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La dentelle de Calais va-t’elle disparaître ?

Par Herve Dewintre

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Calais, ce n’est pas qu’un air salin et iodé, une atmosphère humide étrangement égayée par les continuels cris de mouettes, ce n’est pas qu’ un port polyvalent, ni une jungle de regards qui scrutent avec espoir l’eldorado anglais, c’est aussi l’illustre ville qui accueillit la première, dès le début de la révolution industrielle, ces étranges machines monumentales et vertigineuses qui permettaient de tisser de la dentelle en quantité importante et continue.

Si l’invention est anglaise, si le premier métier à tisser arriva en fraude à Calais, depuis Nottingham, sur un bateau de pêche, ce sont bien les merveilleuses améliorations techniques apportées plus tard par les calaisiens qui contribuèrent à rendre unique cette dentelle tissée. Une dentelle prisée dans le monde entier mais désormais en voie de disparition. La chine est passée par là, avec ses prix compétitifs, et la haute couture ne suffit plus à faire vivre une industrie jadis florissante. Calais comptait, en 1910, plus de six cents fabricants ; 1000 métiers faisaient vivre la moitié de la cité. Dans les années 50, 30000 salariés étaient encore employés à la production. Aujourd'hui, ils ne sont plus qu’une poignée.

Poignée dont le volume diminue sans cesse : ce lundi constituait la date butoir pour déposer une offre de reprise de Deceilles Laces, l’un des derniers dentelliers de la ville. Aucun repreneur ne s’est présenté. Sauf surprise de dernière minute, l’entreprise sera placée en liquidation en milieu de semaine.

La dentelle de Calais vit-elle ses dernières années? Possible. Pour sauver la société, Desseilles avait lancé une campagne de financement participatif qui n’a guère rencontré de succès. Les français ne sont peut être pas attachés à leur patrimoine ? Difficile à admettre. Ou alors les dentelliers n’ont peut être pas assez communiqué en temps voulu, de manière pédagogique, sur la richesse et la spécificité de leur savoir-faire. Celui qui n’a jamais visité la salle des archives Darquer par exemple, ne peut apprécier à juste titre l’ampleur et la beauté du patrimoine qui se loge, avec discrétion, au cœur de cette magnifique cité du Nord-Pas de Calais.

Des dentelles de larmes réalisées en collaboration avec l’artiste Rose–Lynn Fisher

Darquer justement. Superbe entreprise fondée en 1840. La plus ancienne fabrique de dentelles de Calais et de Caudry encore en activité. Un temps menacée, puis rachetée par son grand concurrent Noyon, l’illustre dentellier se bat avec panache pour contrer la dentelle chinoise. Elle le fait avec intelligence sur le terrain de la création et de l’innovation en proposant des services nouveaux ( elle invite par exemple les studios de création des maisons de couture à plonger dans ses archives pour en extraire des dessins originaux avant de les faire fabriquer à l’identique ; elle dispose également d’une gamme permanente de 200 références en stock qui permet de répondre à toutes les urgences d’une clientèle qui souhaiterait être livrée du jour au lendemain ) mais aussi en multipliant les lancements de collections inventives, comme par exemple la dentelle pour homme, la dentelle inspirée par la mousse de bière ou encore cette dentelle de mohair, douce et compacte, d’un très grand confort, qui ouvre un champ nouveau de création en propulsant la dentelle au rang de textile chaud et protecteur.

Autre grande nouveauté cette année, Darquer a travaillé main dans la main avec une artiste contemporaine de premier plan, la plasticienne américaine Rose–Lynn Fisher. Vous avez peut être récemment eu le loisir d’admirer sa série de photographies baptisée « Topography of Tears » puisqu’elle a été exposée avec succès au Palais de Tokyo. La plasticienne avait photographié au microscope plus d’une centaine d’échantillons de larmes, les siennes et celles de ses proches. Un large éventail de larmes : larmes de joie, larmes de deuil qui dessinent, lorsqu’elles sont observées en gros plan, des sortes de paysages cristallins et arborescents ; comme d’infinis territoires intérieurs en quelque sorte.

Ces courbes et ces arabesques qui matérialisent nos émotions ont prolongé leur destinée puisqu’elles ont présidé à la naissance d’une dentelle chantilly, extrêmement fine, baptisée en hommage à l’œuvre inspiratrice : « Tears and Lace ». Darquer aurait pu s’arrêter là mais la maison a poussé plus loin encore le concept. Les grandes maisons de couture pourront en effet proposer à leurs clientes de recueillir leurs larmes d’émotion : la plasticienne fera alors le déplacement en personne (elle vit et travaille à Los Angeles) pour photographier au microscope les larmes des clientes séduites par ce concept. A partir de chacune de ces photographies, la maison Darquer restituera à l’identique le dessin qui permettra de réaliser une dentelle de larmes. Idéale pour les robes et les voiles de mariées mais aussi pourquoi pas, pour les dentelles de nouveau-né. Quand les dentelliers se lamentent, leurs larmes sont des œuvres d’art.

Darquer
Deceilles Laces
Noyon