Lin français : quels espoirs portent les tentatives de relocalisation de la filière ?
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Le lin n’a pas besoin de redorer son blason. Alors que les enjeux écologiques sont au premier rang des préoccupations de l’industrie de la mode, la fibre bénéfice d’une aura porteuse. Cultivée sans irrigation, sans OGM et sans déchet. Une « spécialité » européenne qui plus est, dont la production mondiale émane à 80 pour cent de la France, des Pays-Bas et de la Belgique.
Pour autant, rappelle la CELC (Confédération européenne du lin et du chanvre) sa part dans le concert des fibres mondiales reste encore extrêmement anecdotique : 0,4 pour cent du total. L’ambition des acteurs industriels impliqués étant de la faire passer à 1 pour cent dans les prochaines années. Et la prédisposition des acteurs de la mode symbolisée par le projet Linpossible, portée par un collectif de marques de mode et visant à relocaliser une filière de l’amont en France.
En France, le retour annoncé de Safilin, 15 ans après son départ, va peser dans le débat. Le filateur qui a annoncé tout récemment la création du filateur de lin dans les Hauts de France espère gagner le pari de cette expansion, qui en se positionnant face à l’hégémonie de la production de fil de lin asiatique, joue le circuit court. Et permet au passage de trouver des savoir-faire quasi disparus.
Car tel est bien l’obstacle auquel le « remaillage » d’une filière complète du lin en France est confronté. La matière est belle et bien là, le tissage est disponible, et les débouchés sont prometteurs, tant dans le textile technique que dans la mode de plus en plus friande de cette fibre vertueuse. Mais la filature a disparu, partie dans les sites asiatiques.
Outre le projet conséquent de Safilin, le groupe textile alsacien Velcorex tente lui aussi de reconstruire une chaîne d’approvisionnements de produits de lin totalement made in France sous la houlette de son dirigeant Pierre Schmitt. L’entrepreneur constitue depuis une dizaine année un groupe intégré en Alsace autour de sa première entreprise, Philéa, spécialisées dans les tissages fluides. Le dirigeant a repris en 2010 Velcorex, basé dans le Haut-Rhin, qui fut le grand veloutier européen.
Trois ans plus tard, il reprend les actifs de Tissage des Chaumes, tout près de Colmar, disposant d’un savoir-faire unique dans le luxe et l’artisanat, notamment dans le tweed. Enfin, c’est un Emanuel Lang en difficulté qui est sauvé par Pierre Schmitt en 2014. Comme Velcorex, comme Tissage des Chaumes, l’atelier à dimension « patrimoniale » est connu pour son savoir-faire en tissus de chemises en matières naturelles, notamment en lin. Il est également situé dans le Haut-Rhin, tout près de Mulhouse. L’ensemble compose ainsi quatre spécialités complémentaires pour des tissus exclusivement fabriqués en France et en Alsace.
Manquait la filature. Elle a été créée au sein d’Emanuel Lang l’année dernière. L’atelier emploie aujourd’hui une dizaine de personne mais devrait en accueillir une vingtaine de plus l’année prochaine. Pierre Schmitt a fait remonter des machines à filer le lin qui avaient été démantelées, sept au total, grâce à une collaboration avec le constructeur Schlumberger, encore un alsacien. Le projet ne se positionne pas uniquement sur la mode, mais aussi sur les matériaux bio-composites (via le lin et le chanvre), des matières techniques résistantes et très légères, destinées aux marchés techniques du bâtiment. Et de surcroît plus respectueuse de l’environnement que les fibres de verre et de carbone couramment employés pour ce type de supports. Pour l’industriel, là réside le plus grand potentiel de marché de la fibre de lin. L’industriel a aujourd’hui dépassé l’étape de la faisabilité industrielle et dispose d’une capacité de production de 150 tonnes par an. « Nous produisons en France 150 000 tonnes de lin par an. Si demain, on valorise une petite partie de cette production, il y a de quoi remonter une dizaine de filatures », veut-il espérer. Pierre Schmitt s’appuie sur le réseau de la coopérative Terre de Lin, regroupant 600 agriculteurs entre la Seine Maritime et l’Eure, le grand bassin du lin Français. Il peut aussi compter sur un partenariat renforcé avec Schlumberger, qui remet des machines à filer en production après des décennies d’oubli. « Nous avons réhabilité une filière de transformation de proximité, dans un rayon de 30 kilomètres. Y compris dans le lin et le chanvre, y compris pour un usage technique, dont les débouchés sont importants. Nous offrons la traçabilité de toute la chaîne de production. Nous essayons de réaliser un véritable écosystème permettant de retrouver une filière textile se préparant aux matières et matériaux de demain, nécessitant de l’innovation, de la valeur ajoutée. Je suis persuadé que l’on ne peut pas innover hors sol, loin des usines et que le textile bio sourcé peut-être le moteur de la révolution écologique », souligne Pierre Schmitt.
Crédits: Emanuel Lang