Sophie Hallette, fleuron de la dentelle du Nord, mise sur son "héritage"
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Le battement régulier des vieux métiers à tisser Leavers retentit jusque dans la rue: face à la concurrence étrangère qui a cassé les prix dans le secteur de la dentelle, le leader Sophie Hallette mise plus que jamais sur un savoir-faire ancestral "qui ne s'improvise pas".
Il y a un demi-siècle, le secteur, dont Calais et Caudry (Nord) sont les fleurons, occupait une vingtaine de milliers d'emplois. "Aujourd'hui c'est 1.200 emplois, une dizaine d'acteurs et un chiffre d'affaires qui avoisine les 100 millions d'euros", résume Romain Lescroart, PDG de Sophie Hallette, qui emploie 330 salariés.
La concurrence des pays à bas coûts et la contrefaçon, qui fait perdre chaque année à Sophie Hallette "plusieurs millions d'euros" malgré un service interne chargé des litiges, explique notamment la disparition des petits fabricants et la concentration de la production française. Pourtant, "on n'a toujours rien inventé de mieux que ces machines de 15 tonnes de fonte et de dix mètres de long pour donner l'illusion d'une dentelle faite à la main", lance, devant les métiers Leavers, Maud Lescroart, directrice marketing de cette entreprise créée en 1887, entre les mains de la même famille depuis 1942.
Calais et Caudry, séparés de quelque 150 kilomètres, sont les capitales mondiales du Leavers, ces monstres mécaniques importés clandestinement d'Angleterre au 19e siècle: sur les 1.000 machines encore utilisées, "la moitié se trouve à Caudry, un quart à Calais et le reste est disséminé dans le monde", affirme Romain Lescroart, également président de la fédération française des dentelles et broderies.
Dolce & Gabbana, Valentino, Givenchy... mais aussi Kate Middleton le jour de son mariage: dans les couloirs de sa manufacture, les photos de mannequins et vedettes vêtues de dentelle caudrésienne s'alignent comme des trophées. "L'image joue beaucoup en notre faveur...", reconnaît Mme Lescroart. Déjà leader sur le marché, Sophie Hallette s'est agrandie en avril avec la reprise du dentelier Codentel à Calais grâce, notamment, au soutien de Chanel, l'un de ses clients, qui a pris une participation minoritaire dans le groupe familial. Le Chinois Yongsheng était sur les rangs.
Ce partenariat, qui avait pour objectif de "pérenniser la filière historique" selon Chanel, "couronne le travail d'une profession qui s'inscrit désormais comme faisant partie intégrante de l'univers du luxe", se réjouit Romain Lescroart, dont l'entreprise affiche un chiffre d'affaires de 27 millions d'euros en 2015, contre 18 millions en 2010.
25 étapes de production
Dans la manufacture caudrésienne, Eric, 33 ans, surveille attentivement le tissage sur sa machine. Il a commencé comme monteur voici 15 ans, et a "gravi les échelons" pour accéder au métier de tulliste, comme l'étaient son père et son grand-père. "Il y a une histoire à travers ce métier, ce n'est pas un métier quelconque..." dit fièrement l'artisan, bouchons vissés sur les oreilles pour se protéger du bruit.
Pour fabriquer cette dentelle qui peut coûter jusqu'à 2.000 euros la pièce, il faut compter "25 étapes de production", affirme M. Lescroart. "On est dans l'excellence, on doit livrer des produits parfaits", ajoute sa soeur, Maud Lescroart. Esquisseur, metteur en carte, tulliste, écosseur, bobineur, visiteuse, raccommodeuse... chaque étape demande un savoir-faire particulier et pour certains métiers, comme celui de tulliste, la formation dure entre trois et cinq ans.
Le meilleur argument, selon Romain Lescroart, pour lutter contre le fléau reste "l'héritage" de la filière. Selon le dirigeant de cette fabrique dont 85 pour cent de la production est destinée à l'export, un client qui achète du "Made in France" achète "plus qu'un produit", mais aussi une "histoire", une "culture", une "inventivité".
En avril, candidat à la reprise du dentelier calaisien Desseilles, Sophie Hallette a été doublée par le groupe chinois Yongsheng, mais cette arrivée d'investisseurs étrangers sur le marché ne l'effraie pas: "Le métier de la dentelle est particulier à manoeuvrer, on a toujours le sentiment de ne pas le connaître suffisamment, donc quand on ne le connaît pas du tout, c'est encore moins simple... Ce métier ne s'improvise pas", conclut M. Lescroart. (AFP)
Photos: Sophie Hallette website