Mixte : le business model d’une presse de mode indépendante
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Magazine semestriel et agence créative, Mixte célèbre cette année ses 25 ans. L’occasion pour FashionUnited d’explorer son business model, reflet d’une presse de mode indépendante dont le contenu au long cours prend le contrepied du zapping incessant d’Instagram et Tiktok.
Comme souvent, l’histoire débute par une rencontre, celle de Tiziana Humler avec Christian Ravera et Guy Guglieri chez Condé Nast. Ensemble, ils décident de créer un magazine de mode pour homme et pour femme et lancent Mixte en 1996. « On a été marqué par les campagnes du premier parfum unisexe de Calvin Klein et par le premier défilé mixte de Jean Paul Gaultier », explique à FashionUnited Tiziana Humler, aujourd’hui éditrice et directrice de la rédaction, accompagnée lors de l’interview par Antoine Leclerc-Mougne, rédacteur en chef et Patrick-Antoine Hanzo, éditeur et project manager.
Dès ses débuts, le magazine Mixte jouit d’une portée internationale par le biais des groupes de presse Rizzoli et Mondadori qui le soutiennent. Ces mastodontes du secteur les accompagneront jusqu’en 2009. Tiziana se rappelle : « Quand Mondadori a racheté le groupe Emap France, s’est posée la question de ce qu’allait devenir Mixte. On m’avait demandé de le ramener à une périodicité biannuelle ou trimestrielle. Je me suis dit pourquoi pas, on peut faire moins de numéros par an, plus qualitatifs, avec plus de pages. J’ai donc dit au président de l’époque que l’on pouvait réfléchir à ce business model avec le lancement d’une plateforme digitale bien développée ». Mais la réponse du président de Mondadori ne sera pas celle espérée, le dirigeant préférant se concentrer sur les publications papier. Ce refus pousse les co-fondateurs à prendre leur indépendance. En 2010, soutenu par le prêt d’une banque, Mixte se lance en solitaire et revoit tout son fonctionnement.
25 ans plus tard, organisée autour d’un nouveau business model, l’équipe a relevé le pari de l’indépendance. Mixte, c’est aujourd’hui un magazine tiré à 60 000 exemplaires, mais également une agence qui officie en marque blanche pour d’autres sociétés dont le departement store chinois SKP, pour qui elle réalise tout le contenu éditorial depuis six ans. Ce fonctionnement n’est pas rare dans le milieu. En 2019, une interview publiée dans le numéro 32 de Magazine relatait la transformation des publications lifestyle en agences de contenu, opérant auprès de labels pour les aider à éditorialiser leurs réseaux sociaux ou créer des campagnes. Citons par exemple Dazed Media (Another, Dazed, Nowness) dont la division Dazed Studio met l’expertise du groupe de presse au service de marques de luxe telles que Gucci, Burberry ou Dior.
Quant au contenu, le magazine a conservé son idée de départ et compte bien profiter de son numéro anniversaire pour le faire savoir. À cette occasion, l’équipe a choisi de décliner la devise française : « liberté, égalité mixité ». Trois mots pour rappeler l’orientation de Mixte : la liberté de ton, de sujet et de positionnement, la question de l’égalité traitée à travers des articles de société, enfin, la mixité pour souligner l’absence de frontière de genre. « La mixité est vraiment au cœur du concept, c’est porté par le nom », déclare Patrick-Antoine. L’approche d’une mode ouverte sur le monde, traitée sous un angle sociétale, est à présent répandue, mais « il y a 25 ans, cette idée n’existait pas », souligne Tiziana. Autrement dit, Mixte avait une longueur d’avance.
Une approche journalistique du brand content
Concernant les intégrations publicitaires de Mixte, Tiziana fait remarquer que les investissements publicitaires de l’édition papier n’évoluent pas, en revanche les investissements au niveau du digital se développent. « On a la chance d’être soutenu par de grandes marques et de grands groupes, LVMH, Kering, Prada, etc. Ils nous accompagnent depuis toujours ». Ce patrimoine de marques fidèles leur a notamment permis de mettre en place sept opérations dans le numéro anniversaire. Des opérations dont l’équipe est satisfaite : « Elles sont parfaitement intégrées » explique le trio. Pour Antoine, l’important est de mettre en place des publicités de manière cohérente : « En tant que rédacteur en chef, c’est tout ce que je déteste, lire un magazine et me dire “bon ça, c’est à jeter ou ça c’est à côté de la plaque” ». Et Tiziana d’ajouter : « On fait de l’intégration en connivence avec notre contenu éditorial ».
Globalement, concernant le brand content, Patrick-Antoine explique que leur approche est « très journalistique ». Loin d’eux l’idée de « recracher » des communiqués de presse, « le projet passe en premier lieu par une idée journalistique ». Parmi les 330 pages éditoriales du magazine anniversaire – dont 50 pour cent de série de mode – difficile donc d’y distinguer les thèmes issus de collaborations promotionnelles. Les articles sociétaux suivent les interviews de personnalités inspirantes, lesquelles précèdent des séries de mode, qui elles-mêmes s’ouvrent sur un feuillet final où chaque sujet a été traduit en anglais pour mieux satisfaire un lectorat international : 60 pour cent est distribué en France et 40 pour cent dans le reste du monde.
L’approche publicitaire est donc qualitative. Elle donne « du temps au temps » et évite le « zapping », pour reprendre les termes de l’éditeur. Cela reflète le fonctionnement éditorial global de Mixte où une grande liberté d’expression est laissée aux photographes, assure Antoine. Cela fonctionne comme un collectif, explique Tiziana : « En tout, on est une quinzaine de personnes et on travaille tous sur les sujets. Chez nous il n’y pas l’incarnation d’une personne, c’est vraiment un collectif de gens de talents ».
En discutant avec l’équipe, on comprend rapidement que le studio de création (Mixte Creative Agency) et le magazine (Mixte Magazine) ne font qu’un. Cette composition permet à l’entreprise d’arriver, financièrement, au point d’équilibre, la société ne pouvant pas compter que sur les ventes du magazine dont le prix de revient en impression est à environ 8 euros par exemplaire (prix de vente 19,50 euros). « Quand vous mettez bout à bout le coût d’impression et le coût de distribution d’un magazine qui pèse 1,5 kilo, ça n’est évidemment pas ça qui va permettre de rentabiliser, c’est la publicité qui permet de parvenir au point d’équilibre, explique Patrick-Antoine. On arrive à continuer cette aventure en tant que publisher parce qu’on a un business global : ce projet avec la Chine et d’autres avec des marques de luxe françaises et internationales. Le business model est accolé à notre agence, c’est grâce à cela que l’on a le luxe d’être un éditeur indépendant ».
Une plateforme digitale qui « fonctionne bien »
Côté digital, l’entreprise a opté pour un site web léché où sont publiés trois à quatre articles par semaine. La ligne éditoriale reste la même – bien qu’elle doive d’un côté répondre à une réalité quotidienne et de l’autre à un regard de fond – et les sujets sont soutenus par la newsletter, « sur laquelle on a de très bons retours », confient-ils. Bien sûr, pour coller aux habitudes de lecture sur écran, lesquelles évoluent très vite, Mixte a procédé à plusieurs refontes, la dernière date d’il y a un an. « On a repensé le site avec de grands formats photo pour que ça soit agréable à lire et à voir. Aujourd’hui, la plateforme fonctionne bien ». Aucun changement à prévoir pour le moment.
Du côté des réseaux sociaux, en revanche, des évolutions s’annoncent. L’équipe explique vouloir faire le choix d’une contre-programmation. L’idée est d’être moins dans la quotidienneté des choses et de ramener sur Instagram la force de l’image complétée par celle des mots. En d’autres termes : prendre le contrepied de la consommation rapide d’Instagram pour parvenir à retenir l’attention.
La diffusion, distribution
Mais que serait un magazine papier sans les kiosques à journaux ? Patrick-Antoine et Tiziana en sont bien conscients. C’est pourquoi, à l’occasion du numéro anniversaire, ils ont pris le temps d’aller à la rencontre de leurs points de ventes parisiens les plus stratégiques. « Ça nous semblait important qu’ils soient associés à ces 25 ans. Il n’y a pas de magazines qui tiennent s’il n’y pas derrière un réseau de distribution et des vendeurs », rappelle Patrick-Antoine. Mixte a d’ailleurs fait le choix d’une diffusion indépendante, il y a donc un gros travail de maillage à faire pour trouver des emplacements intéressants. « C’est du sur-mesure », ajoute l’éditeur.
Le magazine est vendu chez des marchands de journaux classiques, mais également dans des librairies et plusieurs concept-stores, dont l’équipe dit être particulièrement à l’affut car « c’est un réseau qui se développe ». Parmi eux : Bonjour Jacob, un concept-store du Xe arrondissement parisien qui propose des boxs magazines sur abonnement.
De ces rencontres avec les marchands de journaux, Tiziane et Patrick-Antoine en sont ressortis portés : « C’était assez encourageant ces rencontres parce qu’on a réalisé que les marchands de journaux aiment ce type de presse et adorent mettre en avant la presse de fond et de qualité, celle qui a une valeur de contenu et de prix », confie Tiziane. Et l’éditeur d’ajouter : « On croit en une presse de qualité. Il y a une prime au magazine dans lequel il y a du fond et un vrai concept ; c’est le succès des publications comme les nôtres ou comme les table books et cela vient plutôt des éditeurs indépendants. On a une vraie place sur le marché ». Comme le rappelle la co-fondatrice du magazine, cet univers de presse n’attire peut-être pas le public le plus large, mais le plus pointu, « il y a une vraie clientèle pour ça, il y a vraiment des amoureux de cette presse de qualité ».
L’avenir de Mixte s’annonce donc serein. Titziane confie même : « Peut-être que l’on créera notre propre lieu. En tout cas, cela fait partie de nos ambitions et de nos envies. » La marque Mixte au-delà du print et du digital n’est donc pas impossible. En attendant, l’équipe s’apprête à célébrer en grande pompe, le 16 novembre, son 25e anniversaire, accompagnée de la marque Gucci en guise de partenaire. Puis, en février 2022, l’entreprise mettra en lumière son historique photographique lors d’une exposition dédiée.
- Tiziana Humler : Si on a un concept, une idée, une passion, il faut s’écouter et se donner les moyens.
- Antoine Leclerc-Mougne : Prendre le temps d’acquérir une solide expérience dans le secteur de la presse pour mieux en comprendre ses rouages (le positionnement, la distribution, etc.)
- Patrick-Antoine Hanzo : Ne pas transiger sur la qualité éditoriale, c’est ce qui fait que le magazine s’imposera auprès d’une cible. Et s’entourer de gens qui connaissent les rouages techniques pour pouvoir le lancer.