Singapour, temple du consumérisme, se laisse tenter par les échanges de vêtements
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Singapour - Sue-Anne Chng, une Singapourienne de 35 ans, avait pour habitude d’inaugurer une tenue différente pour chacun des 15 premiers jours de l’année lunaire, suivant une coutume par laquelle les habits neufs symbolisent le renouveau.
Mais cette année, elle porte des vêtements de seconde main, échangés dans une boutique pour ceux qui veulent limiter leur impact sur l’environnement. Des magasins et des boutiques éphémères sont apparus récemment dans la riche cité-Etat d’Asie du Sud-Est, afin d’encourager les consommateurs à mieux utiliser les vêtements de leur placard.
Le secteur de la mode contribue à près d’un dixième des émissions mondiales de CO2, selon le programme des Nations unies pour l’environnement. Le textile produit du CO2 au moment de la fabrication, mais aussi lors du transport des vêtements et des lavages par les consommateurs.
Au cours d’une visite récente dans son magasin préféré, The Fashion Pulpit (La Chaire de la Mode en français), la jeune femme a apporté plusieurs robes et un ensemble jupe et haut assortis, que des employés ont examiné avant de créditer des points sur son compte.
Elle a dépensé ses points pour 17 articles, dont une robe jaune et verte qu’elle a réservé pour le premier jour de l’année lunaire, car elle a les couleurs d’”un ananas porte-bonheur”. Ce fruit, symbole de prospérité dans la culture chinoise, est souvent offert à Singapour au moment de la nouvelle année.
“des habitudes dingues”
“J’ai appris de mes parents que l’on devait avoir de nouveaux vêtements pour le Nouvel an chinois, et je suis devenue victime de ce consumérisme”, explique-t-elle. “Avant, je faisais en sorte d’avoir 15 tenues neuves, même si je n’allais pas rendre visite à des proches, c’est exagéré”.
Mais maintenant, “tant que les vêtements sont nouveaux pour moi, je pense que ça suffit”, souligne la Singapourienne qui est mariée et travaille pour une compagnie technologique. Elle a découvert les échanges de vêtements à un évènement organisé à son travail il y a cinq ans. “Avant de commencer ces échanges, mes habitudes de consommation étaient dingues”.
“Je ne portais pas plus de 50 pour cent de ma garde-robe, et j’avais encore l’impression de n’avoir rien à me mettre”. Elle a payé 599 dollars singapouriens (372 euros) pour une cotisation annuelle à The Fashion Pulpit, qui lui permet des échanges illimités. Et 80% de sa garde-robe vient désormais de ce magasin. “Ca me permet de suivre la mode comme un caméléon et aussi de faire plus attention à l’environnement”. La petite île de Singapour a produit plus de 168.000 tonnes de déchets textiles et cuir en 2019, selon les statistiques officielles, l’équivalent de plus de 400 Boeing 747.
l’occasion “devient cool”
Le designer philippin Raye Padit a créé The Fashion Pulpit il y a trois ans, après avoir pris conscience de l’impact de son secteur sur l’environnement et des mauvaises conditions de travail des ouvriers du textile. “A Singapour, le problème est la surconsommation et les déchets”, explique-t-il à l’AFP.
“Nous voulons proposer une plateforme grâce à laquelle on peut toujours bien s’habiller et s’exprimer (…) à travers les vêtements. Mais en même temps, ne pas nuire à la planète ni à son porte-monnaie”. Son entreprise compte plus de 1.500 membres et commence à devenir rentable. Les gens échangent des vêtements bon marché comme des articles de luxe, des sacs Prada ou des chaussures Louboutin, indique-t-il. D’autres évènements ponctuels d’échanges de vêtements sont aussi organisés à travers la ville par des bénévoles. “C’est un rappel qu’il faut consommer de façon responsable, parce que quand je donne des vêtements, je dois m’interroger si je les porte”, observe Nadia Kishlan, une participante de 30 ans à l’un de ces évènements.
En Asie en général, les magasins d’occasion sont peu populaires car on considère que les vêtements déjà portés peuvent porter malchance ou sont peu hygiéniques. Mais les mentalités changent et quelques boutiques singapouriennes de fripes à la mode ont émergé sur les réseaux sociaux, se félicite Raye Padit. Les vêtements d’occasion ne sont plus considérés comme “sales et poussiéreux, ça devient cool”. (AFP)
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