Pourquoi l’industrie de la mode continue t’elle à ignorer le marché des « grandes tailles « ?
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C’est l’excellent site Business of Fashion qui s’est penché en profondeur sur ce dossier tabou : le mépris de la mode pour les « grandes tailles » ou si vous préférez les « plus size », expression fourre tout inventée pour catégoriser les rondeurs. Or, être « plus size » dans le milieu de la mode, cela signifie qu’il ne faut pas faire plus d’un 34 ou d’un 36. Aux Etats Unis, les vêtements « grandes tailles » représentent un marché de plus de 17,5 milliards de dollars par an selon le cabinet d’étude de marché NPD. Et pourtant l’industrie de la mode continue d’éviter ostensiblement ce marché alors que la taille moyenne est passée en France, du 38 en 1970 au 40 et 42 aujourd’hui (pour les States, elle est passée du 40 en 1960 au 46 de nos jours).
Quelques signes tendent à révéler que ce mur de Berlin dressé entre tout ce qui taille en dessous du 36 et tout ce qui taille au dessus du 36, commence à se fissurer. Aux Etats Unis, par exemple la consultante Nicolette Mason, collaboratrice du Marie Claire US et bloggeuse très suivie (son blog est classé dixieme blog le plus influent de la planète selon le site fashionista), a poussé un cri de colère suite à une expérience désagréable qui lui est arrivée dans une boutique Chloé où le personnel lui a clairement signifié qu’elle ne se trouvait pas dans un endroit pour elle. Un cri dans un ocean d’indifference ? Pas si sur.
Tout d’abord, la célèbre bloggeuse, issue d’un milieu aisé, ne s’est pas laissé faire. Elle a prouvé par le succès rencontré par sa ligne de vetements concu pour le magazin en ligne Modcloth que sa vision de la mode était tout aussi viable qu’une autre. Ensuite, parce que d’autres entreprises, la plupart sur le net, ont fondé leur business plan sur le marché des grandes tailles et sont aujourd’hui florissantes.
Quelques exemples : la marque Navabi, basée en Allemagne. Les deux fondateurs, Zahir Dehnadi et Bahman Nedaei ont voulu approché des investisseurs qui leur ont répondu que « « les personnes volupteuses sont paressseuses, ne gagnent pas suffisamment et non pas d’attraits réels pour la mode ». Or, depuis le lancement du site en 2009, les deux amis annoncent un chiffre d’affaire de 25 millions d’euros par an. Autre succès, celui d’Eloquii lancé en 2011 par le groupe The Limited (propriétaire de Victoria Secret). Elle arrivera prochainement chez Nordstrom avec l’ambition de devenir le « Zara du plus size ».
"La beauté culturelle a pour but de vassaliser la cliente en lui projetant un modèle inaccessible"
Le point commun entre ces marques : se baser sur la satisfaction de la cliente alors que les marques de mode traditionnelles se base sur la frustration. Interrogé par le magazine Le Monde, Bruno Heilbrunn qui enseigne à l’IFM et au CELSA, propose le décodage suivant : La beauté culturelle implique qu’il existe des mensurations idéales incarnées par des égéries au corps svelte, élancé, qui sont dans le contrôle des pulsions et des émotions. Ce modèle a pour objectif de vassaliser la cliente en lui projetant un modèle inaccessible, établissant dès lors une relation de pouvoir. La beauté naturelle, elle, implique que toutes les femmes sont belles, même si elles n’en ont pas conscience. »
En France aussi, ce message commence à se propager. Paris Match consacre ainsi une interview importante à Mary Astrid, mannequin depuis 8 ans, classée parmi les rondes dans le milieu de la mode parce qu’elle fait du 38. Pourtant, assure t' elle, « le prêt-à-porter demande de plus en plus de 38». Elle ajoute : « «Moi, on me demande en beauté de ne pas perdre de poids, et je peux creuser mes joues. On voit que je suis en bonne santé, et ça se ressent dans l’expression du visage ». « Apparaître en bonne santé, montrer que l’on est heureuse de faire ce métier, avoir une alimentation saine tout en se faisant plaisir : c’est donc possible dans le milieu de la mode » conclut elle.
Dans le retail aussi, ça bouge beaucoup. Dernier exemple en date, le concept store « Women Curves » entièrement destiné aux femmes pulpeuses. Situé depuis septembre dernier au 291 rue Saint Denis, le magasin propose un nombre important de marques différentes, quasi exclusives en France comme Zizzi, La Stampa, Jiuly, Hype, Martine Samoun, Courbes & Co, Viksen ou encore Mira Taren.
Malgré son récent cri de colère, Nicolette Mason se veut positive sur l’avenir : « Sans les médias sociaux, sans Instagram, sans les blogs, nous n’ aurions pas vu un changement aussi rapide du marché des plus size. Internet a donné non seulement donné un moyen aux consommateurs de parler aux marques, mais aussi de se regrouper, de former des alliances, et de pouvoir s’exprimer comme une communauté autrefois privée de ses droits au sein de la mode. Nous avons enfin une voix qui porte ».