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La mode unisexe: audace ou régression?

Par Herve Dewintre

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La mode unisexe fait fureur: depuis l’année dernière, de nombreuses marques y consacrent des collections entières. Parfois en filigrane, sans l’avouer ostensiblement, parfois en le clamant haut et fort. L’arrivée chez Gucci du nouveau directeur artistique Alessandro Michele et de ses silhouettes androgynes, à l’exact opposé de la vision du monde hypersexué de Tom Ford, y est sans doute pour beaucoup dans l’éclosion de ce mouvement.

La sphère du luxe a largement répondu à cette nouvelle proposition. L’année dernière, le grand magasin britannique Selfridges lançait même “Agender”, un rayon éphémère sur trois étages où le genre des vêtements disparaissait complétement. L’espace était neutre, des sculptures servaient de mannequins. Les produits étaient empaquetés dans de la toile blanche, pour éviter toute marque, toute référence aux deux genres. Fallait-il y voir les prémices d’une nouvelle organisation des grands magasins?

On pourrait croire que ce mouvement intéresse avant tout les femmes. Il y a toujours eu un certain chic à s’approprier quelques pièces du vestiaire masculin, à faire son shopping dans le rayon homme, ou alors à le singer : les exemples dans l’histoire de la mode du XXème siècle sont nombreux de la garçonne des années 20à la chemise blanche d’Anne Fontaine. Sauf que cette fois, le mouvement va dans les deux sens. Lianna Mann, vice-présidente de la mode femme, décoration d'intérieur et joaillerie pour Lane Crawford l’affirme avec force: « « Nous voyons désormais des hommes acheter auprès de labels féminins comme Céline ».

La grande distribution n’a pas attendu longtemps pour saisir ce mouvement en plein décollage. Zara par exemple annonçait en mars dernier la mise en vente de sa première collection de pièces unisexes. La campagne montre une fille et un garçon posant côte à côte : ils portent le même vêtement. Les internautes cependant ne semblent pas avoir appréciés la démarche du géant de la fast fashion et se sont abondamment moqué sur les réseaux sociaux du manque d’allures de ces T-shirt, jeans, sweat-shirts, jogging qui semblent au demeurant très confortables. Moins tranchée, la collaboration de La Redoute avec Louis-Gabriel Nouchi est du même ordre: le VPCiste communiqué volontiers sur l’aspect « confusion des genres » de la collection qui s’adresse malgré tout uniquement aux femmes.

«Braquer les projecteurs sur la stigmatisation»

Globalement, Cette évolution est perçue comme un éclatant signe de modernité. Des lignes de plus en plus floues, les différences gommées, c’est l’avenir ! La vision du « gender fluid » exprime un militantisme. La griffe américaine Mother propose pour l’automne 2016 une collection unisexe composée de basiques étudiés pour être adaptés à toutes les morphologies. Le co-fondateur du label, Tim Kaeding considère que la marque, en investissant le terrain de la neutralité, offre ainsi « un espoir de braquer les projecteurs sur la stigmatisation qui arrive lorsque des personnes sont différentes ». En somme, le fait de retirer les étiquettes qu’on nous colle, permettrait de mieux affirmer sa singularité et sa personnalité.

Pourtant on pourrait aussi affirmer que cette négation des genres est en fait un extraordinaire retour aux sources du vêtement tel qu’il était conçu avant l’invention de la mode. Les historiens considèrent en effet que la mode est née lorsque les habits ont commencé à différencier les sexes. C’est à dire vers le milieu du XIVe siècle : court et ajusté pour l’homme (avec un pourpoint relié à des chausses collantes), long et pres du corps le tout assorti à une traine, pour la femme. Une véritable révolution vestimentaire qui jeta d’ailleurs les bases de l’habillement moderne car elle jetait aux oubliettes la tunique sur des braies (assez proches de ceux des gaulois) qui avait prévalu pour les deux sexes pendant les siècles précédents. On pense dans le même ordre d’idée, à la robe-tunique commune aux deux sexes qui s’est maintenue pendant plus d’un millénaire dans l’Egypte ancienne, à l’himation romain, à la huque du Moyen-Age, autant d’habits « gender fluid » qui se sont maintenus avec une permanence quasi absolue durant des siècles. Certains essayistes, comme Gilles Lipovetsky affirme même que cette différenciation soudaine des sexes vers 1350, assorti d’une fièvre du changement et de la frivolité « fut l’acte fondateur de la modernité occidentale ». Alors, apologie de l’uniformité ou exaltation de la singularité ? Ces deux visions du « principe d’immobilité » méritent réflexion. Chacun se fera son opinion.

Crédit photo: Mother,Zara, La Redoute X Louis-Gabriel Nouchi

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