Madame Carven, doyenne de la mode française, nous a quitté
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Age civil : 105 ans. Et pour l’imaginaire collectif parisien, l’éternelle “plus petite des grandes couturiers”. Celle qu’on appellait Madame Carven, parce que le nom de sa maison de couture venait de la contraction de Carmen, son prénom, et de Boyriven, le nom de famille de sa tante, nous a quitté ce lundi 8 juin. Avec elle, c’est la doyenne de la haute couture qui disparait.
Un demi siècle de couture et d’histoire de France à elle seule puisque Carmen de Tommaso ouvrit sa première boutique dans le quartier de l’Opéra en 1941 avant de fonder sa maison aux premières heures de la Libération, en mai 1945 puis de l’installer - pour longtemps - au Rond Point des Champs Elysées qui gardera longtemps dans les mémoires parisiennes le souvenir de sa mode facile à porter, de ses rayures vivifiantes et de son vichy rose qui symbolisa pour une grande part, toute la joie de vivre de l’après guerre.
Une joie de vivre d’autant plus vive que dans cette première boutique de l’Opéra, Marie-Louise Carven née Carmen de Thomazo connut les déchirures de l’Occupation qu’elle combattît activement en continuant d’employer le couturier-apiéceur Henry Bricianer, juif roumain naturalisé français. Non seulement, elle continua à l’employer, mais elle contribua également à le cacher, lui et sa famille, malgré les atroces lois d’exclusion de Vichy.
Avant Christian Dior et Yves Saint Laurent, Marie-Louise Carven née Carmen de Thomazo, connut le succès dès sa première collection de Haute Couture où flottait une délicieuse robe d’été dont les rayures vertes et blanches propagèrent la gloire de la jeune maison dans le monde entier. Elle fit partie des toutes premières maisons de Haute Couture à investir le prêt-à-porter, territoire idéal pour l'épanouissement des silhouettes espiègles et des robes pimpantes et fraîches imaginées par la créatrice.
Rares sont les domaines qui échappent à l’expertise de la griffe. Ligne de maillots de bain, vetements pour enfants, mailles, le parfum aussi bien sur mais aussi le département Carven Uniformes : un département important puisque la maison signa et réalisa les uniformes d'une quinzaine de compagnies aériennes importantes, . Mais cette explosion jaillissante de licences (cravates, bijoux, foulard, vêtements pour hommes) qui marqua l’apogée de la marque dans les années 70, fut aussi la source de son déclin.
De nombreux changements de propriétaires
Carven fut indépendant jusqu'à la retraite de sa fondatrice en 1993, à l’âge de 84 ans. Plusieurs propriétaires - la Compagnie financière Edmond de Rothschild, la Société marseillaise de crédit (SMC), Apax Partners, la holding Béranger, le fonds Turenne Investissement - se succédèrent entrainant progressivement la société vers les abimes jusqu’à l’arrivée en 2009 de Guillaume Henry qui ressuscita la Maison avec son immense talent. La marque revit aujourd’hui, a ouvert une boutique à Saint Germain des Près puis en Asie ; et la Chambre Syndicale du Prêt-à-Porter des Couturiers et des Créateurs de Mode a réintégré ce glorieux nom dans son calendrier des défilés. En 2010, c’est Frédéric Mitterand, un Ministre de la Culture ému, qui déclarait en remettant à Madame Carven son insigne de Commandeur de la Légion d’honneur et du Mérité « la maison Carven, c'est un peu le lieu de mémoire de la mode française ». 10 ans auparavant, elle avait reçu le titre de Juste parmi les Nations pour avoir continué à employer, malgré les lois d'exclusions de Vichy, le couturier-apiéceur Henry Bricianer, juif roumain naturalisé français,avant de le cacher, lui et sa famille, en mettant sa mère à contribution.