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Le retail de centre-ville va-t-il mourir en France?

Par Herve Dewintre

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Pour les grandes agglomérations : pas de problème. Le commerce y est dense, soutenu, agile. Soutenues par les grands groupes au premier plan desquels figure LVMH, les marques de mode de luxe déploient avec succès une grande inventivité dans l’art du retail. C’est valable pour Paris mais aussi pour la plupart des grandes villes françaises. Ainsi, la Presqu'Ile de Lyon a décroché cette année le titre de meilleur centre-ville marchand d'une métropole de la part de la fédération des enseignes spécialisées Procos qui note « un mix marchand très attractif avec les grandes enseignes nationales, un secteur luxe ainsi que des indépendants ».

Clermont-Ferrand et Strasbourg se sont également signalés par leurs remarquables évolutions : la capitale auvergnate a recruté un manager de centre-ville, investi dans l'événementiel et mis en avant une halle de marché. Strasbourg n'enregistre que 4 pour cent de locaux vacants avec en son centre, à côté des boutiques, des logements et des services de santé. Un bémol cependant : la fréquentation du cœur des très grandes agglomérations a baissé significativement le samedi entre janvier et mai en raison du mouvement des gilets jaunes. Mais cette baisse, liée à un phénomène épisodique, ne s’inscrit pas dans un mouvement de baisse sur le long terme.

La désaffection des centres-villes se poursuit

Pour les moyennes et petites villes, la donne est bien différente. Le constat est sinistre. La désaffection des centres-villes s’y poursuit à un rythme terrifiant. Les rues se vident. Un phénomène durable. Le taux de vacance, qui mesure la proportion de boutiques vides, est monté à 11 pour cent en 2018, contre 7,2 pour cent en 2012. « Seulement un tiers des centres-villes demeure sous la barre symbolique des 10 pour cent, contre la moitié en 2015 » note Procos. Selon un rapport gouvernemental, le nombre de défaillances d’entreprises dans le secteur du commerce a augmenté de 20 pour cent en quinze ans. Ces chiffres corroborent les sentiments des habitants de ces petites et moyennes communes. Ces habitants de ce qu’on appelle désormais la France Périphérique se sentent « abandonnés » : c’est bien ce mot qui revient dans un récent sondage CSA. Ce sentiment d’abandon révèle un apparent paradoxe. En effet, les français font de moins en moins souvent leurs achats en centre-ville. Et pourtant ce sont ces mêmes personnes qui se disent inquiets pour l’avenir de ces centres-villes qu’ils délaissent.

La grande distribution est-elle la seule coupable ?

A qui la faute ? Les experts ont un coupable tout désigné : la grande distribution. Chaque entrée de ville de Province est désormais envahie par des zones commerciales souvent gigantesques, et il faut bien le dire, disgracieuses, qui ont capté tout le commerce. « Or, le commerce c’est historiquement le centre de la ville, observe Hervé Nathan, directeur adjoint de la rédaction de Marianne. On a complétement oublié ça, mais les étudiants en Histoire le savent bien : le commerce a créé la Ville. Une ville se créée souvent à partir d’une activité économique qui rassemble une population. A partir du moment où on a décidé que ces échanges commerciaux se feraient en dehors la ville, eh bien on a tout simplement vidé la ville. » Un abandon voulu, affirme Hervé Nathan, par les pouvoirs publics locaux et nationaux. « Les socialistes par exemple adoraient la Grande Distribution car ils pensaient que ça ferait baisser les prix et que ce serait bon pour les travailleurs ».

Cette désignation idéologique d’un coupable unique mérite néanmoins d’être tempérée par certaines constatations. Ainsi, à Grandville, la cohabitation avec la Grande Distribution en dehors de l’agglomération ne nuit pas aux commerces de Centre-Ville. Parmi les petites villes moyennes, Procos distingue, au titre de la meilleure évolution, Vichy et son projet « coeur de ville » qui combine urbanisme, logements, accessibilité et appui financier pour les nouvelles enseignes. Dans la même catégorie, Gap a mis en place un dialogue actif avec les propriétaires de locaux commerciaux vacants. Compiègne remporte la palme du meilleur centre grâce à son travail sur sa zone de chalandise, ses accès et son offre immobilière. On le voit, des actions s’organisent, des élus prennent le problème à bras le corps. Ainsi, en 2018, à Quimper, 14,4 pour cent des locaux étaient vacants. La ville a donc instauré la gratuité des bus le samedi, encouragé le retour d'habitants au centre et taxé les friches commerciales pour inciter les propriétaires à baisser leurs loyers. De son côté, Annecy a refait sa gare et ses alentours et maîtrise désormais le développement des pôles commerciaux périphériques.

Un enjeu majeur des municipales de 2020

En réalité, une ville morte a beaucoup d’assassins. Et parfois, des solutions concrètes, d’une grande simplicité, n’attendent qu’une vigoureuse mais décisive mise en application. C’est du moins ce que pense la journaliste et écrivain Laure Mandeville qui dans le cadre d’une série d’articles sur les colères françaises, constate : « A Argentan, en Normandie, les commerçants indiquaient très clairement qu’ils voyaient la ville se vider peu à peu de sa sève. Le nombre d’enseignes qui partaient vers les centres commerciaux extérieurs était très important. Pour ces commerçants, la municipalité avait une grande part de responsabilité puisqu’elle avait purement et simplement interdit le stationnement en centre-ville ». D’autres villes au contraire, mettent en place des actions fortes pour faciliter l’accès à leur centre-ville. C’est par exemple le cas de la ville d’Amiens qui emporte d’ailleurs la palme Procos de la catégorie villes moyennes. La ville a non seulement facilité l’accès à son centre-ville commerçant mais aussi veillé à ce que ses administrations et leurs personnels soient proches des quartiers commerçants.

Ces actions méritoires ne doivent cependant pas masquer la difficulté de la tâche. La désaffection va vraisemblablement continuer. Les causes de cette désaffection sont nombreuses : l’implantation des grandes surfaces et des centres commerciaux en périphérie est un souci majeur mais il n’est pas le seul. Les commerçants vont également devoir faire face au phénomène de déconsommation - qui fait chuter le marché de l'équipement de la personne – mais aussi à la concurrence du e-commerce. Les politiques urbaines, en facilitant notamment l’accès aux centres-villes, auront leur rôle à jouer. Une remise en question générale semble prendre forme. C’est déjà le cas en Bretagne où le président de région, Loïg Chesnais-Girard, a remis en question le projet de centre commercial Open Sky de la Compagnie de Phalsbourg. Ce projet de zone commercial de 40 000 mètres carrés a été jugé anachronique. « « A court terme, cela peut rapporter du cash, mais, à long terme, cela détruit et abîme nos centres-villes » tranche le président de la région.

Cette remise en question générale, les français en forment ardemment le souhait. Ce sera d’ailleurs un des enjeux des élections municipales de 2020. Deux tiers des Français estiment que les maires et conseils municipaux sont les plus légitimes pour agir sur la modernisation des centres-villes. Le cadre de vie et la dynamisation des commerces font en effet partie des préoccupations prioritaires des Français pour ces élections, selon le quatrième baromètre du centre-ville et des commerces CSA, Centre-ville en Mouvement, Clear Channel, publié fin juillet. Un enjeu majeur. Parmi les priorités soulevées par les personnes interrogées : le commerce en centre-ville est la troisième priorité, juste derrière l’environnement et la sécurité.

Crédit photo : lvmh.fr, dr

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