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Qui a besoin de Raf Simons?

Par Herve Dewintre

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La fashion week écoulée a vu l’émergence d’un phénomène intéressant : l’éclosion d’un nouveau métier. Apres un demi siècle de règne absolue du créateur star, voici venu le temps du créateur totalement anonyme, voir même du créateur caché : les fashionistas les plus acharnés sont incapables de citer son nom, la maison ne souhaite pas communiquer sur lui.

De qui allons nous parler à votre avis ? Du collectif Vêtements ? Erreur. Certes, ce collectif (solidement incarné en la personne de Demna Gvasalia) a la louable intension de mettre le vêtement en avant au détriment du créateur. Certes ce collectif ambitionne de donner un coup de pied dans le système actuel de la mode. Certes ce collectif possède une puissance créatrice formidable mais il faut bien reconnaître que, contrairement à son manifeste de départ, largement emprunté à la Maison Martin Margiela où il a germé, il reproduit (surement contre son gré d’ailleurs) la plupart des tics et des tocs du star-system en cristallisant, au delà du raisonnable, tous les regards des « prescripteurs ».

Non, le phénomène nouveau était observable chez Dior, maison vénérable et ô-combien statutaire qui a toujours veillé à mettre dans la lumière son directeur artistique dans la glorieuse tradition de la couture parisienne. Déjà, au départ de John Galliano, l’annonce de la nomination de Bill Gaytten (bras droit du créateur déchu) avait été faite en sourdine et tout le microcosme sentait bien que ce créateur discret ne pourrait pas longtemps rester à la tête de proue d’une institution aussi considérable. Son talent n’était à l’époque pas vraiment mis en cause, mais pour les rédactrices, dont la mission première est d’aduler, ça manquait de capitaine charismatique à glorifier.

Ce phénomène s’est accentué trois ans plus tard avec la démission de Raf Simons. Une démission d’un genre particulier elle aussi puisqu’elle s’était faite sans coup d’éclat, après une décennie de départs teintés de burn-out. Voir notre article sur Le fashion crash a t’il vraiment eu lieu ?. Raf Simons a d’ailleurs depuis prouvé la pertinence de son choix en livrant une collection magistrale pour son label éponyme ; collection qui, de notre point de vue, atteste un vent de paix intérieure retrouvée.

Nouvelle profession : gérer l’entre deux

En janvier dernier, dans une vaste tente édifiée au cœur de la cour du musée Rodin, les murs recouverts de miroir reflétaient à l’infini les silhouettes du défilé Christian Dior Haute Couture proposées par un duo, strictement inconnu du grand public. Deux suisses : lui se nomme Serge Ruffieux ; il a rejoint la maison Dior en 2008 durant l’ére Galliano. Sa partenaire est Lucie Meier qui a travaillé aux cotés de Marc Jacobs chez Louis Vuitton et pour Nicolas Guesquière chez Balenciaga. La collection n’est pas renversante, mais comment les blâmer ? Ils avaient fait le job et on ne leur en demandait pas davantage. Leur rôle consistait à livrer, en temps et en heure, une collection-prétexte, destinée à rassembler les célébrités devant les photographes. Merci, au revoir.

Sauf que début mars, rebelote, ils sont toujours là pour driver le studio (la Maison prend le temps de la réflexion, c’est ça le luxe) afin de mener à bien le prêt-à-porter féminin. Les stars attendent au premier rang, les rédactrices influentes sont là aussi, préparées d’avance à délivrer – en soupirant - le laïus inévitable mais courtois (annonceur oblige) du manque de vision de la collection (voir les critiques du défilé Lanvin) ; absence de vision naturellement due à l’absence d’un créateur véritable. Sauf que voilà, la collection est formidable. Respectueuse de l’ADN maison certes, mais plus que cela encore, elle est bien pensée, véritablement désirable malgré le peu d’appétence visible pour l’esbroufe et les effets spectaculaires. On sent les rédactrices presque gênées d’avoir aimé. En tout cas, elles ne communiqueront pas trop sur ce sentiment, parleront plus volontiers du décor, du make-up, et réserveront leurs dithyrambes et leurs papiers pour la collection Balenciaga qui, elle, c’était sur, allait tout révolutionner sur son passage etc. etc.

Alors on se met à rêver. Rêver de voir ce duo rester à la barre du navire. Pourquoi ? Parce qu’on serait bien en peine de nommer précisement le rôle dévolu à Lucie Meier et Serge Ruffieux au sein de la maison Dior. Ils ne sont pas crédités comme couturiers, ils ne sont pas cités comme créateurs, ils ne sont pas décrits comme directeur artistique. Non, ils sont plus ou moins officiellement directeur du studio. Un énoncé singulier qui correspond à une vocation nouvelle : gérer l’entre deux. L’entre deux des grandes maisons qui, au vu de la conjoncture actuelle (ballet interrompu de départs précipités, changement de stratégies du aux changements de direction « pour divergence stratégique », etc.)- est amenée à se renouveler fréquemment dans les années à venir. Leur sourire à la fin du show n’est pas feint. On les sent heureux d’être là. Ils savent qu’ils sont en intérim. Que leur mission est de gérer une transition. Mais peu importe, le moment présent leur suffit. Un profil-bas, pour le coup véritablement rebelle, dans ce système du tout-à-l’égo.

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