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Luxe: la guerre à coups de musées

Par Herve Dewintre

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Culture

L’actualité s’intéresse ces jours-ci au musée Pinault. Ce fameux musée logé au cœur de l’ancienne bourse de commerce de Paris. C’est un superbe bâtiment datant du XVIIIe siècle, jouxtant la rue du Louvre, à l’orée du quartier des Halles. A l’origine, il s’agissait d’une halle aux blés, construite, grâce à l’appui du prévôt des marchands, sur un terrain particulièrement propice à l’acheminement des grains, à cause de sa proximité avec la Seine. Les parisiens ont toujours aimé ce bâtiment, notamment son jeu de volumes qui rappelle l’architecture gothique. Ils ont également aimé sa valeur emblématique : cet édifice a en effet illustré à merveille la notion nouvelle de monument public, isolé et dégagé par rapport au tissu urbain, mais aussi l’adéquation entre la forme et la fonction. Bref, c’est un symbole auquel on ne touche pas impunément.

L’actualité s’intéresse ces jours-ci au musée Pinault. Ce fameux musée logé au cœur de l’ancienne bourse de commerce de Paris. C’est un superbe bâtiment datant du XVIIIe siècle, jouxtant la rue du Louvre, à l’orée du quartier des Halles. A l’origine, il s’agissait d’une halle aux blés, construite, grâce à l’appui du prévôt des marchands, sur un terrain particulièrement propice à l’acheminement des grains, à cause de sa proximité avec la Seine. Les parisiens ont toujours aimé ce bâtiment, notamment son jeu de volumes qui rappelle l’architecture gothique. Ils ont également aimé sa valeur emblématique : cet édifice a en effet illustré à merveille la notion nouvelle de monument public, isolé et dégagé par rapport au tissu urbain, mais aussi l’adéquation entre la forme et la fonction. Bref, c’est un symbole auquel on ne touche pas impunément.

Le pouvoir de l’art

Au fond, les grands seigneurs français ont toujours eu tendance à couronner l’éclat de leur règne par les arts (« qui sont la gloire des nations » comme le disait Louis XVIII) et plus précisément, par l’architecture. Comme si l’édification de bâtiments grandioses, singuliers, étaient le moyen ultime - le seul même - capable d’attester une puissance passée à des générations futures. Louis XIV nous a offert Versailles, Georges Pompidou un centre à son nom, François Mitterrand la pyramide du Louvre, Jacques Chirac le musée Branly. C’est un fait : l’art et le pouvoir ont toujours été intrinsèquement liés ; Le Louvre lui-même, qui est aujourd’hui le plus grand musée du monde, était à l’origine un château fort.

On répète souvent, à tort ou à raison, que le politique impuissant a désormais cédé le pouvoir aux capitaines d’industrie, aux géants de la finance. Assertions à priori invérifiables, seuls les historiens seront en mesure de juger. Pourtant il n’est pas anodin de constater les deux faits suivants : l’art contemporain qui n’occupait à Paris qu’une place relativement congrue bénéficie désormais de fondations véritablement exceptionnelles, destinées à l’accueillir et à le célébrer comme il se doit. Ces fondations, nées à quelques années d’intervalles, sont liées à trois hommes, trois français, qui à eux seuls, ont inventé l’industrie du luxe. Les groupes qu’ils dirigent (ou ont dirigés) regroupent la quasi-totalité des maisons de luxe encore en activité, à l’échelle du globe. Le fait qu’ils aient choisi Paris pour leurs fondations respectives résonne comme un cri d’amour et de reconnaissance à la cité qui, par son foisonnement créatif et l’entendu de ses savoir-faire, a permis l’émergence de leur groupe de luxe. Comme si, en somme, l’art n’était plus la gloire des nations, mais la gloire des entreprises qui elles-mêmes sont devenues la gloire des nations.

Dans l’industrie du luxe, tout le monde connait Alain-Dominique Perrin. Une légende unanimement respectée. Son parcours exemplaire chez Cartier dont il fut le président durant trois décennies, chez Richemont (puissant groupe de luxe comprenant Cartier, Van Cleef & Arpels, Piaget, ainsi qu’un nombre impressionnant de manufactures horlogères prestigieuses) a inspiré de nombreuses vocations. Bon vivant, ami de Claude François, de Lou Reed et de François Pinault, exécuteur testamentaire de César, ce natif de Nantes, qui prit sa retraite en 2003, fut le précurseur du luxe contemporain. Ses intuitions, qui peuvent sembler évidentes, méritent qu’on s’y attarde encore aujourd’hui : « ne pas confondre cher et luxe ; le luxe et la mode, ce ne sont pas les mêmes métiers : la mode, ça se démode, le luxe ça ne disparait jamais ». La France lui doit l’inscription de la loi sur le mécénat privé dans la constitution. Paris lui doit la fondation Cartier.

Nous sommes en 1984. Alain Dominique Perrin pressent à l'époque qu’il faut non seulement inscrire Cartier dans la pérennité, mais aussi dans la société civile. L’exemple, c’est le Danemark, qui fut précurseur du mécénat moderne en entreprise. Plus prosaïquement reconnaitra-t-il plus tard, il s’agissait aussi de faire en sorte que Cartier ne soit pas rejetée par l’intelligentsia de gauche en dépassant sa condition de maison de luxe pour devenir un acteur de la modernité et de la création. Jamais il ne fut question de faire briller Cartier par le foot, la F1 ou les voiles. Cartier brillerait avec les artistes ! Avec quelques règles strictes et intangibles devenues des lois immuables dans la maison : les artistes exposés à la Fondation Cartier ne sont jamais mis en contact avec Cartier - qui se suffit à lui-même - pour créer des objets ou des produits. “Faire travailler un artiste sur une affaire commerciale, c’est prendre le risque de le détruire”. Les opinions d’Alain Dominique Perrin sont parfois tranchées, n’hésitant pas à déclarer que les œuvres de Jeff Koons ou de Murakami ne passeront pas à la postérité : “certains collectionneurs sont las de voir décliner l’art de Murakami sur des accessoires”. Regard oblique vers Vuitton. Ça tacle avec le sourire mais ça tacle sec dans le monde du luxe.

Octobre 2014. Trente ans, jour pour jour après l’ouverture de la fondation Cartier, une foule de personnalités se réunit à la frontière de Paris et de Neuilly autour d’un bâtiment hors normes ; une sorte d’iceberg métallique qui dresse avec majesté ses coques-élytres saisissantes et ses verrières étincelantes dans le ciel du bois de Boulogne. C’est la fondation Louis Vuitton qui vient d’être inaugurée par François Hollande et Bernard Arnault. Un projet titanesque. L’architecte est Franck Guery. Tout dans cette scène semble vouloir indiquer que primo : LVMH n’est pas seulement qu’une identité financière et deuxio : que le « bien public » n’est pas du seul ressort de la volonté des gouvernements.

Le PDG de LVMH, qu'on ne présente plus, est réputé pour sa froideur et sa pudeur ; un homme du Nord. Le plus célèbre patron de France préfère parler de son entreprise plutôt que de sa personne. S’il lui arrive de communiquer sur sa passion pour les mathématiques (« l’important, c’est la dérivée ! »), pour le piano ou pour l’architecture, on connait moins l’affection qui le lie à l’art contemporain. Moins flamboyant que chez d’autres collectionneurs plus expansifs, ce lien n’est pourtant pas moins conséquent. En tout cas, il vient de loin : du début des années 80 lorsque le futur patron de Christian Dior acheta, avec flair, ses premières œuvres de Picasso, Matisse, Calder ou Rothko. Ce gout n’était pas précisément partagé par Jean Arnault qui n'a jamais caché sa stupéfaction teintée d’incrédulité devant les nouvelles acquisitions de son fils : « « J’ai découvert dans son bureau un nouveau tableau avec une bande jaune, une bleue et je ne sais plus quoi. Je lui ai dit: franchement, Bernard, c’est digne d’un enfant”. C’était un Rothko. “ Et, l'autre jour, chez lui, j'ai remarqué, foutu dans l'entrée, un truc immense avec des gribouillis dessus. En sortant, j'ai dit à ma femme : tu as vu ce que j'ai vu? ». Bernard Arnault s’était offert à lui-même, pour ses cinquante ans, une immense toile de Basquiat.

S’il possède la maison de ventes d'art britannique Phillips, le pdg de LVMH s'est toujours refusé à être un mécène solitaire. Suzanne Pagé, qui fut la remarquable directrice du Musée d’Art moderne de Paris assure depuis 2006 la direction artistique de la collection Louis Vuitton. Elle insiste sur un point visiblement décisif à ses yeux : les œuvres achetées pour cette collection ne sont pas destinées à être revendues. Comme si, en filigrane se détachait de ce projet d’envergure, une hantise de l’éphémère. Il est bien vrai que Bernard Arnault qui se reproche parfois d’être impatient, parle souvent du temps. L’admiration qu’il porte à Bill Gates est sincère ; mais pas autant que son amour pour la durée : « dans 100 ans, on appréciera toujours Dom Pérignon (propriété de LVMH, Ndlr) mais on ne se souviendra pas forcement de Microsoft ».

« C’est une très belle journée !». Anne Hidalgo gratifie d’un sourire radieux chacun des journalistes venus à cette conférence de presse matinale. Nous sommes fin avril 2016. François Pinault est présent, ses enfants aussi. Le maire de Paris ne cache pas sa joie « C’est une chance inouïe d’accueillir à Paris la collection de monsieur Pinault !» La rumeur courrait depuis plusieurs mois : François Pinault, voulait installer une fondation dédiée à l’art - une fondation à son nom - au cœur de Paris. On hésitait à y croire tant le sort s’était acharné contre le puissant fondateur du groupe Kering qui possède entre autres Gucci, Saint Laurent et Bottega Veneta. En 2005, un projet de musée extraordinaire (situé sur l'ancien site des usines Renault de l'île Seguin) avait été annulé. En cause, diverses lenteurs liées à de nombreux intérêts contradictoires. Le collectionneur s’était alors tourné vers Venise, ville visiblement plus accueillante et moins procédurière, où il s’était offert le Palazzo Grassi pour y exposer une partie de sa collection personnelle. L’histoire d'amour entre François Pinault et Paris était belle pourtant. L'homme d'affaire avait pris gout à l’art contemporain à la fin des années 80 sans avoir la moindre formation ni la moindre connaissance sur le sujet.

L'anecdote est bien connue : en 2003, lorsqu'il décida de prendre sa retraite et de confier les clefs de son empire à son fils, celui-ci s'inquiéta: “mais que vas-tu faire maintenant?” demanda François-Henri Pinault à son père. Le tout Paris était incrédule. On ne prend jamais sa retraite à ce niveau de responsabilités. Evidemment ce fut dur, les proches du magnat breton parlèrent de dépression mais au final, l'Art fut un puissant dérivatif. Et bientôt, une passion dévorante. Cinq ans auparavant, en juin 1998. François Pinault s’était porté acquéreur de Christie's, la plus grande maison de vente d'œuvres d'art au monde. Personne ne vit le coup venir. Cet achat lui ouvrit toutes les portes du marché de l'art, lui facilita tous les contacts. Evidemment, les experts raillèrent volontiers les mérites patrimoniaux de cette passion (les œuvres ne sont pas soumises à l’impôt sur la fortune) pourtant, Ils sont nombreux ces galeristes qui indiquent avoir vu un jour débarqué, les yeux brillants, François Pinault pour acheter l'œuvre obscure d'un artiste inconnu. La collection de François Pinault est aujourd’hui l’une des premières du monde.

Le fondateur de Kering, avait-il perdu l’espoir de voir un jour se dresser une fondation à son nom dans son pays natal ? Non, bien évidemment. Il était même en négociations directes avec la Ville de Paris dans le but de trouver un édifice digne de ce nom, de préférence au cœur de la Capitale. On avait un temps parlé de l’espace Pierre Cardin, mais ce 27 avril, le suspens prit fin : ce sera la Bourse de commerce de Paris. Quelques jours auparavant, le journal Les Echos (propriété de LVMH – concurrent direct de Kering) avait vendu la mèche, non sans malice. 18 mois plus tard, c’est le Canard Enchainé qui met le feu aux poudres en rappelant que la Mairie de Paris a mis 86 millions d’euros sur la table pour acquérir l’édifice qui appartenait jusqu’alors à la CCI. Un montant connu de tous depuis longtemps et qui traduit en réalité des tractations assez classiques. Il n’empêche que le coup a porté et que le nouveau musée Pinault ouvrira peut-être sous les auspices de la suspicion. La première exposition est prévue à la fin de l'année 2018. Sans même connaitre l’ensemble des tenants et des aboutissants, ce rebondissement a le mérite de rappeler aux étourdis que nous sommes bel et bien au cœur d’une guerre froide entre géants du luxe.

François Pinault a promis une nouvelle vie à ce bâtiment superbe. Martin Béthenod est le directeur du site, Tadao Andō est l’architecte du projet. Seul hic, la proximité avec le forum des halles, très (trop ?) populaire. Voisinage qui a un peu terni au fil des années le prestige du lieu. Mais le projet de rénovation de la poste du Louvre - qui va bientôt devenir un îlot urbain à «usage mixte» sous la houlette de l'architecte Dominique Perrault - devrait rendre tout son lustre au quartier. Les travaux ont commencé en janvier 2017, la première exposition est prévue à la fin de l'année 2018. A cette date précise, quelques pâtés de maisons plus loin, se terminera enfin l'homérique chantier de rénovation de la Samaritaine qui incarnera, au cœur historique de Paris, l’installation définitive du luxe, vu par LVMH. Du grand art.

Crédit photo : Bourse du Commerce de Paris, dr

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