Opacité tenace au tribunal de Bobigny, qui juge un large système de blanchiment
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Bobigny (France) - Il ne se souvient plus, ne sait pas, connaît l'autre prévenu placé en détention dans ce dossier mais "sans trop le connaître": lundi, Chérif H. n'a en rien aidé le tribunal de Bobigny à dissiper le flou autour de ses sociétés, soupçonnées d'avoir blanchi plus de 37 millions d'euros en quatre ans.
Selon l'information judiciaire, lancée à la suite de quatre signalements successifs de Tracfin à partir de 2021, l'homme aujourd'hui de 46 ans a été le principal animateur de la plateforme de blanchiment gravitant autour du Centre international de commerce de gros France-Asie (Cifa).
Regroupant plus de 250 boutiques et sociétés à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le Cifa est réputé dans les services d'enquête comme l'une des plaques tournantes du blanchiment d'argent en Île-de-France.
C'est son ami d'enfance Djamal C. qui l'a initié au système de "décaisse", qui permet de réintroduire légalement de l'argent non déclaré au fisc français, en le faisant transiter via des sociétés écrans en Europe et des entreprises basées en Chine et Hong Kong.
Pourquoi cet auto-entrepreneur en sécurité se lance-t-il dans la magouille ? "C'est mon ami et je voyais qu'il faisait de l'argent", explique sobrement Chérif H. à la présidente.
Devant le tribunal, il reconnaît avoir participé aux activités de trois des neuf sociétés poursuivies, en réalisant des virements bancaires: "un simple rôle de fusible", dit-il, entre les gérants de paille et son ami.
Quand ce dernier décède du Covid en septembre 2021, il continue les transferts d'argent depuis les comptes des sociétés.
"A la demande de qui ?", s'interroge le tribunal. "De tierces personnes", répond laconiquement le prévenu.
Outre les trois téléphones de son ami, Chérif H. récupère également l'appartement de celui-ci après son décès.
"On me donnait une adresse sur Aubervilliers et je récupérais des espèces", décrit-il en voulant convaincre le tribunal de sa moindre importance dans le réseau.
"Soit la taule, soit le pactole"
Les écoutes téléphoniques et les enregistrements audio captés par les enquêteurs dans sa voiture laissent entrevoir des actions de plus large ampleur.
Lors d'un appel, Chérif H. annonce à son interlocuteur: "Je me suis fait bloquer 100K là (...). J'ai changé les gérants et la banque, ils m'ont bloqué".
La juge continue la lecture de la retranscription dans laquelle Chérif H. explique qu'il est "en train de faire deux autres boîtes. On va rembourser sur du neuf".
Pour la magistrate, "ça donne l'impression que vous êtes aux manettes", remarque à laquelle le prévenu ne répond rien.
Et quand, au téléphone avec Mehdi B., seul des 19 prévenus du dossier à ne pas avoir été retrouvé par la justice, Chérif H. prédit que "cette année, c'est soit la taule, soit le pactole", il assure au tribunal que ça n'était "que du jargon".
Le flou perdure tout autant sur les gains que ces transferts illicites de fonds lui ont rapportés.
Entre 100 et 150.000 euros, mais il a dû aussi rembourser des dettes de son ami Djamal qui s'élevaient peut-être à un peu plus que cette somme.
La présidente rit jaune et presse le prévenu: "A un moment donné, les calculs sont pas bons".
Le procureur n'a pas eu davantage de réussite pour comprendre les activités de Chérif H. losque celui-ci était installé à Dubaï.
"En février 2023, une personne vous dit par message +il me faut 9.000 euros en espèces en France, je te paierai 2.000 sur Revolut et le reste en dirhams+", interpelle le magistrat Adrien Jourdain. "Vous étiez à Dubaï et on vous y sollicite pour faire de la compensation avec la France ?", questionne le représentant du ministère public. "Je n'ai aucun compte à Dubaï", se contente-t-il de répondre.
Les chefs d'entreprises soupçonnées d'avoir utilisé du cash blanchi par la plateforme de Chérif H. seront interrogés cette semaine avant les réquisitions du parquet, attendues pour vendredi.(AFP)