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La Fabrique Nomade étend son action en faveur des artisans migrants

Par Odile Mopin

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Inès Mesmar

Nouvelle étape pour La Fabrique Nomade. L’association, qui œuvre pour la professionnalisation des artisans migrants de France devient une SIAE (Structure d’insertion par l’activité économique), certifiée, conventionnée par le Ministère du Travail. La suite du parcours amorcé par l’association qui forme depuis 2016 des artisans, bijoutiers, couturiers, brodeurs, céramistes, venus des quatre coins du monde aux compétences clés leur permettant de passer le filtre des entretiens d’embauche, et ce faisant de renouer avec leur métier d’origine. Avec un taux d’insertion de 76 pour cent.

Pour financer le futur atelier d’insertion, qui accueillera sur 300 mètres carrés une vingtaine de couturiers la première année, La Fabrique lance une campagne de crowfunding sur Kisskissbankbank, visant un montant de 115 000 euros. Une fois équipé, cet atelier formera 60 couturiers en trois ans. Une capsule de bandanas aux motifs signés Jacques Floret et de tabliers réalisés en partenariat avec Le Slip Français et « marrainée » par Agnès b., a pu conforter ce projet. Elle est vendue dans le réseau des deux griffes ainsi que dans l’atelier-boutique de la Fabrique Nomade, situé au Viaduc des Arts, dans le XIIe arrondissement de Paris. Ses bénéfices seront reversés à l’association pour financer sur le long terme l’atelier de confection.

La Fabrique Nomade

« Jusqu’ici, nous réalisions de toutes petites séries, dix à trente pièces, pour nos collections « Traits d’Union » créées en binôme avec un designer et un artisan. Avec cette capsule, nous sommes montés à 3400 pièces, un défi qui nous a prouvé que nous pouvions aller plus loin. Le textile est en manque de main d’œuvre qualifiée, les savoir-faire se perdent, nous recevons de plus en plus d’artisans brodeurs et couturiers migrants. Ce projet a plus que jamais du sens dans le contexte actuel du Made in France. Les entreprises ont du mal à recruter », explique Inès Mesmar, la fondatrice de La Fabrique.

Le nouvel atelier formera 60 couturiers en trois ans

La jeune femme a créé une structure unique en France, œuvrant sur une niche. La valorisation des savoir-faire de l’artisanat. Osé, quand on sait que les métiers généralement proposés par les migrants par les structures d’insertion, qu’elles soient locales, territoriales ou nationales, reflètent clichés et à priori sur l’immigration : le bâtiment pour les hommes, le secteur du nettoyage pour les femmes, pour faire court. La Fabrique permet chaque année à dix femmes et hommes de retrouver leurs « mains », leur savoir-faire, leur identité.

La formation de neuf mois, comme une gestation, comprend, en plus de la montée en savoir-faire adapté au marché français, des cours de français, des rencontres avec des professionnels du secteur, des techniques clés pour la recherche d’emploi, élaboration du CV, entretien d’embauche, etc.

Et ça marche. Parmi bien d’autres, Ablaye Mar couturier-brodeur au Sénégal, a appris son métier sur d’anciennes machines Cornely, dont il n’existe quasi plus un exemplaire en France. Il arrive dans l’Hexagone fort de ce savoir-faire perdu. Mais, sans les codes et le réseau, ne sait pas à quelle porte frapper pour exercer son métier. Le monde de la mode lui est inaccessible. Sa rencontre avec La Fabrique Nomade changera la donne du tout au tout. Echange de compétences, rencontres avec des maisons… Aujourd’hui, Ablaye Mar est couturier chez Kenzo.

« C’est vrai que l’on nage à contre-courant, on va à l’encontre des stéréotypes. Nous disons aux artisans que l’on forme : « osez rêver, osez trouver votre place, ne vous contentez pas de ce que l’on vous propose en estimant que c’est déjà pas mal. Dites -vous : mon savoir-faire a de la valeur, ici aussi, j’ai de la valeur », souligne Inès Mesmar.

La Fabrique Nomade

Celle-ci connaît le sujet intimement. Il lui est sensible et l’a constituée, définie. La fondatrice de La Fabrique Nomade, ethnologue de formation, a grandi dans la cité multiculturelle des 4000 à la Courneuve, dans une famille d’immigrés tunisiens. Et s’est hissée jusqu’au monde universitaire avec un sentiment d’imposture, plus ou moins enfoui. « Il y avait un fossé social entre les autres et moi, en tous cas, à moi, il m’apparaissait », se souvient-elle. La question de « sa place » est centrale. Une première graine est plantée. Jusqu’où a-t-on le « droit » d’étendre le champ des possibles, que peut-on s’autoriser quand on vient d’une cité, quand on est fille et fils d’immigrés. Et en cohérence, ses premiers terrains de recherche seront des camps de réfugiés au Liban, puis en Inde, où elle rencontre de nombreux tisserands. Une autre graine est semée. Elle bifurque ensuite vers la formation professionnelle.

Et, à 35 ans, découvre que sa mère était brodeuse à Tunis. Un passé enfoui, une vie professionnelle oblitérée. C’est le déclic pour Inès qui se dit qu’ils sont nombreux, les migrants de France à avoir dû faire l’impasse sur leur identité professionnelle. « La migration est un chemin de rupture » dit-elle. Elle monte alors son projet, recrute son premier artisan, un potier réputé au Soudan. Elle candidate au programme « Les Audacieuses » de La Ruche, est retenue, et décroche son premier article sur Libération… La roue est lancée. Il lui faut encore avancer. Les Ateliers de Paris hébergent l’association à ses débuts, elle reçoit aussi le soutien de l’INMA (Institut national des métiers d’arts), et lance sa première campagne de crowfunding avec sa première collection Traits d’union.

Renouer avec son savoir-faire, renouer avec son identité

En 2019, LVMH noue un partenariat avec l’association, dans le cadre de sa démarche de préservation des savoir-faire d’artisanat d’art. Un soutien qui prend la forme de mécénat concernant les compétences, la formation, de subventions, et de passerelles avec les Maisons et l’Institut des Métiers d’Excellence du groupe de luxe avec notamment une couturière iranienne recrutée en CDI par la Maison Dior. Aujourd’hui, La Fabrique Nomade emploie huit salariés, est devenue un acteur singulier mais clé de la filière, dans un contexte où le mot « inclusivité » clignote en warning dans les bureaux des DRH.

La Fabrique Nomade

On lui demande même, ici et là, de dupliquer la Fabrique, notamment en région, dans des bassins d’emploi textile notamment. Ce n’est pas d’actualité, la structure, assez lourde pour la formation de dix artisans par an, n’est pas aisément duplicable. Mais l’écosystème a été planté, répondant à des besoins qui montent en puissance sur le territoire. Tandis que la reconnaissance des compétences est une clé fondamentale pour se considérer comme citoyens, acteurs économiques du pays à part entière. Comment faire bouger les lignes, lentement mais sûrement. « Si les personnes migrantes arrivent à rêver pour elle-même, alors leurs enfants rêveront, tout deviendra alors possible », conclut joliment Inès Mesmar.

fabriquenomade.com https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/la-fabrique-nomade-atelier-insertion

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