Marco Bizzari, le génie « chouchou » de Kering
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Durant les années 2000, l’organigramme de Kering délimitait en différents pôles les activités luxe, les activités lifestyle (Puma) et les activités distribution. Cet organigramme s’est modifié dernierement. Exit la partie distribution dont l’existence est désormais nulle au sein du groupe de M.Pinault tandis que la partie luxe, du fait de sa prépondérance, est soumise à une franche subdivision. Il existe désormais au sein du groupe, les marques que l’on nomme « émergentes ». Ces marques sont Alexander McQueen, Balenciaga, Brioni, Christopher Kane, Stella McCartney et Tomas Maier. Grita Loebsack est la directrice générale de ce pôle. Les marques joaillerie et horlogerie , c’est-à-dire Boucheron, Pomellato, Dodo, Girard Perregaux, JeanRichard, Qeelin et Ulysse Nardin sont rattachées à Albert Bensoussan. Et enfin il y a les trois marques stars dont les CEO respectifs rendent compte directement à M. Pinault.
Les 3 marques stars. Qui sont-elles ? Les deux premières sont Gucci et Saint Laurent. La troisième est plus inattendue puisqu’il s’agit de Bottega Veneta. Pourquoi inattendu ? Parce qu’ en 2001, lors de son rachat par Kering (qui se nommait alors PPR), cette belle marque italienne fondée en 1966 n’en menait pas large. On la disait même proche de la faillite avec son modeste chiffre d’affaire de 30 millions d’euros. Il faut dire que la marque réputée dans les années 70 et 80, notamment auprès de la jet set qui raffolait de ces produits d’artisanat en cuir, avait pris une voie dangereuse. Abandonnant au cours des années 90 le style épuré initié par Michele Taddei et Renzo Zengiaro, les deux fondateurs de la maison, la marque s’était s’aventurée sur les territoires mouvants de la tendance et du logo. Pourtant, douze ans plus tard, la marque pouvait s’enorgueillir d’un chiffre d’affaire de plus d’un milliard d’euros. Un miracle. Non, un triomphe. Que c’était-il passé ?
Un personnage domine ce triomphe, c’est Marco Bizzari, « Bizza » pour ses amis. 52 ans, italien, né à Emilie-Romagne, ce géant d’1,90 mètre, père de trois enfants, grand lecteur de la revue de géopolitique italienne Limes, conjugue la robustesse d’un sportif aguerri (il est ceinture noire de karaté, amateur de Taekwondo) avec l’aptitude à saisir les nuances d’un grand érudit (il se plonge volontiers dans de volumineux romans). Il est surtout réputé pour sa finesse de management. Il le prouva dès son arrivée chez Kering (Il avait auparavant, successivement dirigé le maroquinier Mandarina Duck puis la société Marithé et François Girbaud) en prenant la tête de Stella McCartney où il fit des prodiges. Son talent le propulsa bientôt à la tête du pole luxe-maroquinerie de la multinationale de M.Pinault. Entretemps il fit des étincelles chez Bottega Veneta en formant avec Tomas Meier un duo très complémentaire.
En totale adéquation avec la vision de Tomas Maier, directeur artistique nommé des 2001, il vivifia la maison italienne en lui faisant retrouver le lustre de ces origines. Fini les énormes logos, voir même fini le logo tout court, retour définitif vers l’artisanat, même si ce fut plus simple à dire qu’à faire (le dirigeant avoua au journal le Monde qu’il n’était pas simple de créer des vocations « « Vicenze n'est pas New York » mais qu’il ne désespérait pas de réussir à convaincre les jeunes générations qu'il existe une part de créativité dans ce savoir-faire artisanal, tout en concédant qu’il faudrait surtout, un jour, payer davantage ces petites mains) sans parler d’une multitude de projets ambitieux qu’il mena de fronts ( par exemple l’aménagement de 200 boutiques, dont celle, éblouissante située via Sant’Andrea à Milan, sans oublier la transformation d’une gigantesque propriété agricole pour y transplanter les salariés de l’ancien atelier historique, ou encore la création de coopératives ouvrières spécialisées en maroquinerie dans la région de Vénétie) le tout, pour ressusciter la gloire et le prestige un temps éteint de la griffe de Vicenze. Et au final – ce qui est exceptionnel – réussir à l’imposer au centre du paysage ultra concurrentiel des marques très haut de gamme qui pour la plupart, sont toutes les mêmes depuis les années 50. Sans jamais changer de cap, et sans jamais essuyer un refus de M. Pinault.
Le redresseur de Gucci
Rien d’étonnant en somme si celui que l’on qualifie volontiers de « chouchou » de Kering se voit vu il y a deux ans, remettre la tache éminemment prestigieuse non pas de redresser, le mot est maladroit, mais de muscler Gucci qui toussotait un peu. Gucci, c’est la perle de l’empire Pinault. 3,56 milliards de CA en 2013, deuxième marque de luxe après Louis Vuitton dans le classement mondial des marques du magazine Forbes. Non, Patricio di Marco et sa compagne (et directrice de la création) Frida Giannini n’ont pas démérité lors de leur quasi-décennie de règne à la tête de la puissante marque florentine. Mais enfin, en 2013, la croissance de la marque s’était tassée, elle avait même reculé en 2014. Bref, M. Pinault a pleinement joué son rôle d’actionnaire, se calquant ainsi sur l’équation choisie par Louis Vuitton avec le remplacement de Marc Jacob par Nicolas Guesquière, pour faire entrer Gucci « dans une nouvelle phase de son développement ».
A priori, M. Pinault ne doit pas regretter sa décision. Marco Bizzari a immédiatement reproduit la vaillante ligne de conduite mise en œuvre chez Bottega Veneta. Changement de directeur artistique des janvier 2015, au profit de Alessandro Michele, 44 ans, passé par l’Accademia di Costume e di Moda de Rome. Un talent discret qui prône le luxe chic, floral et frais et qui connait bien la maison (il était au studio depuis 2002). Les changements apportés ne sont pas spectaculaires mais finement conduits : dans les nouvelles collections, la classe italienne demeure avec ce mélange d’élégance et de sensualité propre aux italiens. Une culture de la lignée et de l’héritage tranquille, affirmé mais serein. Comme chez Bottega Veneta, la carte blanche laissée au créateur est totale, constante et transversale (Tomas Maier s’occupe de tout chez Bottega Veneta, dans les moindres détails ; de la maroquinerie au prêt à porter, aux parfums, aux meubles, jusqu’à l’aménagement des boutiques) ; ainsi, Alessandro Michele peut s’enorgueillir du privilège d’avoir un CEO qui le laisse toucher à tout ce qui porte de près ou de loin au logo Gucci. La Gucci mania qui s’est emparée de la planète mode depuis leurs arrivées respectives prouve avec éclat la pertinence de cette vision. Vers les situations compliquées, Marco Bizzari, qui est un grand voyageur, vole avec des idées simples : notamment celle de savoir s’entourer d’excellents numéro 2 : « Les meilleurs qui soient, capables de me remplacer » afin d’avoir du temps pour penser à l’avenir. A priori, le sien s’annonce brillant.