Fashion emotion : la liste de Benjamin Simmenauer
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A Milan, Londres et Paris, les présentations des collections Homme printemps-été 2021 ont migré vers la toile. Chacun derrière son écran a pu assister à un ersatz de Fashion Week, passant d’une vidéo à une autre, comblant les blancs par un riche contenu en ligne. La nouvelle approche a bien sûr fait débat. Originalité et gain de temps pour certains, manque d’émotion pour d’autres. Cette dernière critique nous a donné envie d’interroger la mémoire des professionnels de la mode. Tour à tour, designers, retailers et prévisionnistes ont sondé leurs souvenirs sensitifs liés aux défilés.
Envie, curiosité, excitation, sérénité… les shows balaient un large spectre d’émotions qu’il est aujourd’hui bon d’exhumer. Pour poursuivre cette série d’interview : Benjamin Simmenauer, professeur à l’Institut français de la mode et agrégé de philosophie.
Une collection qui vous a ému aux larmes ?
Je ne sais pas si j’en ai pleuré mais le plus beau défilé que je connaisse est celui de la collection Printemps été 2005 « Mainstream / Downstream » de Carol Christian Poell. Mannequins et vêtements flottent sur le Naviglio Grande à Milan, en marge des « courants » de la mode commerciale qui défile pas loin de là… La poésie du dispositif ne doit pas éclipser la brutalité du message. Poell aurait dit à une célèbre journaliste qui s’effrayait de voir les vêtements traités ainsi que « ça sècherait » de toute façon.
Un défilé qui vous a donné envie de tout porter ?
Dior Homme Automne-Hiver 2004 « Victim of the Crime ». C’est le moment où Hedi Slimane intègre les codes du rock au luxe français. Tout y est facilement portable, rétrospectivement, parce que ce style a été copié par à peu près toute l’industrie.
Un show qui vous a surpris ?
Le premier de Demna Gvasalia pour Balenciaga (Automne 2016). On attendait qu’il fasse du Vetements… et il a fait du tailoring structuré, reprenant les jeux formels de Cristobal (silhouette sablier, encolure déportée vers l’arrière…). Ça surprend encore ceux qui croient que Balenciaga est une marque de streetwear quand on leur montre les images de ce premier show.
Un défilé qui vous a donné la chair de poule ?
Rick Owens Automne Hiver 2009 Homme « Crust ». Le dépouillement du set, l’illustration musicale (finale de Salomé de Strauss) et l’impression, rare en mode, d’assister à l’affirmation d’une silhouette nouvelle.
Un défilé qui vous a ennuyé ?
Il y en a trop pour n’en retenir qu’un, ce serait injuste !
Une collection qui vous a procuré un sentiment de sérénité ?
Le travail de Jonathan Anderson chez Loewe m’évoque ça : il arrive à donner une sensation de relative intemporalité, alors même que les silhouettes sont souvent assez transgressives. Le temps long de l’artisanat, les références à l’aristocratie espagnole… En tous cas ses défilés sont vraiment chics tout en restant un peu bizarres, ce qui leur évite justement d’être ennuyeux.
Un show qui vous a révolté ?
Il y a vraiment de bien meilleures raisons de se révolter qu’une présentation de mode.
Une collection dont le sens vous a échappé ?
Je ne suis pas sûr de comprendre ce que Raf Simons est allé faire chez Calvin Klein. Ceci dit, malgré l’échec commercial de cette collaboration, j’aime assez les collections elles-mêmes et surtout le défilé « Blade Runner ».
Un show qui a attisé votre curiosité ?
John Galliano chez Margiela. Je me demandais si Galliano ferait du Galliano, si on pouvait faire du Margiela sans Martin Margiela… et je suis très convaincu par les collections, saison après saison. Galliano ne se contente pas de revisiter les codes Margiela (comme souvent des créateurs moins doués se contentent de piller les archives), il crée de nouveaux codes pour la Maison, qui perpétuent le style et la démarche de Margiela. Tout en revenant à ses propres obsessions.
Un défilé qui vous a rendu nostalgique ?
Aucun, je ne suis pas du tout nostalgique.
Crédit : JEAN-PIERRE MULLER / AFP, portrait Benjamin Simmenauer