La mode au pays des Soviets: tour d’horizon des designers
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Passée la Coupe du Monde, la Russie reste sous les feux des projecteurs. Le créateur de mode russe, Gosha Rubchinskiy, annonçait à Vogue il y a quelques semaines son nouveau projet : la présentation d’un livre de photos du Championnat, dix ans après la création de sa marque éponyme post-soviétique. Il fait partie de la nouvelle génération de créateurs russes. D’autres, comme lui, ont fait leurs preuves à l’international, et ce, depuis le début des années 60 en URSS, pendant la période du « dégel ».
L’amélioration des relations avec l’Occident avait permis une profonde mutation sociale dans le pays qui faisait émerger de nouveaux styles vestimentaires, généralement plus colorés et inspirés du folklore local. Voici quelques noms à retenir parmi les meilleurs designers russes.
David Koma: l’art des robes-sculptures
On le connaît surtout depuis son passage à la direction artistique de Mugler de 2013 à 2017, en remplacement de Formichetti. Ces dernières années, à mi-chemin entre sa marque et Thierry Mugler, Koma est devenu le roi de la « Little Tight Dress » : des robes qui marquent la silhouette dans un nouveau minimalisme baroque.
David Koma est né en Géorgie et réside à Londres. Inspiré par les formes, il crée des robes-sculptures qui épousent les contours du corps des femmes.
Après avoir étudié aux Beaux-Arts à Saint-Pétersbourg et dévoilé sa première collection à l'âge de 15 ans, Koma s'est rendu à Londres en 2003 pour poursuivre sa formation à Central Saint Martins. Son diplôme en poche, il a lancé son label éponyme en 2009 et faisait ses premiers pas à la Fashion Week de Londres, puis il créait une collection pour Topshop deux ans plus tard.
Cette année, lors de son dernier défilé à Londres, David Koma s’inspirait des années 80 avec des chemises vaporeuses portées sur des jupes tubes midi, des mini-jupes et autres pièces conçues dans des tissus à carreaux et accessoirisées de franges.
Alexander Terekhov
Alexander Terekhov a lancé son label “Terexov” en 2004. Il crée des vêtements féminins élégants aux silhouettes propres et utilise des tissus imprimés extravagants ou métalliques. Diplômé de l'Institut de Mode et de Design de Moscou, il s’est formé chez Yves Saint Laurent.
Terexov est devenu un habitué des éditions russes de Vogue et Harpers Bazaar, mais la plupart de ses clients se trouvent en dehors de son pays natal et notamment aux Etats-Unis. Là bas, la vision de Terekhov plaît aux femmes qui ont eu leurs goûts façonnés par l'héritage de Calvin Klein et de Donna Karan. Le créateur s’ajuste naturellement à la ville de New York avec son esthétique minimaliste luxueuse et ses coupes précises dans des tissus nobles et un vaste panel de tailles allant du 36 au 44.
Gosha Rubchinskiy: culture skate et jeunesse russe
Les propositions de Gosha Rubchinskiy se caractérisent par leur style russe d'inspiration post-soviétique. Les silhouettes intemporelles, les motifs vibrants et les détails originaux évoquent le choc des influences occidentales avec le style de bloc de l'Est. Une esthétique à la fois innovante et sportive, inspirée du skateboard et de la culture de la jeunesse russe. Son leitmotiv ? « Changer la laideur institutionnalisée des vêtements de sport de l'ère soviétique d’une façon plus amicale ».
Gosha Rubchinskiy a débuté dans le streetwear en 2008 avec une série de dix t-shirts. En 2012, il en vendait plus de 50 000 dans le monde entier. Aujourd'hui, le designer-photographe est le visage d'une nouvelle génération de jeunes russes.
En binôme avec Comme des Garçons, Gosha présente désormais des collections complètes de prêt-à-porter, comprenant des vêtements d'extérieur, des jeans et des accessoires, ainsi qu’une eau de toilette unisex sortie en 2016. Pourtant, ce sont ses tee-shirts graphiques et sweat-shirts à capuche qui ont le plus fait parler de lui... Et cet été, il signe une collection capsule avec Burberry et actualise les pièces iconiques de la Maison britannique comme le trench Harrington reversible ou le bob.
Ulyana Sergeenko revisite le Dior des années 40
Ulyana Sergeenko est née en 1981 au Kazakhstan. Elle fait partie des celebrities qui ont lancé leur propre marque de mode. Aujourd’hui, beaucoup disent qu’elle incarne le patrimoine culturel et historique de la Russie et de l'ex-Union soviétique, grâce à ses collections.
Natalia Vodiánova, Anna Dello Russo, le Cheikh Mozah du Qatar, ou Lady Gaga, font partie de ses adeptes. Favorite parmi les blogueuses occidentales, elle s’adonne aussi au mannequinat pour des magazines de mode.
En juillet 2012, la Fashion Week de Paris accueillait son premier défilé de mode. Cette même année, le magazine américain Vanity Fair l’incluait dans la liste des femmes les plus élégantes de la planète et The Times lui consacrait un article. Ulyana Sergeenko est devenue l'un des personnages principaux des textes du New York Times, sous le titre de «The Return of the Zarinas» où elle réussi à rompre le stéréotype sur les filles russes et le port des minijupes.
En 2008, Ulyana Sergeenko a épousé Daniel Jachaturov, directeur de la société «Rosgosstrakh», et s’immiscait dans la mondanité.
Le style de Sergeenko rappelle le «nouveau look» de Dior des années 1940: taille fine, jupes volumineuses et accessoires rétro. Ses pièces sont composées d'éléments puisés dans le folklore russe, l’histoire et la culture. Sergeenko utilise souvent des chapeaux qui rappellent les coiffes traditionnelles des femmes russes.
Valentin Yudashkin : le premier russe reconnu par la Haute-Couture de Paris
Le célèbre couturier russe, artiste d'honneur de son pays, est membre correspondant de l'Académie des Arts de la Fédération de Russie, commandant de l'Ordre de la République française -pour ses mérites dans le domaine de la littérature et de l’art- et de l'Ordre de la Légion d'Honneur.
Ses modèles sont conservés dans différents musées du monde : au Louvre, au Musée de la mode en Californie, au Musée national d'histoire de Moscou, au Musée international des Jeux Olympiques et au Metropolitan Museum de New York. Ses collections ont été exposées à Paris, Milan, New York et dans d'autres capitales internationales.
Valentin Yudashkin créait sa première collection en 1987, mais son succès est lié à la collection Fabergé (1991), présentée à Paris dans le cadre de la semaine de la haute couture. Ce défilé l’a propulsé sur le devant de la scène et une des robes a ensuite été transférée au musée du costume du Louvre. Il est devenu le premier designer russe a avoir été accepté par le Syndicat de la Haute Couture à Paris. Depuis 1991, il y présente régulièrement ses collections et ses lignes de prêt-à-porter défilent aux Fashion Weeks de Milan et Moscou.
Dans sa dernière collection Printemps/Eté 2018, Yudashkin s’inspire de Kazimir Malévich. Il utilise le noir, le blanc, le jaune et le vert, en hommage aux peintures d’art abstrait et géométrique de l’artiste russe, dit post-révolutionnaire.
Aujourd’hui son petit empire se compose de vêtements, sacs à main, chaussures, bijoux, lunettes de soleil et autres accessoires, ainsi qu'une ligne de produits pour la maison. L’artiste a également inauguré un studio d'intérieur, qui développe des projets architecturaux et des solutions décoratives pour des locaux résidentiels et commerciaux.
La marque est principalement représentée en Russie, en France, en Italie, en Bulgarie, aux États-Unis et dans d’autres pays.
Slava Zaitsev: le tsar de la mode soviétique
Vyacheslav Mikhailovich Zaitsev, mieux connu sous le nom de Slava Zaitsev, est né en 1938 à Ivanovo, République socialiste fédérative soviétique de Russie. Avec plusieurs cordes à son arc, il est aujourd’hui créateur de mode et de costumes pour le théâtre, peintre et graphiste.
En 1952, il a commencé ses études à la Faculté des arts appliqués de l'Université de chimie et de technologie d'Ivanovo. Il s’est ensuite installé à Moscou en 1956 pour étudier à l'Institut des textiles de Moscou.
Pendant l'ère soviétique, c’est Zaitsev et Valentin Yudashkin qui donnaient le ton au marché des vêtements. Ils en avaient presque le monopole. Au même titre que Christian Dior, Pierre Cardin et Yves Saint Laurent, Zaitsev était considéré parmi les meilleurs couturiers de l’époque. Cependant, sous le régime communiste, Zaitsev ne pouvait travailler qu’avec la Tchécoslovaquie, le seul pays en dehors de l’URSS.
En 1965 Pierre Cardin, Marc Bohan (alors avec Dior) et Guy Laroche visitaient Moscou et se familiarisaient avec les œuvres de Zaitsev, qu’ils considéraient d’égal à égal. Il fit l'objet d'un premier article en France dans Paris Match.
Depuis, sa carrière s’est étendue dans le monde : à New York, en Allemagne, au Japon... Convoité par Madame Carven, il organisait ses premiers défilés parisiens et recevait la décoration de « citoyen d’honneur de Paris » de la main de Jacques Chirac à la fin des années 80.
En décembre 1989, il remportait le premier prix des «cinq meilleurs créateurs de mode du monde- 90 » à Tokyo, devant Donna Karan, Claude Montana, Hanae Mori et Byblos.
Cinquante ans plus tard, Slava Zaïtsev continue de produire des collections aux couleurs vives, inspirées des costumes folkloriques russes pour « lutter contre la grisaille du quotidien », disait-il à l’AFP en début d’année dans une interview.
Igor Chapurin : créateur et costumier du Bolshoï
Igor Chapurin est né en 1968 en Biélorussie et a étudié à l’Institut Technologique de Vitebsk où il s’est spécialisé dans la création de vêtements pour femmes. Il a démarré sa carrière après avoir remporté le Concours de Jeunes talents de Nina Ricci à Paris en 1992 et a créé des robes de soirée pour les finalistes de Miss Europe, Miss Monde et Miss Univers. Sa première collection « À la Russie avec Amour » a été présentée à Moscou en 1995 et a remporté un vif succès.
Peu de temps après, il recevait une invitation personnelle de la Princesse Irène Galitzine et créatrice de mode russe-géorgienne et réalisait pour sa Maison italienne « Galitzine » sa première ligne. En 1999, Igor Chapurin présentait sa collection « Chapurin 99 » et décrochait le plus haut prix de l’Association Russe de Mode pour devenir ensuite membre de l’association.
Depuis, ses créations ont été distribuées dans plusieurs magazins occidentaux et asiatiques, notamment en multimarque.
Dans le secteur du théâtre, il se démarque en créant des costumes pour de nombreuses productions, telles que des opérettes ou les volets du ballet du Bolshoï.
La mode a décerné une série de prix à Igor Chapurin comme ,par exemple, celui de Créateur de l’année par GQ en 2005 ou le Elle Style Award en 2007.
Actuellement, il crée des collections de prêt-à-porter et de haute-couture, des accessoires, des bijoux et du linge de maison. Il continue aussi à collaborer avec le Bolshoï et s’engage sur des projets divers de mode et d’art.
Photos : Ulyana Sergeenko website, portrait David Koma by Jurij Treskow, David Koma AW18-19