Mode & Private Equity : pourquoi l'Arabie Saoudite investit 75 millions dans son premier fonds mode, pilier de la Vision 2030
La création de ce fonds illustre l’importance croissante accordée par Riyad à la mode et plus largement aux industries culturelles, dans un contexte où le Royaume cherche à réduire sa dépendance aux hydrocarbures. Selon Arab News, « la mode est désormais un moteur économique clé de la croissance de l’Arabie saoudite » et la demande locale en produits mode devrait croître de 48 % pour atteindre 32 milliards de dollars en 2025. Le rapport State of Fashion in the Kingdom 2025 prévoit que l’industrie pourrait représenter 2,6 % du PIB national, tout en générant environ 340 000 emplois directs et indirects. Par ailleurs, selon GMI Research, le marché de l’habillement, estimé à 18,3 milliards de dollars en 2024, pourrait atteindre 27,5 milliards d’ici 2032, soit une croissance annuelle moyenne de 5,2 %.
Ces perspectives confèrent au nouveau fonds un rôle stratégique : en consolidant les marques locales, en soutenant la digitalisation et en structurant les chaînes d’approvisionnement, il doit permettre au secteur de passer d’un marché fragmenté à une industrie intégrée et compétitive sur la scène internationale.
Analyse : le luxe est un pari gagnant pour Riyad
Dans le panorama régional, l’Arabie saoudite est l’un des rares marchés où la demande en produits de luxe connaît une croissance vigoureuse — même face aux marchés déjà matures comme les Émirats arabes unis. Selon IMARC Group, le marché du luxe saoudien était évalué à 10,1 milliards de dollars en 2024 et pourrait atteindre 23,3 milliards d’ici 2033, avec un taux de croissance annuel composé (CAGR) de 9,7 %. Parallèlement, dans le Conseil de coopération du Golfe (GCC), les ventes de produits de luxe ont atteint 12,8 milliards USD en 2024, en hausse de 6 % malgré le ralentissement mondial, selon un rapport du groupe Chalhoub.
La performance de la région montre que le luxe au Moyen-Orient n’est pas qu’une exception, mais un modèle de résilience — et l’Arabie saoudite veut capturer cette dynamique. Les Émirats, notamment Dubaï, sont déjà bien en place avec des malls ultra-luxueux, des groupes comme Chaloub, et une orientation vers le tourisme haut de gamme. Le nouveau fonds saoudien ambitionne de rattraper ce retard, non seulement en injectant des capitaux, mais en structurant une industrie locale qui pouvait jusque-là dépendre largement des importations et des maisons internationales.
L’Arabie saoudite dispose aussi d’atouts propres : une population jeune avec une forte appétence pour le luxe, des revenus élevés et une montée de la consommation intérieure, mais aussi un agenda touristique ambitieux (giga-projets, développement des infrastructures, île de luxe Sindalah dans NEOM) qui attire une clientèle internationale prête à dépenser. Cette combinaison d’un marché intérieur porteur et de projets de grande ampleur fait du Royaume un terrain particulièrement favorable pour l’implantation et l’essor des marques de mode. En lançant ce fonds, Riyad montre qu'il entend non seulement devenir un consommateur de luxe, mais un acteur de la création, du design et de l’industrie mondiale de la mode.
Un fonds tourné vers l’innovation et la compétitivité
Ce fonds ne se limite pas à financer la création de collections ou le lancement de marques. Son objectif est plus large : il ambitionne de soutenir l’ensemble de l’écosystème, depuis la production textile jusqu’à la distribution numérique. L’accent sera mis sur la fashion tech, la logistique, la fabrication locale et la durabilité, mais aussi sur l’expérience client, le design et la création de contenus digitaux, afin de préparer les marques saoudiennes aux standards internationaux.
En confiant la gestion opérationnelle à Merak Capital, un acteur reconnu dans le capital-investissement et l’innovation technologique, le CDF entend combiner l’expertise locale en matière de financement avec une gouvernance alignée sur les meilleures pratiques mondiales. Merak sera chargé d’identifier les projets les plus prometteurs, de structurer les investissements et d’accompagner la montée en puissance des marques financées.
Cette alliance entre un fonds public stratégique et un gestionnaire privé spécialisé constitue une première dans le secteur culturel saoudien. Elle traduit la volonté d’expérimenter un modèle hybride associant capitaux publics et professionnalisme du private equity, dans l’objectif de transformer un secteur créatif encore émergent en un moteur de croissance durable.
Défis et perspectives
L’initiative n’est pas exempte de défis. Le capital-risque appliqué à la mode reste complexe, car il dépend de tendances changeantes et de cycles saisonniers difficiles à anticiper. L’enjeu sera aussi de garantir la formation et la professionnalisation des talents locaux, designers comme entrepreneurs, afin de bâtir un secteur compétitif face aux grandes maisons internationales. Enfin, la question de la durabilité, devenue incontournable dans l’industrie mondiale de la mode, devra être intégrée dès le départ pour que le fonds gagne en crédibilité à l’international.
Malgré ces défis, la création de ce fonds représente une étape décisive. Elle témoigne de l’ambition saoudienne de faire de la mode un vecteur d’influence culturelle et de diversification économique. Elle envoie également un signal fort aux investisseurs étrangers : l’Arabie saoudite est prête à soutenir l’émergence d’un marché mode structuré, dynamique et attractif.
À propos de Merak Capital
Merak Capital est une société d’investissement saoudienne spécialisée dans les technologies et l’innovation. Autorisée par la Capital Market Authority (CMA) en 2020, elle intervient dans le capital-risque, le capital-investissement et le financement de la dette. Merak Capital est notamment connue pour avoir investi plus de 310 millions de riyals dans SHIFT, une plateforme saoudienne de mobilité intelligente. Sa stratégie consiste à accompagner des acteurs innovants dans la région MENA et à valoriser l’esprit entrepreneurial comme moteur de croissance.
À propos du CDF (Fonds de développement culturel)
Le Fonds de développement culturel (CDF) est un organisme public créé pour financer et promouvoir les industries culturelles saoudiennes. Il agit comme catalyseur pour les secteurs de la musique, du patrimoine, des arts et désormais de la mode, en développant des mécanismes financiers adaptés et en accompagnant les talents. Dans le cadre de la Vision 2030, le CDF s’affirme comme un investisseur d’impact, cherchant à renforcer à la fois la vitalité culturelle du Royaume et son poids économique sur la scène internationale.
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