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En Afghanistan, soies et broderies locales contre burqas chinoises

Par AFP

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La concurrence chinoise s'est engouffrée sur le marché de la burqa et du "chapan", le manteau traditionnel du nord de l'Afghanistan. Mais à Kaboul, une petite maison de couture lutte pour maintenir à flot les textiles et broderies traditionnels du pays.

Lancée en 2006, "Zarif", qui signifie précieux en persan, continue de faire fabriquer ses soies et ses cotons - souvent tissés à domicile par des femmes - sur de vieux métiers de 30 cm de large, et les fait tailler dans ses ateliers au coeur de la capitale, qu'a visités l'AFP.

Ces métiers disparaissent et leur savoir-faire avec, regrette Zolaykha Sherzad, fondatrice de cette maison artisanale qui détourne le vêtement traditionnel pour créer des lignes épurées et contemporaines. Au bazar de Mazar-i-Sharif, dans le nord du pays, les piles de chapans, ces grands manteaux rayés et rembourrés - popularisés en Occident par l'ex-président Hamid Karzai - s'entassent en piles régulières aux étals. "Trop brillants", lâche Zolaykha Sherzad en tâtant l'étoffe synthétique de certains chapans.

Ce n'est plus de la soie tissée mais du nylon imprimé, reproduisant au détail près les chapans à l'ancienne pour un prix trois fois moindre. "Ceux-là coûtent 800 à 1.200 afghanis (11 à 18 dollars), contre 2.500 (36 dollars) pour un chapan traditionnel", confirme Abdullah, le marchand.

Cadeaux de mariage

Seuls les riches achètent encore un chapan traditionnel, pour un cadeau ou pour un mariage. A côté, flottent de même des burqas en polyester bleu et luisant, portées par les femmes pour se dissimuler en public.

"Chine, Inde, Pakistan, tout vient de l'extérieur", soupire Hachem, un teinturier et tisserand pour Zarif qui travaille toujours à l'ancienne dans la cour de sa maison en terre, aux abords de Mazar. C'est là qu'il prépare les métiers pour la dizaine de femmes qui tissent pour lui. "Autrefois j'avais dix familles qui travaillaient pour moi, aujourd'hui j'en ai quatre", résume-t-il en essorant un écheveau de coton indigo. "Avant", enchaîne-t-il, "80 pour cent de la matière première provenait du marché local, aujourd'hui 80 pour cent arrive de l'étranger".

L'histoire se répète pour les soieries: les cocons autrefois filés à Herat (ouest) pour les turbans sont aujourd'hui envoyés en Iran. "Il reste peut-être un seul artisan, il faudrait en former d'autres, mais pour quel marché? Les gens n'ont plus les moyens, les jeunes ne portent plus de turban. Il faut inventer autre chose pour utiliser la soie", relève Zolaykha Sherzad.

Le textile était jadis aussi vivant que les tapis en Afghanistan, au carrefour de la fameuse Route de la Soie et des grandes voies commerciales, entre l'Europe, le Caucase, la Perse et l'Asie. Une activité marquée par les influences tribales des motifs, des couleurs et des broderies qui racontaient l'histoire des brodeuses.

"Autrefois les tissus étaient entièrement brodés, sur les murs, les coussins, les tentures, les robes de mariées... Les femmes en portaient davantage. On essaye de les conserver comme ornements sur les vestes et les manteaux pour maintenir le savoir-faire." "Car ce sont des emplois qui disparaissent, surtout pour les femmes" qui trouvaient ainsi à travailler sans quitter leur foyer, insiste-t-elle.

Brodeuses près du poêle

En fondant Zarif, cette architecte de formation voulait surtout favoriser l'emploi féminin, interdit sous les talibans et toujours compté aujourd'hui. Selon les données fournies par la Banque mondiale, 19 pour cent des femmes afghanes avaient un emploi officiel en 2017 - sans tenir compte du secteur agricole, informel.

Malgré la crise économique qui sévit depuis le retrait de plus de 100.000 militaires occidentaux fin 2014, Zarif emploie toujours 26 salariés dans ses ateliers, serrés autour d'une cour arborée et bercés par le muezzin de la mosquée toute proche. 60% de l'équipe est féminine dont la directrice, Nasima, et la responsable de production, Sara.

Deux brodeuses travaillent à plein temps auprès du poêle à bois et une trentaine, à domicile, sont sollicitées au gré des commandes. Depuis sa création, Zarif a formé plus de 85 femmes: la plupart ont abandonné quand elles se sont mariées - sur insistance des époux. La proximité dans les ateliers avec des hommes extérieurs à la famille reste difficile à accepter. "Le frein à l'emploi des femmes reste leurs maris, et quand elles continuent, elles doivent respecter les horaires très stricts" qu'ils leur imposent.

Zolaykha Sherzad écume aussi les antiquaires pour dénicher d'anciens vêtements richement travaillés dont elle récupère les doublures fleuries pour ses vestons masculins et les broderies pour des sacs. "Il faut créer à partir des matériaux locaux des vêtements qui puissent se porter à l'extérieur, ou au bureau", dit-elle. "En Afghanistan, le secteur de la mode bouge beaucoup mais il est dominé par les influences iraniennes et turques".

Pour survivre, l'histoire de Zarif passe désormais (aussi) par l'étranger, à Paris, où la maison est soutenue notamment par la styliste Agnès b, qui lui réserve de l'espace dans ses boutiques, mais aussi à New York auprès d'une clientèle de fidèles. (AFP)

Photo: Wakil Kohsar / AFP

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