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Veste en toile de parachute et robe en ex-couette: la mode en Pologne communiste

Par AFP

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Culture

Iwona Koczwanska se souvient d'avoir teint des rubans de gaze pour les transformer en jupes froncées afin de rester à la mode malgré les pénuries chroniques de prêt-à-porter du temps du communisme en Pologne. "C'était un gros défi. Celui de s'offrir quelque chose d'impossible à obtenir autrement", raconte l'élégante ex-hôtelière, qui répond par un grognement quand on veut connaître son âge. "Nous étions obligées d'être créatives. Je me rappelle une chouette robe d'été que j'ai cousue avec le tissu découpé dans une couette", raconte-t-elle à l'AFP en parcourant l'exposition "FASHIONable in Communist Poland" au Musée National de Cracovie.

Iwona, chapeau en tissu léopard et pull à col roulé beige, évoque ses souvenirs avec nostalgie en scrutant les images d'anciennes revues de mode qui défilent sur un mur de la galerie. "Regarde comme elles sont ternes ! C'était comme ça. La plupart des femmes étaient ternes. Toutes pareilles, vêtues de marron, bleu marine, gris, gris, gris...", dit-elle en regardant les images d'une file de femmes devant des stands vides. La débrouillardise créative était une obligation pour celles qui voulaient être chic entre 1944 et 1989, face aux limitations qu'imposait le régime communiste et son économie planifiée. Les créations sont exposées jusqu'en avril à Cracovie puis jusqu'en août au Musée national de Wroclaw.

New Look polonais

Avec une économie en ruines et des pénuries dans tous les domaines, la période de l'immédiat après-guerre fut celle du recyclage. En témoigne une veste de fille scout exposée à Cracovie, fabriquée en tissu de parachute, une robe découpée dans une robe de chambre américaine, ou encore un corsage fait à partir de la carte en soie dont étaient pourvus les aviateurs militaires pour le cas où ils seraient abattus en territoire ennemi...

En 1947, quand Christian Dior lança les amples jupes sanglées du New Look en Occident, la situation en Pologne était en train de s'aggraver. "La période stalinienne était celle de la répression, l'idéologie communiste était lourdement imposée, il y avait la censure et toute manifestation de sympathie vis-à-vis de l'Occident était interdite", dit une des commissaires de l'exposition, Joanna Regina Kowalska. Le régime glorifiait l'ouvrier et le paysan. Les habits de tous les jours devaient être confortables et pratiques, et il était exclu d'aspirer à quelque chose de plus sophistiqué. Le New Look a malgré tout pénétré dans la mode polonaise, mais sous forme atténuée. Ses formes accentuées ne l'étaient plus autant dans les imitations polonaises car on manquait de matériaux et d'outils pour donner à une jupe ou à un soutien-gorge la forme appropriée.

Gangs de manteaux

L'aspiration à l'élégance occidentale a connu un épisode célèbre avec l'apparition au milieu des années 60 d'un imperméable fait en tissu polyamide appelé ortalion. "L'objet du désir était un manteau italien en ortalion qui épousait bien la silhouette et ne faisait pas de bruit. Mais ce qu'on pouvait trouver, c'était son équivalent polonais, beaucoup plus raide et qui émettait un bruissement caractéristique", raconte une autre commissaire, Malgorzata Mozdzynska-Nawotka. "L'original occidental était si convoité que des bandes spécialisées ont émergé, qui remplaçaient, dans les restaurants, les originaux par des manteaux fabriqués localement", souligne-t-elle. Le procédé était si répandu qu'il a même inspiré en 1968 une brève comédie intitulée "Pépé ortalion", racontant l'histoire d'un petit vieux sympathique qui complète sa retraite en échangeant les manteaux, jusqu'à ce que l'invincible police l'arrête.

Vers 1980 les magasins étaient littéralement vides en raison d'une grave crise sociale. Un jeans pouvait coûter un mois de salaire. Les Polonais ont alors redoublé de débrouillardise. On teignait les langes pour bébés en coton pour en faire des jupes de couleurs vives et fabriquait des bandeaux de tennis en découpant les chaussettes. En un sens, la mode avait aussi une fonction de défouloir, de "soupape de sécurité" sous le communisme, selon Kazimierz Bujak, un universitaire de 66 ans rencontré à l'exposition avec sa femme. "Toute société, même sous un régime autoritaire, a besoin d'un espace où elle peut être 'libre', n'est-ce pas ?, où les gens peuvent se réaliser". A l'époque, la manière dont on s'habillait était aussi un symbole de statut social en Pologne, aujourd'hui remplacé par la voiture ou la maison où l'on habite. "On arrivera bientôt à la situation qu'on a aux Etats-Unis", poursuit Bujak, "avec des magasins pour millionnaires sur la 5e Avenue où on rencontre des types en T-shirt étiré, jeans troués et espadrilles en lambeaux... parce qu'ils n'ont plus rien à prouver". (AFP)

Iwona Koczwanska