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Mode et storytelling : quelle évolution narrative ?

Par Julia Garel

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« Voici venir l'ère où l'on aura besoin de narration. Plus que jamais », écrivait la romancière et rédactrice de mode Sophie Fontanel sur le site du Nouvel Obs, le 16 juin dernier. Cette opinion, beaucoup de marques et de directeurs créatifs la partagent, c'est en tout cas ce que laissent transparaître leurs posts sur les réseaux sociaux et leurs présentations au sein de Fashion Weeks virtuelles où tout reste à inventer. A l'image de l'ensemble du secteur depuis la crise du covid-19, le storytelling de la mode, déjà bousculé depuis plusieurs saisons par un consommateur plus averti, est en train d'accélérer son évolution.

Le vêtement est raconté avec un regard neuf, droit, sans bluff, donnant soudain un coup de vieux aux campagnes des années passées qui se focalisaient davantage sur l'attitude que sur le produit. Aujourd'hui, dans la masse de contenus digitaux que publient les marques, de nouveaux récits font redescendre la mode de son piédestal. Le vêtement, pour autant, conserve son pouvoir d'enchantement, il propose un rêve, en apparence plus accessible, où l'humilité devient séduisante. Pour y voir plus clair, voici quatre manières bien actuelles de présenter le vêtement et d’offrir à la mode une narration savoureuse dans laquelle elle puisera son renouveau.

1. L'absence de modèles : Hanifa et Balenciaga

L’un des moyens le plus évident lorsque l’on pense à mettre le vêtement en avant, est de s’en tenir à lui seul, sans mannequin, sans rien d’autre que la matière et les coutures qui l’articulent. D’apparence radicale, ce procédé n’est pour autant dépourvu ni d’émotion ni d’humanité.

Hanifa, marque féminine et inclusive lancée en 2012 par Anifa Mvuemba, a eu recours à la 3D pour révéler une collection où les corps en mouvement semblaient avoir été « gommés ». Le résultat est déroutant. Un look blanc s’avance, la jupe en coton stretch épouse la démarche sensuelle mais la silhouette n’a ni buste, ni membres, ni tête. L'œil imagine le corps plus qu’il ne le voit. Le projet a pris place dans le cadre d’un défilé virtuel dévoilant la collection Pink Label Congo et diffusé en live sur Instagram, le vendredi 22 mai 2020. Un « énorme succès » selon le magazine Nylon.

Avec une touche plus comique, la maison de couture parisienne Balenciaga, s’est appropriée l’idée de silhouettes sans mannequin. Sur le même ton subversif qui résume aujourd’hui son identité, Balenciaga a posté sur son compte Instagram la photo de deux looks, main dans la main, les corps comme évanouis sous les vêtements.

2. L’acte de s'habiller : Sunnei, Duckie Brown et Y/Project

Il y a cette manière toute simple mais très habile qu’ont certaines marques de présenter leur collection : filmer tout bonnement l’acte d’enfiler un vêtement. Sur son compte Instagram, la marque italienne Sunnei a ainsi posé sa caméra devant des mannequins en train d'enfiler un à un vêtements et accessoires de la collection. Sur fond de décor blanc, jeunes filles et jeunes hommes passent un t-shirt, un pantalon, une robe, boutonnent une chemise puis se chaussent. La vidéo accroche le regard, l’œil est comme fasciné par ce qui a tout l’air d’être un aperçu backstage.

Les images de Sunnei rappellent de loin le lookbook PE20 de la marque américaine Duckie Brown, laquelle a adopté le même type de présentation sommaire en lui insufflant une touche d’humour et d’élégance. Steven Cox et Daniel Silver, ses designers, s'intéressent à la question du genre depuis longtemps, c’est donc tout naturellement que l’un deux, Steven Cox, a joué les mannequins pour les besoins du label, endossant de la même manière pièces féminines et masculines.

Plus récemment, pour servir au mieux les pièces « transformables » de sa collection baptisée « Evergreen », Y/Project a repris l’approche minimaliste, poussant un peu plus loin le curseur stylistique. La vidéo présentée dans le cadre de la Fashion Week parisienne homme printemps-été 2021 est conçue comme un tutoriel : debout, dans un triptyque, trois mannequins se présentent habillés avant d’être rejoints par des habilleurs chargés de modifier la tenue pour lui offrir un nouveau porté. Une nouvelle fois, l'œil accroche.

3. Le process : Marine Serre, Loewe, Dior

Un moyen très en vogue de présenter les vêtements : dévoiler le processus de création. Via leurs chaînes Youtube ou leurs réseaux sociaux, les designers Marine Serre (lire notre article consacré), Loewe et Dior se sont prêté à l’exercice. Pourquoi ? Parce que montrer et expliquer les étapes de fabrication, c’est aussi prouver un savoir-faire tout en laissant entendre au spectateur une bonne raison d’investir dans la pièce. C’est également l’occasion de créer un lien plus direct entre le consommateur et le confectionneur en décloisonnant l’espace qui les sépare. L’approche rejoint avec évidence l’idée de transparence qui règne désormais sur la mode comme sur l'industrie alimentaire, on parle alors de « storyproving » - un concept qui a quelques années déjà.

On peut par ailleurs voir dans ces courtes vidéos un moyen de redonner de la valeur aux vêtements et, dans le même temps, de responsabiliser l’acheteur. En filmant ce qu’il y a en amont, les marques exposent le travail accompli. L'artefact obtenu, chaque fois exposé en fin de séquence, mérite un certain respect de la part de celui qui l’achète.

4. La parole : JW anderson et Yuima Nakazato

On en revient ici au propre de l’être humain : le « parler ». Le storytelling ne se cache plus derrière des images léchées ou des mises en scène trop sophistiquées. Il devient frontal, et sans artifices par le biais de son moyen d’expression primitif, celui de la voix. La parole est ici utilisée pour la force de son énonciation directe et le vêtement est raconté plus que montré.

Le 2 juillet, JW Anderson, le designer irlandais de la marque éponyme, assis derrière son bureau, a présenté sa collection PE21 homme et Resort21 femme avec ses mots, son point de vue et sa sensibilité de créateur. Son monologue s'est appuyé sur un dossier de presse renfermant dessins et échantillons de matières. Le discours s’est déroulé comme un rendez-vous professionnel, entre professionnels, une sorte de visioconférence sans chichis et accessible à tous.

Autre exemple : la présentation haute couture AH20-21 de la marque japonaise Yuima Nakazato. Dans le cadre de la Fashion Week en ligne, la maison a structuré son histoire autour d’une conversation entre le couturier et sa cliente. Le projet baptisé « Alternative Project Face to Face » visait à proposer à 25 clients de retravailler une chemise blanche issue de leur garde-robe. Par ces entretiens filmés, Yuima Nakazato a remis les compteurs à zéro, redonnant à la Haute Couture son rôle originel : concevoir des vêtements sur-mesure, de manière individuelle.

Crédit : Y/Project, PE 2021, images transmises par l'agence de presse.
Source vidéo : Y/Project Youtube

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