Hangzhou-Lyon, la nouvelle route de la soie
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Petite révolution dans le monde feutré des soyeux lyonnais: un groupe familial a été racheté par un géant chinois. Signe que l'avenir des carrés de soie français, plus que jamais, est à l'étranger. Marc Rozier est une vieille dame. Créée en 1890, elle a commencé par fabriquer des carrés de coton pour les corporations (bouchers, médecins...) avant de se spécialiser dans la soie. C'est aujourd'hui une PME de moins de 50 salariés qui a su garder le savoir-faire lyonnais. "Nous sommes les seuls avec Hermès à maîtriser tous les maillons" de la chaîne de production, relève Patrick Bonnefond, nouveau directeur général, fraîchement débauché de chez Hermès justement. Hormis le fil qui est aujourd'hui systématiquement importé de Chine ou du Brésil dans le secteur, Marc Rozier réalise tout en région Rhône-Alpes, du moulinage (action de tordre le fil de soie) à la confection.
C'est cette production artisanale authentique qui a plu au chinois Wensli, qui a finalisé en 2015 le rachat de 100 pour cent de Marc Rozier, opération débutée en 2014. La stratégie: s'adosser à l'image de marque française et tenter de concurrencer Hermès en vendant moins cher. Wensli, 2.000 employés et un peu plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires (8 milliards de yuans), est basé à Hangzhou, ville au sud-ouest de Shanghai qui fut un des points de départ de l'historique route de la soie, premier exemple au monde de commerce international. A Lyon, l'arrivée de capitaux étrangers, qui plus est chinois, fait beaucoup parler chez les soyeux où il ne reste aujourd'hui qu'une quarantaine d'acteurs, beaucoup familiaux. Mais si certains font la grimace, beaucoup applaudissent à deux mains, à commencer par le maire socialiste Gérard Collomb, très investi sur le terrain économique et convaincu que sa région a plus à gagner qu'à perdre de bonnes relations commerciales avec la Chine. En juin, il a d'ailleurs été reçu en grande pompe au siège de Wensli dans un contexte où les investissements chinois se multiplient en France, dans le vin, le lait, le transport aérien (l'aéroport de Toulouse) ou l'industrie.
'L'erreur serait de vouloir être Hermès'
S'adosser à un tel groupe donne de confortables capacités de développement à l'étranger ce qu'une PME n'aurait pas les moyens de faire toute seule. Des investissements sont ainsi promis par Wensli (même si non chiffrés pour l'heure), des embauches aussi et six boutiques à marque Marc Rozier ont même déjà été ouvertes dans des villes ou des aéroports chinois. Un accord de distribution au Japon est également dans les tuyaux. Car aujourd'hui, le devenir de la filière s'écrit surtout à l'étranger. "L'essentiel de la production est désormais destiné à l'export: l'Asie, l'Europe de l'Est, les États-Unis ou les pays du Golfe, soit sous forme de produit fini (carré, cravate, étole), soit du tissus", abonde Pierric Chalvin, secrétaire général d'Unitex, le syndicat des industries textile de la région lyonnaise.
Mais attention, "l'erreur serait de vouloir être Hermès", souligne Serge Carreira, maître de conférence à Sciences Po Paris, spécialiste de la mode et du luxe. Avec ses quelque 500 millions d'euros de chiffre d'affaires dans la soie/textile, Hermès est LA référence du carré de soie et pèse 100 fois plus que Marc Rozier et ses 4 millions de chiffre d'affaires. "L'héritage et le label Made in France, gages de qualité et d'excellence, ne sont pas suffisants. Il faut en plus réussir à cultiver une identité", innover pour séduire une clientèle chinoise de plus en plus hétérogène et exigeante, ajoute-t-il. A fortiori en Chine où la soie est un produit iconique. C'est ce qu'essaie de faire la nouvelle directrice artistique de Marc Rozier. "On est en train de repenser complètement les collections en donnant un souffle nouveau. L'idée, c'est de rajeunir notre image au niveau des matières, des dessins, des couleurs, tout en conservant la clientèle classique", explique Dominique Lelarge. (AFP)