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Umòja : « Toutes nos créations sont un hymne au dépaysement culturel »

Par Anne-Sophie Castro

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Mode|INTERVIEW

Lubbugo, Manjak, Bogolan, Faso Dafini ou encore fibre de bananier : l’exotisme est au rendez-vous! De nouveaux tissus végétaux et des techniques de peinture ancestrales, issus de plusieurs pays d’Afrique, prennent vie sur les sneakers d’Umòja. Cette jeune marque parisienne, lancée fin 2017 par deux passionnés de culture africaine, fonde ses valeurs sur une base éthique et solidaire. Une façon originale de rapprocher nos cultures et de proposer à la mode des produits organiques, ultra-résistants et très tendance. À Paris, nous avons rencontré Lancine Koulibaly, venu nous présenter quelques chutes de ces précieux tissus ; les nouveaux joyaux de l’industrie.

FashionUnited : Quelle a été votre démarche pour créer Umòja ?

Lancine Koulibali : Umòja est l’alliance d’un concept moderne et de traditions artisanales et ancestrales. J’ai créé cette marque en binôme avec un ami, Dieuveil Ngoubou. L'idée est née il y a plus d’un an. Nous nous intéressions aux traditions et à la culture africaine et nous en sommes venus à nous demander pourquoi ces textiles traditionnels africains si nobles, travaillés entièrement à la main et responsables écologiquement n’étaient pas assez représentés dans l’univers de la mode.

Un premier voyage en Côte d'Ivoire et au Bénin au mois de mai 2017 nous a permis d'avoir un premier contact avec l'artisanat africain. De retour en France, nous avons travaillé sur l’idée d'associer innovation, tradition et modernité en valorisant ces textiles via un produit avec une large vitrine telle que la basket. Nous avons ensuite recherché un atelier de fabrication de chaussures. Après avoir prospecté des ateliers en France et au Portugal, nous avons finalement opté pour ce dernier.

Parlez-nous de ces tissus originaux que vous avez découverts en Afrique ...

En décembre 2017, nous avons effectué un séjour de quinze jours et parcouru l’Afrique d’Est en Ouest pour aller à la rencontre de ces artisans, afin de nous imprégner de l’essence de leurs savoir-faire, comprendre leurs besoins et les difficultés auxquelles ils font face. Nous nous sommes rendus dans cinq coopératives d’artisans au savoir-faire textile traditionnel spécifique situées au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et à Ouganda.

Chaque coopérative propose un large choix de tissus. certains tissus peuvent demander deux à trois mois de fabrication avec des techniques conservées depuis des générations pour donner un résultat noble, d’une richesse éclatante et exceptionnelle. D’ailleurs, certains tissus et techniques de tissage africains sont aujourd’hui classés au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Notre volonté est, par conséquent, de faire découvrir au monde ce savoir-faire ancestral. Il s’agit d’un savoir-faire authentique qui ne demande que restauration.

Ce voyage fut une grande découverte pour nous. Nous avons pu trouver Le « lubbugo », textile à base d'écorces d'arbres que nous utilisons dans la fabrication de nos chaussures pour remplacer le cuir animal. Cette matière est biodégradable à 100 pour cent, naturelle et brute. Le procédé de fabrication est fastidieux et long. L’écorce est récoltée, puis longuement battue à l’aide de maillets en bois pour lui donner une belle texture. Une fois l’écorce extraite, l’arbre est protégé avec des feuilles pour faciliter le processus de régénération. Nous utilisons également le textile Manjak. Sa particularité réside dans la technique du tissage et des motifs réalisés. Deux à trois artisans par métier à tisser sont nécessaires pour réaliser cette belle étoffe traditionnelle en coton bio. Un savoir-faire qui demande précision, patience et rigueur. Nous avons découvert également le textile Bogolan, qui est une technique traditionnelle de peinture et teinture entièrement végétale pratiquée en Afrique de l’Ouest. Cet art typiquement manuel, utilisant des produits naturels, est issu de la rencontre de l’argile, de la forêt (écorces, feuilles) et du coton. Il constitue un moyen d’expression pour les artisans. Nous utilisons aussi le Faso Dafini, un textile traditionnel du Burkina Faso et des textiles à base de fibres de bananiers et raphia tissés à la main.

Que pouvez-vous apporter au monde de la mode ?

Beaucoup de fraîcheur ! Tous les deux, nous venons de domaines complètement différents de la mode. Nous voulions créer une marque avec de belles valeurs humaines, partager les savoir-faire, créer du lien entre les personnes, de l’artisan vivant en Afrique à celui qui porte une paire de baskets UMÒJA en France ou ailleurs.

Nous avons découvert l’univers de la mode avant de développer la marque Umòja. Nous nous sommes renseignés sur la chaîne de fabrication d’un produit et nous nous sommes rendus compte que non-seulement il y avait plusieurs intermédiaires mais aussi que les matières naturelles et innovantes étaient très peu utilisées. Et toutes les marques utilisent les mêmes matières.

Nous souhaitons changer un peu les règles : proposer des baskets qui seraient avant tout éthiques et solidaires. Nous proposons des chaussures artistiques, uniques et singulières, fabriquées avec des matériaux éco-responsables et travaillées entièrement à la main. Nos chaussures, en plus de promouvoir ces héritages culturels, ont chacune une histoire différente. Entre mélange de matières, créativité et savoir-faire artisanal, toutes nos créations sont un hymne au dépaysement culturel.

Quel est le processus de fabrication des sneakers Umòja ?

Nos baskets mêlent l’art africain à un procédé de fabrication responsable. Nous travaillons en circuit direct avec les cinq coopératives d’artisans. Nous utilisons des toiles qui proviennent de fibres naturelles. Ce sont des toiles en coton biologique, en écorce d’arbre, fibres de bananiers et raphia sourcées directement auprès des artisans avec lesquelles nous travaillons. Nos toiles sont teintes et peintes à base de minéraux et végétaux. Nous avons, par exemple, décidé dene pas utiliser de cuir animal et de privilégier d’autres alternatives comme le liège et l’écorce d’arbre.

La découpe et l’assemblage des matières pour la fabrication des chaussures sont réalisées dans un atelier au Portugal. Nous avons dessiné et formalisé nos collections avec l’atelier d’assemblage à Porto. Cet atelier est spécialisé dans la fabrication de sneakers. Nous bénéficions non seulement d’un savoir-faire de grande qualité mais aussi du respect des droits des salariés.

Vous avez participé à plusieurs concours...quels résultats avez-vous obtenus ?

Nous avons été lauréats du concours « 100 jours pour entreprendre » et remporté le 3e prix du concours « Création des entreprises éco-citoyennes » du Groupe IGS. Nous avons été sélectionnés l’année dernière pour participer à la FashionTechExpo à Paris. Nous serons présents cette année au Fashion Green Days à Roubaix en collaboration avec le label associatif de designers et créateurs indépendants « Une Autre Mode Est Possible », dont nous faisons partie.

Nous sommes également inclus dans le classement des 12 Stars-up retenues pour participer à la foire de Paris 2019 dans le cadre du projet « Stars-up Boost ». Nous sommes aussi soutenus par plus plusieurs acteurs engagés dont : SloWeAre, Ensta Bretagne, Live For Good, Technopôle Brest Iroise et Initiative Pays de Brest qui encouragent et valorisent l’entrepreneuriat auprès des jeunes en mettant en place des dispositifs d’accompagnement. Grâce à eux nous avons pu donner vie à notre projet, à l’aide de différents moyens mis à notre disposition pour faire de notre projet une réalité ! Cela nous a permis de créer un réseau, de gagner en visibilité et d’acquérir une certaine forme de légitimité et reconnaissance auprès des professionnels, ce qui a permis de donner du poids au projet.

Promouvoir l’artisanat africain est votre priorité. Comment fonctionnez-vous pour aider ces artisans ?

Nous voulons à travers Umòja, valoriser et protéger le patrimoine textile et pictural traditionnel africain en voie de disparition. Nos chaussures contribuent à réanimer ces héritages culturels en donnant aux artisans une vitrine internationale. Nous travaillons directement avec ces artisans et favorisons le développement des liens sociaux grâce aux regroupements en coopératives. Tous nos partenaires sont des entrepreneurs sociaux engagés qui œuvrent pour la conservation de ces patrimoines ancestraux, le respect de l’environnement.

Nous ne choisissons pas ces coopératives uniquement pour leur savoir-faire, mais aussi pour leur implication sociale. Par exemple, au Mali, nous travaillons avec un atelier qui participe à l’autonomisation des jeunes sortis du système scolaire via la formation à la peinture traditionnelle. La coopérative propose également un système d’épargne pour les artisans, c’est un modèle basé sur la solidarité.

Au Burkina Faso, notre partenaire permet la réinsertion des femmes fragilisées en les formant au tissage. Certaines ont été mises au banc de la société à cause du patriarcat et cette coopérative leur permet de retrouver leur dignité. Nous travaillons avec des personnes qui ont une belle histoire et de fortes valeurs. En combinant tradition, modernité et innovation, nous permettons à ces artisans d’accéder à un nouveau marché qui est celui de la mode et d’atteindre l’autosuffisance économique. Malheureusement encore aujourd'hui des milliers d’artisans dans le monde sont souvent isolés en bout de chaînes et ne bénéficient pas de conditions commerciales justes leur permettant de vivre dignement de leur art.

Umojà est distribuée en ligne sur internet. Allez-vous bientôt ouvrir des points de vente ?

Aujourd’hui nos chaussures sont vendues sur notre site ecommerce et dans le concept store « Gazette Store » à San Francisco. Nous envisageons l’ouverture d’un magasin physique en Mai au 2 Rue Androuet à Paris. Nos chaussures seront bientôt disponibles chez certains revendeurs aussi.

Quels sont vos projets pour cette année ?

Cette année nous nous focaliserons essentiellement sur la commercialisation de nos chaussures à l’international. Nous envisageons également la sortie d’une nouvelle collection, l’intégration de nouvelles matières innovantes et de savoir-faire. Et pourquoi pas mettre en place une collaboration avec d’autres marques qui souhaiteraient utiliser de nouvelles matières pour proposer une collection durable.

Selon vous, pourquoi est-il encore si difficile de promouvoir le design et les créateurs africains dans les grandes capitales du monde ?

La richesse du patrimoine Africain est inouïe, il existe aujourd'hui en Afrique une variété de textiles traditionnelles très riches en histoire et conçues de manière écologique. Pour les valoriser, quelques créateurs africains les utilisent dans leurs collections, mais leurs moyens sont limités et ils ne bénéficient pas de visibilité réelle. Pourtant ces créations et design méritent d’être présentés sur les podiums des fashion weeks internationales... Cela pourrait mettre en lumière la créativité du continent.

Crédit photos : Portrait (Yves Larvor), chaussures (Charlaine Croguennec)

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