SMCP pris en otage par ses actionnaires chinois, visés par le gendarme boursier
28 mars 2025
Paris - Franchissement de seuil, diffusion d'informations fausses ou trompeuses et manipulation de marché : dans une crise de gouvernance hors normes, des actionnaires chinois du groupe de mode français SMCP risquent 1,4 million d'euros d'amendes devant l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Le groupe SMCP ne sait pas qui est propriétaire de 16% de son capital, après la cession d'un bloc de 12 millions d'actions en 2021 impliquant la cheffe d'entreprise chinoise Chenran Qiu, contre qui une amende de 700.000 euros est requise, et deux entreprises, European Top Soho (ETS) et Dynamic Treasure Group (DTG), qui risquent respectivement 400.000 euros et 300.000 euros d'amende.
Isabelle Guichot, la directrice générale de SMCP, présente lors de la séance jeudi, a dénoncé "un enfer pour la société et ses 6.000 salariés depuis quatre ans", qui représente un "vrai sujet pour se développer et être crédible".
L'actionnaire majoritaire de SMCP au moment de son introduction en Bourse en 2017 est un conglomérat chinois, Shandong Ruyi, via un véhicule d'investissement enregistré au Luxembourg, qui est ETS. Or, celui-ci, lourdement endetté, a fait défaut et a perdu en 2021 la majeure partie du capital au bénéfice de ses créanciers réunis au sein de l'entité GLAS.
Aujourd'hui, GLAS détient 29% du capital de SMCP et aimerait vendre ses parts pour récupérer l'argent prêté. Mais ETS a auparavant vendu pour un euro une participation de 16% à la fille du fondateur de Shandong Ruyi, Chenran Qiu, logée dans le trust DTG aux îles Vierges britanniques. "L'objectif est très simple: il consiste à empêcher toute cession majoritaire sur SMCP puisqu'il en manque 16%. (...) C'est une situation dans laquelle SMCP ne peut pas retrouver un actionnaire de référence", a poursuivi Isabelle Guichot.
Acheteuse et vendeuse à la fois
Les enquêteurs de l'AMF ont dénoncé la position à la fois de vendeuse et d'acheteuse qu'aurait eue Chenran Qiu dans la cession de 12 millions d'actions de SMCP en 2021, aujourd'hui valorisées 40 millions d'euros, par l'entreprise ETS à DTG, deux entités au sein desquelles elle serait en réalité impliquée. Actionnaire majoritaire en 2017, ETS ne détenait plus que 8% du capital fin 2021, après cette cession.
En novembre 2021, ETS a refusé de révéler au public l'acquéreur de ces 12 millions d'actions, avant d'indiquer plus tard en 2022 que ce tiers était en réalité la société DTG. Cette même communication démentait également des informations du média Le Figaro selon lesquelles Chenran Qiu était derrière DTG. Ce dernier affirmera alors que Madame Qiu "ne contrôle d'aucune manière les affaires de DTG". "L'enquête a pourtant démontré le lien évident entre DTG et Chenran Qiu", a affirmé la représentante du Collège de l'Autorité des marchés financiers lors de la séance de Commission des sanctions.
Chenran Qiu, qui ne s'est pas présentée à l'AMF jeudi, mais qui était représentée, est notamment accusée d'avoir procédé à un montage financier ayant rendu opaque et illisible l'actionnariat du groupe SMCP. Son avocate Julie Guenand a reconnu la réalité du défaut de déclaration, mais a affirmé qu'il était "non intentionnel" et commis "dans une désorganisation totale" d'ETS qui, à l'époque, "traversait une crise financière et de gouvernance importante".
Elle a insisté sur le défaut de maîtrise de Mme Qiu, "ressortissante chinoise", des réglementations en vigueur en France. "On présume une grande richesse de sa part sans en apporter la preuve", a ironisé Julie Guenand, assurant que Mme Qiu "n'avait retiré aucun avantage personnel ni profit" de l'affaire dont les accusateurs font "une lecture rétrospective et finaliste des faits".
Outre la crise de gouvernance, la représentante du Collège de l'AMF a également requis une amende de 50.000 euros à l'encontre de SMCP pour un manquement, inédit en France, à ses obligations de préserver la confidentialité des informations privilégiées, en raison de la publication d'un brouillon du communiqué de presse présentant ses résultats annuels, en 2022, quelques minutes avant la fermeture du marché.
Le groupe en a rejeté la responsabilité sur son prestataire informatique d'alors et a souligné les mesures correctives apportées. La Commission des Sanctions devrait rendre sa décision dans les prochaines semaines.