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Cameron-James Wilson: "J'ai le sentiment de diriger quelque chose de nouveau"

Par Anne-Sophie Castro

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Mode|INTERVIEW

Beverly Hills/Paris – La mode change de peau et continue à se développer dans le virtuel. Ces nouvelles « mutantes » ou It girls des podiums, comme Margot, Shudu et Zhi, -qui rassemblent des milliers de fans dans le monde entier- ont été imaginées par Cameron-James Wilson, un jeune photographe californien passionné de jeux vidéos. Donner vie à ces créatures virtuelles chamboulle les vieux codes de la mode et laisse place à une créativité sans limites… Afin de mieux comprendre sa démarche, nous lui avons envoyé quelques questions par email.

FashionUnited :Comment devient-on créateur de mannequins virtuels ?

Cameron-James Wilson : Ce n'était pas voulu intentionnellement. J'ai eu la chance que quelque chose que j'ai aimé faire ait retenu l'attention de beaucoup de gens. J'ai une formation en photographie de mode, une profession que j’exerce depuis dix ans. J'ai commencé très jeune à 17 ans, alors que je ne savais pas quoi faire plus tard... J ai beaucoup apprécié mon travail pendant un temps, mais cela ne m'a jamais complètement comblé. Il manquait quelque chose....

Il semblerait que vous ayez trouvé ce qui vous convient...

En fait, je me suis toujours senti coincé au milieu de deux mondes. J’ai un côté « geek », j'aime la science-fiction et les jeux vidéos et j’aime la mode. Il est rare que ces deux mondes se rencontrent, mais j'ai réussi à trouver des programmes incroyables qui allaient de pair, entre la mode et la technologie.

Quel est votre concept de la beauté ?

Pour moi la beauté change constamment, car j'aime la contester. Je passe beaucoup de temps à réfléchir aux choses que je trouve belles et à me demander pourquoi certaines caractéristiques le sont. Il est important de comprendre, quand vous trouvez réellement quelque chose de beau, si c'est en raison d'influences extérieures, de part votre éducation ou des codes médiatiques, par exemple, ou si c’est votre goût personnel.

On confronte alors votre créativité...

Maintenant que je travaille avec d’autres personnes, je dois constamment faire face à ces idéaux de beauté enracinés. Les clients qui demandent à modifier les caractéristiques de mon personnage ne comprennent pas initialement pourquoi ils le souhaitent, mais ils finissent par en tirer profit. Si je ne cherchais pas constamment de nouvelles sources d'inspiration et que je ne contestais pas ces idéaux, mes personnages deviendraient très homogènes ... ce que je veux absolument éviter.

Quelle est la technique pour créer des mannequins virtuels ?

Imaginez que vous commencez avec un mannequin vierge avec une forme humaine très générique. Vous prenez cette forme et commencez à modifier certaines fonctionnalités. Vous pouvez être très spécifique sur des détails ou vous pouvez cibler plusieurs parties du corps au sens large. Vous pouvez tout changer ! De la hauteur du bout du nez, à l'angle de la narine... Vous devez également penser au type de peau que ce personnage aura, vous pouvez ajouter une texture ou un éclat, ou, avec mon personnage Brenn, vous pouvez ajouter des détails tels que des vergetures, qui donnent au personnage son récit et créent une histoire. À la fin, vous avez créé une sorte de Sim très avancé ou un autre personnage de jeu. Vous pouvez faire poser le personnage comme bon vous semble, lui créer des vêtements et même éclairer la scène comme vous le souhaitez. C'est parfait pour quelqu'un qui aime beaucoup l’aspect créatif et qui englobe dans son travail le stylisme, la photographie, la coiffure, le maquillage ...

Vos personnages, inspirés par de vraies beautés, pourraient être trop parfaits...

C'est un outil comme un autre. Il a le potentiel d'être ce que vous en faites. Certaines personnes font des personnages très faciles à comprendre, avec beaucoup de caractéristiques naturelles comme l'asymétrie, beaucoup de textures de la peau, des cicatrices, j'ai déjà vu des personnages souffrant d'acné ou qui sont beaucoup plus âgés. C'est vraiment à l'artiste de faire ces choix. Pour moi, étant donné que je suis inspiré par les illustrations de mode, les top models et les poupées, je suppose que le look sera beaucoup moins réaliste pour certains, mais ça ne me préoccupe pas. En tant que photographe, les retouches faisaient déjà partie de mon style, et j'estime que tant que vous restez transparent, ce que vous créez est un fantasme et les gens peuvent simplement en apprécier la beauté.

...alors comment vous interpréter ?

Encore une fois, je pense que si vous êtes très clair sur le fait qu'il s'agit d'une œuvre de fiction et non basée sur la réalité, vous pouvez l'apprécier pour ce qu'elle est. Nous vivons à une époque où les gens retouchent énormément leurs photos, ou se maquillent et prétendent qu’elles sont naturelles. Je pense que cela en dit beaucoup plus sur la culture moderne : un mannequin virtuel peut avoir l'air plus réel et naturel qu’un être humain.

Avez-vous le sentiment de révolutionner la mode en donnant naissance à ces hologrammes 3D ?

Je ne suis pas sûr de révolutionner la mode... mais j'ai vraiment le sentiment d'être pionnier ou de diriger quelque chose de nouveau. C'est un sentiment incroyable de fabriquer un mannequin 3D, le plus hyperréaliste au monde ! Shudu en elle-même est fascinante, incroyable ! Grâce à une telle technologie, nous nous transposons vraiment dans le futur. J'ai hâte de voir la suite. J’ai envie de combiner ces personnages avec une intelligence artificielle pour leur permettre de se définir encore plus en détail.

Comment commercialisez-vous vos créations auprès des marques de mode ou d'agences ?

Jusqu'ici, je n'ai pas vraiment eu à le faire. J'ai eu la chance d’être contacté par des personnes qui ont eu confiance en moi. Les marques sont très enthousiastes à l'idée de revendiquer ce nouvel outil. Cela leur permet d'explorer quelque chose de nouveau et d'inspirant. En réalité, ils commandent une œuvre d'art qui change et va se développer au fil du temps.

Qui sont vos clients ?

À titre officiel, les seules marques avec lesquelles j'ai collaboré jusqu'à présent sont Balmain, Vogue Australia, Cosmopolitan, WWD et une marque de t-shirts appelée Soulsky. J'ai plusieurs autres projets en préparation, qui vont sortir très bientôt, mais malheureusement je ne peux pas encore en parler.

Quelles sont les étapes de création d’un mannequin virtuel et combien ça coûte« » ?

Le prix varie d'un projet à l'autre, certains sont beaucoup plus faciles à accomplir que d'autres. Au début du processus, je commence par essayer d’identifier exactement l’objectif final du client. Cela peut être difficile dans un espace où le potentiel est illimité. Je dois ensuite penser aux coûts. Il y a aussi des éléments annexes à tenir en compte comme la création de vêtements 3D, les applications de réalité augmentée, l'intelligence artificielle ou le réglage de leur gréement pour différents programmes. Tous les derniers éléments sont spécifiquement adaptés au scénario individuel de chaque client.

Comment les consommateurs peuvent-ils s'identifier à Shudu ?

Vous devez imaginer un personnage qui engage émotionnellement le public. Shudu, attire ses fans pour ses visuels vibrants et ses belles poses graphiques. Chacune de ses images est une œuvre d'art. C’est un exercice à faire sur chaque personnage. Il faut penser à l’impact qu’il aura sur les gens. Cela ne peut pas être uniquement superficiel.

Pouvez-vous expliquer cette phrase : « Je rapproche le fantastique de la réalité » ?

Traditionnellement, vous prenez quelque chose qui est basé sur la réalité, comme une photo, et peut-être en utilisant Photoshop, cette image sera modifiée et deviendra de moins en moins réaliste. Mon travail consiste à prendre quelque chose de très irréaliste au départ et à ajouter des éléments jusqu’à ce qu’il devienne hyperréaliste et ressemble beaucoup plus à une photographie. En fait, c’est l'inverse de ce que j'ai fait en photographie !

Selon vous, comment va évoluer le monde de la mode avec l'introduction de ces mannequins ?

Je pense qu’il est encore trop tôt pour commencer à voir un réel changement. Je peux voir que la plupart des marques adoptent un avatar virtuel comme un nouveau type de mascotte, qu'elles peuvent personnaliser et développer de manière unique. Mais pour moi le changement le plus spectaculaire sera la manière dont les vêtements seront conçus. En utilisant des programmes tels que CLO3D, vous pouvez créer des vêtements 3D réalistes, qui s’ajustent, se suspendent et se drapent comme le ferait la réalité. En utilisant cette approche, vous pouvez annoncer des vêtements avant de créer un échantillon réel et évaluer la popularité de certains modèles avant même de créer un stock. Vous pouvez créer des lookbooks entiers sans jamais avoir à coudre et à confectionner des vêtements sur commande. Cela permettra d'économiser des tonnes de déchets dans l'industrie de la mode et de révolutionner notre façon de concevoir. Bien sûr, il y aura quelques applications avec des modèles 3D dans ce nouveau pipeline, mais les vêtements devront finalement se retrouver sur une personne réelle.

Parlez-nous de vos nouveaux projets...

J’ai décidé de me concentrer sur Shudu et Brenn pour le moment. Je me sens extrêmement inspiré et je veux developper leurs personnages au maximum en repoussant les limites de leur technologie avant de décider de créer de nouveaux personnages pour moi-même. Cependant, je ne peux pas dire pour l’instant si je conçois pour quelqu'un d'autre...

Enfin, seriez-vous capable de créer des politiciens virtuels ?

Haha ! je pense que vous pouvez voir qu’ils existent déjà, certains se sont mis à le faire... Pour ma part, ce n’est pas dans mes projets ! Je n'aime déjà pas la politique du monde réel, ce n’est donc pas pour en créer une version 3D!

Photos : Cameron-James Wilson, mannequin Shudu.

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