raisons du départ forcé des maisons ayant choisi bon gré mal gré d’opter pour des stratégies de substitution, mais aussi et surtout de prendre acte et de saluer la pertinence des rapprochements effectués ces derniers mois.
C’est ainsi que, finalement, l’événement le plus spectaculaire de la foire baloise fut la présentation de la montre J12 de Chanel. Au premier regard, la montre n’a pas changé. Pourtant, tout a changé en elle. Et ces changements discrets, à la fois symboliques et effectifs, ne concernent pas que son dessin. Loin de là.
Kenissi: un tremblement de terre dans l’univers de l’horlogerie de prestige
Coté design, la cure de jouvence de cette montre iconique se caractérise par sa subtilité. Arnaud Chastaing, directeur du studio de Création de l’Horlogerie de Chanel, a pris les choses en main avec élégance et doigté : la lunette a été affinée pour augmenter l’ouverture du cadran, la typographie des chiffres et des index redessinée, la largueur de la couronne a été réduite d’un tiers et son cabochon de céramique a été légérement aplani, des indicateurs au niveau des heures ont été ajoutés au chemin de fer intérieur qui a, lui aussi, été redessiné : l’allure est intacte et répétons le encore une fois, il faut vraiment comparer l’ancien modèle et le nouveau coté à cote pour apprécier à leur juste mesure ce relooking. Mais l’essentiel n’est pas la. L’essentiel se loge dans la boite un peu plus épaisse: c’est un nouveau calibre de superbe facture, avec une masse oscillante réalisée en tungstene et reproduisant un cercle parfait, chicissime.
Là où ça devient encore plus intéressant, c’est que ce mouvement automatique exclusif a été conçu et réalisé par la nouvelle manufacture Suisse Kenissi. C’est un détail capital car cette manufacture est le bras industriel de Tudor, deuxieme marque du groupe Rolex. Sous-traitance ? Pas du tout. La nouvelle est pervenue au debut de cette année : un communiqué laconique de onze lignes : la maison francaise annonçait alors qu’elle prenait une participation dans cette manufacture destinée à produire des calibres de haute performance et de grande robustesse. Cette nouvelle concrétisait ainsi un rapprochement surprise entre deux des acteurs indépendants les plus importants de l’industrie mondiale du luxe.
On ne connaissait pas Kenissi il y a encore quelques mois: une usine d’environ 150 mètres de long divisée en deux parties. L’une pour Tudor, l’autre pour Chanel. «Actuellement basée à Genève, Kenissi déménagera dans un nouveau bâtiment au Locle en 2021», écrit Chanel. L’élégance, la qualité du calibre battant désormais dans la nouvelle J12 a donc eu la puissance systémique d’un tremblement de terre dans le cénacle de l’horlogerie de prestige. Un tremblement de terre attesté par la présence inédite et remarquée à Bale des frères Wertheimer. Un tremblement de terre discret, comme seule l’industrie du luxe sait en produire.
Credit photo: Chanel,dr