Pourquoi les marques misent-elles de nouveau sur le logo ?
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Au mois de juillet 2016, une rumeur bruissait dans le milieu de la mode. On prétendait que Bernard Arnault était déçu des résultats de Nicolas Guesquière qui avait pourtant fait des merveilles chez Balenciaga. Guesquière avait remplacé Marc Jacob à la tête de Louis Vuitton avec la mission de redonner au maroquinier son aura “premium”. La rumeur était fausse – la preuve, c’est que Guesquière est toujours là - mais il était cependant exact que les chiffres de Louis Vuitton décevait: la marque star accusait une baisse de croissance en Asie.
On analysait cette baisse par le fait que la marque avait un peu trop succombé aux charmes du “tout logo”. On interprétait la diminution du désir de la clientèle asiatique par le fait qu’une nouvelle génération de consommateurs, plus exigeante et plus subtile, souhaitait se démarquer de la masse en fuyant les articles tape à l’oeil, trop griffés. Tout symbole somptuaire et ostentatoire était jugé excessif et par conséquent vulgaire. Le chic, c’était Bottega Veneta. Louis Vuitton souhaitait donc développer sa gamme “premium” et moins mettre l’accent sur les articles arborant le trop célèbre monogram.
Avec le recul, il fait bien reconnaitre que cette analyse était fausse ou incomplète. Si la clientèle asiatique rechignait soudainement à acheter les articles monogrammés, ce n’était pas par mépris mais par obligation. En décembre 2012, un mois après sa nomination à la tête du Parti communiste chinois, le secrétaire général Xi Jinping lançait une vaste campagne anti-corruption. Cette campagne visait à restaurer la crédibilité du pouvoir alors que les extravagances de certains de ses membres avait fortement choqué la population. Xi Jinping annonçait avec force qu’il visait aussi bien les «tigres», c’est à dire les puissants, que les «mouches», c’est à dire les cadres de base. 1,3 million : c’est le nombre de fonctionnaires qui furent punis pour corruption en l’espace de cinq années. On comprend bien, dans ces conditions, qu’il n’était plus question de s’afficher en public avec une montre de prix au poignet, ou avec des sacs de luxe ostensiblement griffés. Ce fut ce qu’il faut bien appeler une période de « profil bas ».
Cette ascèse contrainte et forcée est terminée. La reprise en main du parti par le président chinois est complète. Les ennemis de Xi Jinping ont disparu. Le 19e Congrès du Parti communiste chinois qui s’est tenu en octobre dernier a donné tous les signes d’une détente dans la rigueur, à la grande joie des marchés financiers. Le président a désormais de nouvelles priorités : résorber l’inégale répartition géographique de la croissance chinoise. Pour unifier cette Chine à deux vitesses, il convient dorénavant d’exalter la « société de la moyenne aisance ». Cette société de la moyenne aisance, qui aspire à son tour à consommer, est la cible idéale des marques de luxe. Et pour fidéliser et exciter le désir d’une nouvelle clientèle, rien de tel que le logo.
Forte haute des ventes d’articles de mode et de maroquinerie en Chine
Actuellement, la croissance des ventes d’articles de mode et maroquinerie en Chine continentale se situe peu ou prou entre 30 et 40 pour cent. Cette hausse concerne l’ensemble du secteur de la mode et des accessoires de luxe. LVMH et Kering ont largement profité du rebond de la demande en Asie depuis le second semestre 2016. Les excellents résultats annoncés par les deux groupes de luxe le prouvent.
Pour capter l’attention de cette manne providentielle de clients revenus à de saines dispositions, les marques utilisent des recettes vieilles comme le monde. Le monogram et le logo. Un outil les aide particulièrement à exalter la puissance visuelle de ce symbole d’apparat : instagram. Depuis quelques mois, les stars s’affichent sans complexe en total look, sans souci excessif de nuances. Elles ont raison : le réseau social, avec ses vignettes en petit format consultables sur écran de téléphones portable, n’est pas le lieu pour afficher un message trop complexe et visuellement trop subtil. Il faut que ça claque hic at nunc. Le dernier post de Rihanna, littéralement habillée des pieds à la haute en vêtements ostensiblement estampillés Gucci a récolté en un temps record plus de 3 millions de likes. Sur les podiums, les marques stars – Vuitton et Gucci en tête – ne conçoivent plus de défilé sans une tenue sur laquelle se détache de manière spectaculaire une explosion de sigles immédiatement reconnaissables.
Cette semaine, le très chic grand magasin Le Bon Marche Rive Gauche – propriété du groupe LVMH – prend le relai pour propager la bonne parole durant la fashion week parisienne avec sa nouvelle exposition évènement baptisée « Let’s Go Logo ! ». 130 marques – toutes catégories confondues : mode, accessoires, beauté, maison - ont accepté pour l’occasion d'imaginer des collections capsules exclusives et de jouer avec leurs identités. Deux invités d’honneur se sont joints à l’assemblée : le label lifestyle Lola James Harper créé par Rami Mekdachi qui a transformé le premier étage du Bon Marché en lobby d’hotel ; et le luxeux label streetwear Off-White fondé par Virgil Abloh qui a signé une collection exclusive « Rive Gauche » et réécrit l’esprit attaché à ce titre avec une scénographie inspirée des places et terrasses des cafés parisiens.
Ici, la clientèle des millénials est clairement visée. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le site 24 Sèvres qui met à l’honneur huit personnalités, c’est à dire huit « influenceurs » qui partagent pour l’occasion leurs opinions sur le logo. Ces opinions sont clairement positives. Pour Anil, dont la renommée est attestée par ses 700000 followers, le logo « représente vraiment l’identité de la marque ». Il ajoute : « Ce n’est pas forcément le nom de la marque qui crée la singularité, mais son logo, comme le F de Fendi, ou justement la croix d’Off-White ». Un avis partagé par Alice et JS, couple à la vie comme sur leur blog : « sans logo, ne marque ne peut pas construire son identité ». A bon entendeur.
Crédit photo :24sevres.com, capture ecran instagram, dr