Réseau R3ILAB : les acteurs de la filière témoignent
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En ces temps figés, comme suspendus, le R3iLab a souhaité, à partir des réflexions d’une dizaine de proches du réseau, partager les énergies et tenter de se projeter… Paul de Montclos (Garnier-Thiebaut), Xavier Romatet (IFM), Antoine Fenoglio (Sismo Design), Yann Rivoallan (The Other Store) ont répondu à ce premier appel. Une seconde vague suivra, avec d’autres acteurs de la chaîne de valeur mode.
Ces premiers témoignages traduisent l’urgence de l’action, comme l’a montré la formidable mobilisation de la filière pour fabriquer des masques et des blouses. « Ils font également échos aux enjeux de recentrage de la production sur le local, le Made In et la créativité (faire différemment), des thèmes chers au réseau depuis les travaux menés dans le cadre de ses programmes de réflexions Scenarii 2020, puis Scenarii 2030. Ils rappellent enfin que l’heure est à l’anticipation », rappelle le réseau pour l’innovation dans l l’industrie textile. Morceaux choisis
Xavier Romatet, directeur général de l’Institut Français de la Mode
C’est d’abord une situation très brutale avec l’annonce, nécessaire certes, de devoir fermer en 3 jours l’école qui accueille 700 étudiants dont 200 étrangers, 100 collaborateurs et autant d’intervenants extérieurs. Il nous a fallu migrer très rapidement vers un autre IFM.
D’une façon générale, je suis assez fasciné de voir la capacité d’adaptation d’un grand nombre de personnes et d’une société qui est passée du stade de la démocratie à celui de l’autorité ; du stade des libertés fondamentales, à celui des contraintes fortes, pour de bonnes raisons, bien sûr. On voit comment une société, comment le monde peut basculer en si peu de temps. On voit comment le respect de la vie l’emporte sous tout autre considération ; on voit comment la peur de l’inconnu peut conduire à prendre des mesures extrêmes ; on voit comment, dans un monde de Tech, d’I A, de programmation, de connaissances infinies, on se trouve soudain dépourvu face à un virus d’origine animale.
Cette situation montre à la fois la force et la fragilité extrême du monde dans lequel nous vivons. Mais cette situation de basculement met en exergue plusieurs choses : le retour du temps long, qui incite, dans un monde devenu statique et en apesanteur, à réfléchir à des questions déjà sous-jacentes sur notre système mondialisé, énergivore, financiarisé, inégalitaire à l’extrême.
Je souhaite donc que de façon générale et particulièrement sur le secteur de la mode et du luxe des questions de fonds participent à une réflexion et des actions d’un nouveau genre : la fast fashion, les fashions week, la localisation des productions, l’artisanat et l’industrie locale, le sourcing des matières, le respect du temps, la relation au consommateur. Bref la refondation de nouveaux équilibres.
Antoine Fenoglio (designer et co-fondateur des Sismo, cabinet de design indépendant)
J’ai un sentiment à deux échelles. Celle de l’urgence et du quotidien qui oblige à prendre de nombreuses décisions sans précipitation pourtant. En essayant de rester lucide et d’accompagner au mieux la communauté qui fait vivre économiquement, mais aussi culturellement, socialement et techniquement Sismo. En acceptant également d’être accompagné et soutenu par ce réseau face à la crise, aux peurs qu’elle suscite, aux colères, aux hypothèses et aux désirs qu’elle ne manque pas de faire naître.
La seconde échelle est liée à notre engagement depuis de nombreuses années autours du “design with care ”, c’est à dire à un mode de création et de conception qui prend en compte les vulnérabilités humaines, climatiques, économiques. En cela cette crise s’inscrit pour nous dans une forme de “logique”, malheureuse mais logique. Logique d’un système qui voudrait bien oublier une part de la condition humaine, et penser qu’une approche gestionnaire et anthropocentrée fera l’affaire. Cette crise nous rappelle les limites de nos organisations avec force, et les défis immenses qui nous attendent pour rentrer de plain-pied dans les contraintes et les espoirs du XXIème siècle.
Ma conviction est qu’une entreprise ne pourra plus ignorer la fragilité des environnements dans lesquels elle se développe. Une entreprise devra se rappeler qu’elle est avant tout une “société”, que sa mission est de participer à “faire société”. Pour cela il faut accepter ce que nous apprend cette crise, mais aussi les projections scientifiques du réchauffement climatique, l’évolution des incertitudes sociales ou politiques. Accepter c’est reconnaître les vulnérabilités de son organisation et de l’environnement dans lequel elle évolue, et apprendre comment faire de cette lucidité des occasions de transformations, actives, attractives.
Paul de Montclos (Pdg de Garnier-Thiebaut)
Les filières Vosges Terre Textile et Alsace Terre Textile ont été très vite sollicitées pour pallier les manques de masques et de blouses. Après quelques jours de flottement ou chacun a essayé de faire au mieux, nous avons réussi à canaliser les flux, les efforts, les énergies, les demandes, les pressions des autorités, des élus, des journalistes. Nous avons pu définir les urgences, les types de masques, les matières, les process et les modes de distribution.
Nous restons très vigilants sur le respect des règles sanitaires afin de pouvoir solliciter nos employés pour qu’ils acceptent de revenir dans de bonnes conditions sanitaires. Beaucoup de bénévoles se proposent mais le respect des règles de confinement complexifie la mise en œuvre des bonnes volontés. Nous sommes en lien avec les autres régions de France Terre Textile pour gagner en efficience.
Nous avons créé un groupe virtuel de R&D au sein de Vosges Terre Textile pour échanger sur les savoir-faire et les techniques afin d’améliorer les masques en permanence. L’urgence est à la production en masse des masques pour les chaînes logistiques du pays. La production de masques type FFP 2 pour le corps médical prendra plus de temps.
Il y a eu une belle réaction de la filière France Terre Textile, qui adapte ses outils et son organisation, mais il nous manque les compétences en confection. Nous sommes partis à la guerre avec les rescapés de la guerre économique précédente (spécialisation des productions et mondialisation) qui a fait d’énormes dégâts sur les troupes notamment en confection. Un exemple : les frontières se ferment alors que nous avons les matières et que les savoir-faire sont au Maghreb et en Europe de l’Est…. Comment renouer les flux pour être efficace ?
Yann Rivoallan (co-fondateur de The Other Store)
Gérer la peur de ses collaborateurs, des clients. Gérer le temps, qui fuit encore plus. Rire pour s’échapper. Créer des rituels, comme des contraintes positives.
Après une crise, viendra une autre crise, poussée par le choc et la fusion entre trois utopies écologique, sécuritaire et techno-libérale : quel monde avec leur avènement ? Une période hors normes.
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Crédits : R3ILAB, Paul de Montclos, Yann Rivoallan