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Le turban, un "trophée" contre l'intolérance religieuse au Brésil

Par AFP

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Culture

Rio de Janeiro - Quand la Brésilienne Rogéria Ferreira a été obligée d'enlever son turban pour prendre une photo destinée à sa carte d'identité, elle s'est sentie blessée dans son intimité. Cette styliste noire de 36 ans a pris l'habitude de couvrir son "ori" (tête en Yoruba) pour respecter les préceptes du candomblé, religion apparue au Brésil au XVIe siècle avec l'arrivée d'esclaves venus d'Afrique.

"Pour beaucoup de gens, c'est juste un morceau de tissu, une mode. Mais ce turban représente mes ancêtres. Si je sors sans turban, c'est comme si j'étais nue. Je me suis sentie humiliée, agressée", raconte-t-elle à l'AFP. Comme Rogéria a dû refaire sa carte d'identité dans l'urgence après avoir été victime d'un vol à main armée, elle n'a pas eu le choix. Mais, pour la première fois de sa vie, des fonctionnaires de l'état civil lui ont dit que pour prendre la photo avec son turban, il lui aurait fallu présenter un certificat médical disant qu'elle avait un cancer ou une lettre de sa "mère de saint" (prêtresse du candomblé). La jeune styliste a fini par se résigner: elle s'est découverte. Mais n'a pas baissé les bras.

'Esprits immondes'

S'estimant victime de "préjugé racial et religieux", elle a engagé une longue bataille judiciaire et a obtenu gain de cause un an plus tard. En mars, le parquet de Rio a autorisé des photos d'identité avec "tout type de couvre-chef pour des raisons de conviction religieuse". Rogéria a donc pu faire une autre carte, avec un flamboyant turban jaune orné de fleurs roses: "Cette carte d'identité, c'est mon trophée, un trophée collectif".

Son combat s'inscrit dans un contexte de plus en plus tendu, les épisodes d'intolérance religieuse s'étant multipliés ces derniers mois au Brésil. De nombreux adeptes du candomblé ont été victimes récemment d'agressions de la part de membres d'Églises évangéliques néo-pentecôtistes, dont certains étaient même des narcotrafiquants reconvertis. Le 17 septembre, la dixième édition de la Marche pour la liberté religieuse a réuni plusieurs milliers de personnes sur la célèbre plage de Copacabana à Rio. "Notre pays est laïc, mais nous sommes en train de revenir au temps de l'inquisition", s'était indigné à l'occasion le Doté (prêtre) Adriano, de la branche Sogbo du candomblé, entouré d'un groupe de fidèles, tous vêtus de blanc.

Début septembre, deux vidéos qui circulaient sur les réseaux sociaux montraient des individus forçant des fidèles de religions afro-brésiliennes à détruire des images saintes dans leurs lieux de culte. Ces tensions récentes ont eu lieu alors que la ville de Rio est administrée depuis le début de l'année par le maire Marcelo Crivella, pasteur de l'Église Universelle du Règne de Dieu, une des principales Églises évangéliques du pays. Avant de prendre ses fonctions, l'édile avait dû s'excuser publiquement de propos tenus dans son livre "Évangéliser l'Afrique", datant de 1999, dans lequel il parlait d'"extirper les esprits immondes".

'Voilà la sorcière'

"La discrimination à Rio est terrible. Quand je marche dans la rue, certaines personnes me regardent de travers et disent: 'voilà la sorcière'. Parfois, même quand le bus est plein, personne ne s'assied à côté de moi", explique Rogéria. "La discrimination est généralisée, mais à l'encontre des Noirs, elle est exacerbée", estime-t-elle. "J'ai appris à le prendre avec humour", admet-elle, regrettant l'"ignorance" de la population en ce qui concerne le candomblé.

Même si le port du turban n'est pas interdit dans ce pays laïc, et si cet accessoire est même devenu une mode pour les femmes, sans distinction de race, Rogéria n'est pas la première à se dire victime de discrimination. La militante noire Dandara Tonantzin a indiqué avoir été agressée l'an dernier lors d'une cérémonie de remise de diplômes dans le Minas Gerais (sud-est) où des jeunes lui avaient arraché son turban.

Le Brésil, pays à la plus grande population catholique au monde, est en pleine mutation religieuse. La proportion de catholiques est passée de 92 pourcent en 1970 à moins de 65 pourcent en 2010, selon le dernier recensement de l'Institut de géographie et de statistiques (IBGE). Sur cette même période, les églises évangéliques ont vu leur nombre de fidèles augmenter de 5,2 pourcent à 22,2 pourcent de la population. Pour ce qui est des religions afro-brésiliennes, ce chiffre tombe à 0,3 pourcent, mais certains analystes estiment que beaucoup n'osent pas assumer leurs croyances à cause des préjugés. ( Par Carola SOLÉ / AFP)

Photo: YASUYOSHI CHIBA / AFP

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