Quand la Chine déploie son arsenal financier pour verdir son industrie
Lorsque l’on pense à la Chine, on imagine rarement un leader de l’économie verte. Pourtant, bien que l’Europe conserve une certaine avance en matière de transition écologique, Pékin entend bien inverser la tendance.
Le gouvernement investit massivement dans des projets à faible empreinte carbone, finance prioritairement les secteurs dits utiles à la transition, et déploie désormais un arsenal d’outils financiers et fiscaux pour stimuler la liquidité du financement vert, améliorer la gestion des actifs écologiques et en réduire les coûts d’évaluation. En traitant ces investissements comme des actifs qualitatifs, les autorités entendent renforcer l’attractivité du segment pour les investisseurs, notamment institutionnels.
Une stratégie verte soutenue par des investissements massifs
D’après la Banque populaire de Chine (PBOC), les prêts verts en circulation ont atteint 35 000 milliards de yuans fin 2024, soit environ 4 375 milliards d'euros, selon les taux de change moyens pour 2024. Cela représente 14 % du total des encours bancaires, un niveau inégalé à l’échelle mondiale. Côté marché obligataire, les émissions d’obligations vertes restent modestes (moins de 1 % du marché domestique), mais sont désormais complétées par un nouvel instrument, la finance de transition. Celle-ci vise à accompagner des secteurs encore intensifs en carbone, comme la sidérurgie, le ciment… ou le textile.
En 2024, les émissions de produits financiers de transition ont bondi de 54 %, pour atteindre 64,9 milliards de yuans (8,1 milliards d’euros), selon les données du Green Finance & Development Center.
Un cadre normatif renforcé
Pour guider les flux de capitaux vers les bons projets, la Chine a publié en février 2024 une version révisée de son Catalogue d’industries de transition verte et bas carbone. Ce référentiel, mis à jour après consultation publique, définit les secteurs éligibles aux incitations fiscales et financières. Il s’agit, selon le CFA Institute, « d’un outil stratégique pour orienter les financements vers les secteurs prioritaires, tout en assurant une meilleure transparence pour les investisseurs ».
Des instruments financiers et fiscaux calibrés
Sous l’impulsion conjointe de la Banque centrale, de la National Financial Regulatory Administration (NFRA) et de la Commission des valeurs mobilières (CSRC), de nombreux outils ont été mis en place : lignes de crédit à taux préférentiels, garanties publiques, obligations indexées sur des objectifs ESG, et mesures fiscales incitatives. L’objectif est double. D’une part, rassurer les investisseurs sur la qualité des projets, et d’autre part, encourager le secteur privé à prendre part à l’effort de transition. « Il s’agit de réduire les asymétries d’information et d’assurer la transparence du marché », analyse le CFA Institute.
Le textile dans le viseur des zones pilotes
Bien que le textile n’apparaisse pas toujours dans les listes nationales de secteurs verts, plusieurs zones pilotes ont fait le choix de l’inclure dans leurs propres catalogues. À Huzhou, dans le Zhejiang, une ville reconnue pour son dynamisme industriel, le textile fait figure de secteur prioritaire depuis plusieurs années. En 2022, un prêt de transition de 200 millions de yuans a permis à une entreprise textile de moderniser ses équipements, économisant plus de 600 tonnes de CO₂ par an. La version enrichie du catalogue local, publiée en 2023, précise désormais les critères d’éligibilité pour les industries textiles et chimiques.
Même dynamique à Shanghai, où le catalogue publié en janvier 2024 couvre six secteurs industriels, avec des critères précis en matière d’énergie, de pollution ou de recyclage. Les entreprises textiles peuvent ainsi prétendre à des financements bonifiés si elles s’engagent sur des objectifs mesurables.
Une architecture cohérente, du national au local
Ces zones pilotes ne sont pas des expérimentations isolées. Elles s’intègrent dans un dispositif de gouvernance articulé entre Pékin et les gouvernements locaux. Tandis que les autorités centrales définissent les lignes directrices et les critères techniques, les villes expérimentent sur le terrain, en adaptant les outils à la réalité industrielle de leur région.
Autrement dit, toutes ces initiatives s’inscrivent dans un cadre normatif et financier intégré. Trois entités clés, à savoir la Banque populaire de Chine (PBOC), la Commission chinoise de régulation des valeurs mobilières (CSRC) et la National Financial Regulatory Administration (NFRA), posent les fondations nationales. Au niveau municipal, des pionniers comme Huzhou traduisent ces orientations en mécanismes opérationnels, notamment l'audit des projets, les obligations de transparence ESG, la structuration de prêts de transition, la gestion du risque et les incitations fiscales.
À Huzhou, par exemple, le crédit vert représentait déjà plus de 30 % des encours bancaires en 2023, avec un taux de défaut quasi nul, selon HZGF, une institution de recherche à but non lucratif basée dans la ville. La municipalité a également mis en place une grille d’évaluation pour les projets financés, des obligations de reporting ESG, et une coopération étroite avec les banques locales. « Cette articulation garantit la cohérence du dispositif tout en permettant une adaptation fine aux réalités régionales », souligne le Griffith Asia Institute.
Un alignement avec les standards internationaux
La Chine ambitionne-t-elle de définir les règles du jeu ? En alignant ses référentiels sur les standards internationaux, et parfois en allant plus loin, elle cherche à positionner ses acteurs comme les champions d’une industrie verte mondialisée.
Dans le textile, cela signifie que les industriels qui bénéficient des dispositifs chinois seront demain parmi les plus performants au monde en matière de durabilité. Ce verdissement est un facteur clé de compétitivité. Les donneurs d’ordre internationaux, les grandes marques, les distributeurs et les régulateurs imposent des standards toujours plus stricts. Or, la Chine, en anticipant cette évolution, entend préserver, et renforcer, la place de son industrie textile sur la scène mondiale.
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