Routes de tous les dangers pour les ouvrières du textile au Cambodge
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Kampong Speu (Cambodge) - Nak, comme des centaines de milliers d'ouvrières de l'industrie du textile, s'entasse sur la plate-forme d'un camion bondé pour rentrer de l'usine, un périple de tous les dangers au Cambodge où le taux de mortalité routière ne cesse de grimper.
« Nous n'avons pas le choix, nous devons partager le transport pour économiser de l'argent », soupire la jeune femme de 35 ans, se frayant un chemin au milieu de dizaines de collègues, certaines enceintes, désireuses comme elle de rentrer chez elles au plus vite.
T-shirt à manches longues, chapeau et foulard autour du cou pour se protéger du soleil, elle grimpe à l'arrière du véhicule où se serrent déjà une cinquantaine de travailleuses.
Debout, accrochée aux barres en métal pour garder l'équilibre, elle sillonne des routes cabossées, poussiéreuses et encombrées pendant 40 minutes avant de regagner son petit village de la province de Kampong Speu, à quelques dizaines de kilomètres à l'ouest de Phnom Penh.
Nak Khmao fabrique des sacs pour 240 dollars par mois et en acquitte 12 pour faire le trajet aller-retour de son village à l'usine.
Elle s'estime chanceuse : depuis qu'elle a commencé à travailler il y a un peu plus d'un an, elle n'a pas encore été victime d'un accident de la route, un fléau au Cambodge pour les petites mains de l'habillement.
24 ont été tuées et 944 blessées dans des accidents de la circulation au cours des six premiers mois de 2019, des chiffres en forte augmentation par rapport à 2018, selon les données de la Caisse nationale de sécurité sociale du Cambodge.
Et on recense quotidiennement 12 accidents impliquant des ouvrières du textile.
« Nous vivons dans l'inquiétude, nos vies sont sur la route », relève Nguon Sanit, 39 ans, témoin de plusieurs collusions.
Chauffeurs ivres
En cause d'abord, les conducteurs qui, par souci de rentabilité, surchargent leur camion.
Le chauffeur Dara entasse ainsi, pour 10 dollars chacune, une soixantaine de personnes à l'arrière de son véhicule et en prend quatre supplémentaires dans la cabine. « Je roule lentement. Ca va », assure-t-il.
Mais beaucoup ne respectent pas les limitations de vitesse et le code de la route.
Il leur arrive également de conduire en état d'ivresse. « Après avoir déposé les ouvrières, ils font une pause et boivent avec leurs collègues. Au moment de repartir les chercher, certains sont ivres », relate à l'AFP Pav Sina, syndicaliste dans le secteur.
Les camions sont aussi vieillissants, rarement aux normes et conçus pour le transport du bétail ou des marchandises, pas des personnes. Enfin, l'état des routes mal entretenues et mal éclairées accentue encore les risques.
Les salaires des petites mains du textile, la plus grande industrie du Cambodge avec plus de 700 000 travailleurs, dont 80 pour cent de femmes, ont régulièrement augmenté ces dernières années.
Mais « on n'a pas beaucoup réfléchi (...) à la manière dont elles se rendent dans les usines », déplore William Conklin, directeur national du Centre de solidarité au Cambodge, une ONG qui promeut les droits des travailleurs. Selon lui, les chauffeurs, les directeurs d'usine et les autorités cambodgiennes ne sont pas les seuls à blâmer.
Les marques internationales pour lesquelles ces ouvrières travaillent doivent aussi prendre leur responsabilité et « allouer les ressources nécessaires pour qu'elles soient en sécurité sur le chemin du travail ». Pour l'instant, même si le salaire minimum va être porté à 190 dollars en janvier prochain, les travailleuses de l'habillement n'ont pas le choix d'autres moyens de locomotion.
Et la situation sur les routes ne semble pas prête de s'améliorer: sur un an le nombre de morts a progressé de plus de 6 pour cent entre juillet et septembre, d'après les autorités cambodgiennes. « Nous devons prendre ce risque. Nous avons besoin de cet argent », soupire Nak. (AFP)
Photo : Unsplash