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Pourquoi le groupe Richemont a-t-il autant besoin de Phoebe Philo ?

Par Herve Dewintre

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Ce fut la grande nouvelle de la semaine. Une nouvelle qui n’est qu’une rumeur, qui elle-même n’a qu’une seule source : le site The Fashion Law. Phoebe Philo préparerait son départ de Celine (groupe LVMH). Ce départ, d’après The Fashion Law, qui cite une source anonyme, aurait lieu dans quelques semaines, après la réalisation et la présentation de la collection automne-hiver 2016/2017. Cette collection sera présentée à Paris le dimanche 6 mars à 13 heures.

D’ici là, cette rumeur n’est que pure spéculation. Elle n’en est pas moins riche d’enseignements. Dans les faits tout d’abord. Il faut constater premièrement que ni Phoebe Philo, ni Celine n’ont jugé utile de confirmer ou d’infirmer cette information. Au royaume de l’information instantanée, ne pas infirmer une rumeur revient quasiment à la confirmer. Deuxièmement, The Fashion Law, sans évoquer les raisons de ce départ éventuel, indique que la directrice artistique serait en pourparlers avec le groupe Richemont qui, contrairement aux groupes LVMH et Kering, dispose dans son portefeuilles de marques, d’un nombre très restreint de maisons liées à la mode ( c’est-à-dire Azzedine Alaïa, Chloé, et… c’est à peu près tout si on excepte les marques Lancel, Alfred Dunhill et Shanghai Tang). La maison Alaia était annoncée comme destination éventuelle. Mais la maison a fermement nié depuis ; il ne reste donc que Chloé : ce qui serait alors un formidable retour aux sources pour Phoebe Philo. Le groupe Richemont et la maison Chloé n’ont souhaité ni confirmer, ni infirmer cette supposition.

Voici pour les faits. Voyons maintenant l’esprit. Primo, le vent de commentaires qu’a suscité cette affirmation, l’ardeur avec laquelle les internautes l’ont partagé, tout confirme la formidable popularité et l’immense impact de Phoebe Philo au sein de la Planète Mode : il suffit de constater la relative indifférence qui a accueilli les départs successifs, cette même semaine, de Stefano Pilati, d’Alessandro Sartori et de Brendan Mullane pour dresser un comparatif significatif.

Deuxio, Phoebe Philo appartient à cette famille de créateurs qui ont toujours fait passer famille et besoins personnels, au premier plan. La directrice artistique britannique, comme chacun sait, fut choisi en 2001 par les dirigeants de Chloé afin de remplacer Stella McCartney dont elle était l’assistante depuis 1997 et l’amie depuis plus longtemps encore. Le poste était bien payé, le talent de la créatrice unanimement salué et respecté, mais cela n’empêcha pas Phoebe Philo de tout quitter en 2006 pour s’occuper de son fils avec son mari Max Wigram, grand marchand d’art. Son retour sur le devant de la scène, n’en fut que plus éclatant, deux ans plus tard lorsque le nouveau patron de Céline la convainquit de rejoindre le groupe LVMH. Elle imposa ses conditions dont la plus spectaculaire fut la suivante : installer le studio de Céline, célèbre maison parisienne, à Londres. LVMH accepta et ainsi, chaque semaine, Joaquim Figueiredo, le chef d'atelier basé à Paris, prit l'Eurostar avec ses toiles et ses échantillons pour montrer son travail au 15, Cavendish Street où la créatrice travaille avec une équipe de quinze designers.

Personne ne peut donc imaginer aujourd’hui que Phoebe Philo ne quitte un groupe aussi puissant que LVMH, groupe qui dès le début de leur fructueuse collaboration a montré de nombreux signes de bonne volonté, pour accepter une offre, sinon comparable, du moins qui satisfasse les exigences importantes (en terme de qualité de vie, de nombre de collections à traiter, de temps pour soi tout simplement) émanant d’une personnalité indépendante qui a toujours su hiérarchiser ses priorités. Elle est en ce sens de la même trempe qu’Azzedine Alaïa, Raf Simons ou même Hedi Slimane qui ont réussi, mine de rien à amener sur le tapis d’ébauche d’une nouvelle donne vis-à-vis des grands groupes.

Richemont, dans la tourmente, mise sur le pilier Chloé.

Du côté de Richemont, la donne est différente et les préoccupations (le franc fort, la transition de la politique monétaire chinoise) sont surement d’un autre ordre. Le groupe de luxe genevois, a vu ses ventes plonger de 4 pour cent au dernier trimestre 2015, à taux de change constant. Un résultat décevant pour cette période primordiale du secteur du luxe : les fêtes de fin d’année. Les analystes déplorent, pour ce dernier trimestre, la faiblesse des affaires des maisons de joaillerie du groupe, notamment Cartier, Van Cleef & Arpels, Piaget, mais aussi des sociétés spécialisées dans l’horlogerie, comme, IWC, Vacheron Constantin, Jaeger-LeCoultre ou Baume & Mercier. Le chiffre d’affaires a reculé de 5 pour cent en valeur réelle par rapport à la période de juillet à septembre 2015. L’Europe a été la région la plus frappée, à cause des attentats qui ont effrayé les touristes, tandis que les ventes en Asie-Pacifique continuent de plonger (-9 pour cent).

Quel rapport cette litanie de chiffres a -t’elle avec Phoebe Philo me direz-vous ? Nous y venons. Contrairement à LVMH qui dispose d’un portefeuille de maisons variées nécessitant des flux de trésorerie bien différents les uns des autres (spiritueux, maroquinerie, luxe, joaillerie, mode etc) et de labels dont les territoires n’empiètent pas les uns sur les autres (ainsi par exemple, les bonnes ventes de Céline, Loewe et Fendi compensent celles, décevantes de Vuitton qui commence à être boudé par les jeunes consommateurs en Chine), Richemont de son coté, paye son manque de diversifications et sa célèbre incapacité à gérer ce que les analystes appellent le « soft luxury ». Le groupe a donc adopté la meilleure défense : l’attaque.

D’ores et déjà, le groupe semble vouloir renforcer de nouveaux relais de croissance et vient d’acquérir la totalité de la manufacture Roger Dubuis qui se situe sur un créneau de niche par rapport à l’horlogerie classique. Richemont dispose aussi d’un pôle mode dont la pépite est Chloé. C’est la seule marque qui semble être, à court terme, un pilier pour Richemont. Sa notoriété forte, sa communication jeune et inventive, axée dur les réseaux sociaux et les nouvelles célébrités, ses produits (le sac Drew par exemple), tout cela séduit la jeune consommatrice chinoise qui se détourne des logos très visibles et achète en ligne. Le groupe Richemont n’aurait que des avantages à offrir à cette maison-relai, tous les avantages médiatiques et créatifs liée à l’arrivée d’une star de la stature de Phoebe Philo. Star qui de surcroît connait bien la maison. On peut se tromper, et ces développements ne sont à ce stade que de pures spéculations intellectuelles, mais la greffe aurait au moins cet avantage d’être assurée des deux côtés. Wait & see.

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