Contre les préjugés, une agence de mannequinat égyptienne à l'assaut de la mode
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Le Caire - Jusqu’ici en Egypte, les mannequins “étaient surtout des filles d’Europe de l’Est, au teint, aux cheveux et aux yeux clairs”, raconte Iman al-Deeb, fondatrice d’une agence de mannequins. Mais cette conception de la beauté est “caduque”, dit-elle.
A 28 ans, silhouette ultra-svelte et cheveux bouclés, elle a débuté sa carrière il y a près de dix ans à Milan en Italie, où “de grands photographes” lui ont fait remarquer qu’elle était “la première mannequin égyptienne qu’ils croisaient”.
“Mais pourquoi? D’accord, l’industrie de la mode est encore en développement dans le monde arabe… mais à ce point?”, se demande encore depuis son bureau dans le centre du Caire celle qui est apparue dans les pages de Vogue Arabia.
Depuis, selon le site spécialisé The Fashion spot, la situation s’est améliorée: la saison Automne 2021 a vu défiler plus de 43 pour cent de femmes mannequins non-blanches sur les podiums, un record.
De retour au Caire fin 2018, Iman al-Deeb a senti la tendance qui émergeait et créé avec sa soeur Yousra l’agence UNN model management – UNN signifie “renaissance” dans la langue des Nubiens, minorité ethnique noire d’Egypte – pour encadrer les nombreuses “mannequins en herbe” d’Egypte, qui jusqu’ici n’avaient “personne pour les soutenir”.
“La beauté ne peut pas être définie par les traits du visage, la couleur des yeux ou des cheveux”, affirme-t-elle à l’AFP: “Nous, on cherche des filles avec une identité propre, prêtes à se construire une personnalité, sans se soucier de l’avis des gens”.
“Source positive” d’inspiration
Aujourd’hui, elle en encadre environ 35, pour des contrats avec Louis Vuitton, Adidas ou encore Levi’s et développe une section hommes. Sur la jeune scène égyptienne émergente, son agence fait déjà office de poids lourd.
“Beaucoup improvisent encore”, explique à l’AFP Mohsen Othman, photographe indépendant. “Ici, une fille qui se trouve jolie, qui a un compte (sur Instagram) et qui pose pour quelques photographes est un mannequin”, poursuit-il.
Habituée à entendre des passants lui dire qu’elle est “trop foncée” ou “trop laide”, Adhar Makuac Abiem n’aurait jamais imaginé devenir mannequin en Egypte, où cette femme de 21 ans du Soudan du Sud est réfugiée depuis 2014. Pourtant depuis 2019, elle a rejoint UNN, une gageure dans un pays où “comme en Occident, des préjugés persistent sur les corps aux peaux foncées”, explique à l’AFP Marie Grace Brown, auteure d’un livre sur la mode féminine et ses implications politiques au Soudan au début du XXe siècle.
Désormais, la jeune femme, qui a grandi en regardant les défilés de la célèbre anglaise d’origine jamaïcaine Naomi Campbell, espère “à (son) tour devenir une source positive” d’inspiration pour les jeunes filles noires dans le monde.
“Guérison”
Tout en arrangeant ses cheveux bouclés avant une séance photo, Mariam Abdallah, mannequin de 22 ans, raconte, elle, travailler davantage à l’étranger qu’en Egypte, où “on n’est pas très intéressé par les top models +exotiques+”.
Mariam Abdallah a quitté son pays “pour la première fois” grâce aux contrats qu’elle a désormais avec plus d’une dizaine d’agences en Europe et aux Etats-Unis.
Pour Sabah Khodir, militante égyptienne contre les violences sexistes, UNN participe à “décoloniser les canons de beauté” et “déconstruire le racisme intériorisé”.
“Etre plus représentées dans la mode, au cinéma ou ailleurs peut sauver des vies: cela vous humanise aux yeux du monde”, affirme à l’AFP cette trentenaire vivant aux Etats-Unis.
Ce mannequinat engagé permet aux femmes d’acquérir davantage “d’estime de soi”, assure Mme Khodir, une “forme de guérison dont nous avons cruellement besoin”.
Outre ces stéréotypes à la peau dure, obtenir l’accord des parents représente un autre défi dans ce pays conservateur.
Selon Iman al-Deeb, les “trois quarts” d’entre eux craignent que les images de leurs filles soient “détournées”, qu’elles portent des “vêtements dénudés” et considèrent les horaires “inappropriés pour des jeunes femmes”.
“Quel que soit le métier, les parents essaient toujours de décider pour les filles”, ajoute Iman al-Deeb, alors que seuls 18,5 pour cent des Egyptiennes avaient un emploi en 2019, selon la Banque mondiale.
Mais Mme Deeb a déjà marqué des points: ses mannequins ont obtenu des visas “mannequinat” pour la France. C’est “historique”, se réjouit-elle. (AFP)