PE24 : Nostalgie, rave et authenticité à la Fashion Week de Milan
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Pour la saison printemps-été 2024, la Fashion Week de Milan, qui a eu lieu du 19 au 25 septembre 2023, a dévoilé des collections de prêt-à-porter au pragmatisme commercial. Après des années de défilés à la mise en scène spectaculaire, inspirée des shows de haute couture, cette saison faisait place a « produit ».
L'excitation et les efforts en matière de marketing ont pris le dessus lors du premier défilé de Sabato De Sarno pour Gucci. Le nouveau directeur artistique s’est fait remarquer en raison du caractère portable des pièces présentées. Alors que son prédécesseur, Alessandro Michele, avait enchanté le monde de la mode avec des mises en scène élaborées et une touche de magie, De Sarno a axé sa collection « Ancora » - conçue pour redonner l’envie aux consommateurs de se procurer des pièces Gucci - davantage sur le produit que sur une idée visionnaire et un défilé spectaculaire.
D’abord prévu dans les rues de Milan, le défilé a dû changer d’adresse. En raison du mauvais temps, la maison de luxe a été contrainte de déplacer le show au « Gucci Hub », le siège milanais de la marque. Néanmoins, la question demeure de savoir si le mélange de tenues adaptées au quotidien, (hauts ornés de strass, soutiens-gorge et mocassins à plateforme) aurait été plus cohérent dans le lieu initialement choisi.
Lors de son défilé, Gucci semblait faire allusion à ses propres archives mais aussi à celles des plus grandes marques des saisons précédentes, qui ont non seulement reçu des critiques élogieuses, mais ont également enregistré une hausse de leur chiffre de vente. Les résultats de la performance très commerciale de De Sarno se refléteront lors de la commercialisation de la collection en magasin l’année prochaine. Il n’est cependant pas difficile d’imaginer les sweat-shirts, mini-jupes et manteaux Gucci portés par de nombreux clients.
Cependant, Gucci n'était en aucun cas la seule marque de la Fashion Week de Milan à se tourner vers le passé pour la saison printemps-été à venir. Donatella Versace est retournée en 1995, dévoilant une collection au style sixties inspirée de son défunt frère Gianni Versace et du mannequin des années 1990, Claudia Schiffer. De son côté, le designer Peter Hawkings, nouveau directeur créatif de Tom Ford, a rendu hommage à son passage chez Gucci.
Malgré cette apparente préférence partagée pour la nostalgie et le marketing, les créateurs milanais ont continué à emprunter des voies radicalement différentes.
Raves et excentricité pour une clientèle de la génération Z
Outsider perpétuel, la griffe Diesel, dirigée par le designer Glenn Martens, a invité près de 6 000 invités à une rave techno sous une pluie battante. Avec toute la frénésie qui entourait les défilés de la Fashion week milanaise, le show Diesel est presque passé inaperçu, du moins sur les réseaux sociaux. Cependant, derrière une mise en scène audacieuse se cachait une collection adaptée à la vie quotidienne.
Les mannequins ont bravé la tempête en portant des t-shirts associés à des pantalons gris qui laissaient entrevoir un soupçon de peau. Des anoraks décolorés et des débardeurs tricotés rappelaient des vêtements usés tandis que des robes à col V et des cardigans surdimensionnés étaient déconstruits. Glenn Martens a présenté des ensembles adaptés à la génération Z, associant un réalisme brut à un style prêt pour la fête, rappelant les tenues portées par les invités sur place et offrant ainsi un aperçu de la future clientèle potentielle. Les t-shirts à motifs graphiques évoquaient les affiches de films et les mannequins recouverts de peinture argentée faisaient écho à leurs protagonistes extraterrestres. Le logo « D » était toujours présent, tout comme l'illusion que les vêtements déchirés pourraient tomber des corps des mannequins à tout moment. Le denim était, comme à son habitude, toujours de la partie.
Peu de marques demeurent aussi débridées que Diesel, à moins que leur propre histoire ne le permette, comme celle de Roberto Cavalli. Fausto Puglisi, directeur créatif de la marque italienne depuis 2020, semblait plonger toujours plus profondément dans les archives et la jungle de Cavalli à chaque saison. Il a cette fois-ci adopté une approche plus littérale, transformant la Bourse de Milan en une oasis verte.
Il est difficile d'imaginer que Puglisi, tout comme Cavalli lui-même, ait déjà entendu parler du minimalisme ou du « luxe discret ». Sa présentation était bruyante, parfois criarde, marquée par une abondance de hippies tout droit sorti des années 1970 et de l'excès qui les caractérise. Elle ne pouvait pas être plus en phase avec le style Cavalli. La question qui se pose alors est de savoir si les pièces ne s’adressent pas à des clientes figées à l’époque des hippies.
Chez Etro, une autre griffe renommée avec une histoire riche et éclectique, le directeur créatif Marco De Vincenzo semblait trouver ses marques après deux saisons et établir sa propre vision.
Minimaliste, commerciale et pourtant surprenante ?
Même si la mode est une industrie, le mot « commercial » n'est pas nécessairement toujours bien accueilli, surtout lorsqu'il est utilisé pour décrire une collection. Mais Bottega Veneta, Ferragamo et Jil Sander ont prouvé que la commercialisation pouvait être élégante et surtout surprenante. Le défilé Bottega Veneta s’est ouvert sur une simplicité désormais habituelle, caractéristique du style de Matthieu Blazy, qui a laissé place à des silhouettes de plus en plus extrêmes et à des expérimentations aperçues tout au long des 73 tenues présentées. Le designer belge semblait avoir tourné une nouvelle page avec une collection qui était, comme il l'a indiqué dans les notes du défilé, « libre » et « sans codes ».
Malgré de nouvelles proportions audacieuses, le designer est resté fidèle à lui-même et à son esthétique précédemment établie, ainsi qu'à son penchant pour le cuir, qu'il a associé à une gamme de nouvelles textures rappelant des filets de pêche et des pompons, sans paraître exagéré ni même enfantin. Matthieu Blazy a démontré que le minimalisme ne doit pas forcément être ennuyeux ou prévisible et que la mode peut être incroyablement portable sur le podium.
Maximilian Davis semble également avoir emprunté une nouvelle voie dans son troisième défilé pour Salvatore Ferragamo. Le rouge, si présent dans ses deux premières collections, a disparu pour laisser place à une performance minimaliste, taillée avec précision, mêlant vêtements de bureau et tenues de soirée élégantes. Tout comme la collection de Blazy, la ligne de 64 pièces comprenait beaucoup de cuir trempé dans un vert profond tandis que les robes moulantes épousaient les corps des mannequins. Les vestes ont été remplacées par des tenues de soirée et des capes élégantes révélaient des constructions sophistiquées, le tout ayant l'air à la fois décontracté et sophistiqué - un équilibre et un art généralement attribués à la maison de luxe Prada.
La mode : une question de perception
Cette saison, la marque italienne Sunnei a imaginé un moyen de soumettre sa collection au retour immédiat du public présent, sous forme de critiques. L'idée allait bien au-delà des applaudissements bien sages et polis, habituels lors des défilés de mode, car les participants se sont vus remettre une série de panneaux avec lesquels ils étaient invités à évaluer les tenues de un à dix.
Le duo de designers Simone Rizzo et Loris Messina semblait dresser une sorte de miroir critique de la société, mettant en lumière la critique constante et l'expression d’opinions sur des plateformes telles qu’Instagram. Leur idée constitue également un symbole extrêmement approprié pour cette saison où les marques de mode sont sensibles au jugement favorable de leurs clients et du succès commercial qui en découle. Alors que la plupart des marques ne connaîtront probablement pas le succès commercial de leurs collections avant février 2024, au plus tôt, Sunnei pourrait déjà en avoir eu un avant-goût.
Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.de. Il a été traduit et édité en français par Aéris Fontaine.