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Clare Waight Keller, de Richemont à LVMH

Par Herve Dewintre

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Les grands groupes de luxe, c’est à dire LVMH, Kering et Richemont, ne se font aucun cadeau et multiplient les prises de guerre. Une guerre froide commencée à l’aube de l’an 2000 lorsque feu-PPR (Pinault-Printemps-La Redoute, aujourd’hui devenu Kering) décida de se lancer dans le luxe grâce à l’appui solide de Tom Ford qui permit à M. Pinault de remporter Gucci. M.Arnault ne leur a jamais vraiment pardonné. Sa colère est entrée dans les annales. La légende raconte que devant son état major rassemblé pour l’occasion, le puissant patron de LVMH dit simplement d’une voix blanche : « La Redoute se lance dans le luxe ». La carrière de Tom Ford ne fut plus jamais vraiment la même par la suite.

Sans même parler des tentatives de prises de contrôle plus ou moins avouées (on ne reviendra pas sur le cas Hermès vs LVMH, cette affaire concerne désormais les historiens), ni des PDG transfuges, on peut dire les principaux coups d’éclats les plus visibles, ceux autour desquels se sont articulés cette guerre froide du luxe cette dernière décennie, concernent les directeurs artistiques. Les exemples pullulent. Citons les plus notables: Hedi Slimane, le bon génie de Dior Homme (LVMH) passé chez Yves Saint Laurent (Kering), Phoebe Philo qui quitte Chloé (Richemont) pour Celine (LVMH). Nicolas Guesquière qui lache Balenciaga (Kering) pour Louis Vuitton (LVMH). Des prises de guerre qui ont fait dire à Suzy Menkes que les créateurs de mode étaient désormais l’équivalent des joueurs de foot: des stars médiatiques qui choisissent leur équipe à chaque saison au gré des propositions financières du moment.

Le dernier exemple en date ne manque pas de sel : Il concerne bien évidemment Clare Waight Keller. Un cas d’école. On pensait tous que la créatrice britannique avait quitté la maison Chloé pour s’installer à Londres en famille. L’information était visiblement incomplète puisqu’elle vient d’annoncer sobrement sur son instagram aujourd’hui qu’un nouveau voyage commençait pour elle. Un voyage chez LVHM, au sein de la maison Givenchy. Elle remplace le directeur artistique Riccardo Tisci, qui a quitté Givenchy à la fin de son contrat qui le liait à LVMH après douze années de bons et loyaux services (il avait multiplié par six le chiffre d’affaires de la griffe, à 500 millions d’euros aujourd’hui).

Le créateur de mode est un intérimaire

Le communiqué décline les habituelles phrases de circonstances : "Le style plein d'assurance d'Hubert de Givenchy a toujours été pour moi une inspiration" déclare Clare Waight Keller. « «Je suis persuadé que ses vastes compétences et sa vision vont permettre à Givenchy de passer à la prochaine phase de son parcours unique», se réjouit Bernard Arnault. Les commentaires sur les réseaux sociaux sont plus partagés.

Notons simplement trois choses. Même si Richemont ne communique pas sur les résultats individuels de ses marques, tout le monde s’accorde à dire que le passage de Clare Waight Keller chez Chloé a été un très grand succès. La marque faisait même très vraisemblablement partie de celle qui ne donnaient aucun souci au groupe Richement, groupe principalement constitué de marques horlogères dont certaines, crises horlogères oblige, sont en difficulté. La rupture entre Richemont et la créatrice anglaise ne vient donc pas du groupe mais de la créatrice. On a bien affaire ici à une prise de guerre de LVMH.

Deuxième constat : les groupes se rendent coup pour coup. Pour remplacer Clare Waight Keller, le groupe Richemont a choisi Natacha Ramsay-Levi. La créatrice française n’est pas une star – pas encore - mais c’était un élément important du dispositif LVMH. Une personne de l’ombre qui officiait aux cotés de Nicolas Guesquière dont elle était le bras droit chez Louis Vuitton. Au jeu des prises de guerres, on peut dire qu’il y a match nul, balle au centre.

Troisième constat, il concerne le respect des groupes de luxe pour l’essence des maisons dont ils sont propriétaires. Il y a certes un aspect grisant, presque comique à compter les points à et voir les directeurs artistiques passant d’une maison à l’autre. On peut aussi, plus sérieusement, se poser la question suivant : est ce que le style des directeurs artistiques est interchangeable à ce point? Le style actuellement impulsé chez Louis Vuitton par Guesquiere et Ramsay-Levi est il adapté à la clientèle de Chloé ? Le style impulsé chez Chloé par Waight Keller est-il conforme à celui composé patiemment chez Givenchy par Guesquière ? On ne le croit pas. A moins de considérer que les directeurs artistiques sont des touches à tout hybrides qui adaptent leur métier (on n’ose même plus parler de vision) en fonction des besoins immédiats de leurs employeurs. Cela n’a rien d’infamant. Après tout, c’est ce que Lagerfeld a fait durant toute sa carrière et cela lui a bien réussi. Lagerfeld représente la synthèse parfaite du créateur touche à tout, qui à l’inverse de Yves Saint Laurent, change de style selon les labels. Il n’est pas anodin de constater que Lagerfeld réussit l’exploit de travailler à la fois pour Chanel et pour LVMH (Fendi). C’est en tout cas cette vision du métier - le créateur est un intérimaire – qui, pour l’instant, s’est majoritairement imposée en ce début de XXIème siècle.

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