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Le « parcours du combattant » de Pierre Schmitt, industriel sur un fil

Par AFP

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Pierre Schmitt à l'usine de Hirsingue, dans l'est de la France (novembre 2021). Crédit : SEBASTIEN BOZON / AFP

Colmar - Il a connu les pires heures du textile français : fermetures, faillites et délocalisations. Loin de se résigner, Pierre Schmitt, patron de Velcorex, a patiemment remonté toute une filière, jusqu'à proposer aujourd'hui le seul jean 100 pour cent « made in France ».

« Mon moteur, c'est le refus du fatalisme et la connaissance de l'histoire », explique cet alsacien de 69 ans, nostalgique du temps pas si lointain où l'industrie mulhousienne rendait la ville plus prospère que sa voisine suisse de Bâle.

La dernière création de son groupe sort des usines cet automne : un jean en lin dont toutes les étapes de fabrication sont réalisées en France, de la fabrication du fil à partir du lin cultivé en Normandie, jusqu'à la confection, en passant par le tissage et l'ennoblissement (teinture).

Cette maîtrise de la chaîne de production distingue Velcorex (147 salariés, 23 millions d'euros de chiffre d'affaires) de ses concurrents : la plupart achètent le tissu à l'étranger pour ne réaliser que la découpe et les coutures dans l'Hexagone, ce qui suffit pour apposer un label tricolore aux vêtements.

La commercialisation de ce jean « permet de couper court au discours qui dit qu'on ne peut pas produire en France quelque chose de A à Z », assène Pierre Schmitt. « C'est le symbole d'une vraie filière française, à laquelle personne ne croyait il y a trois ans ».

C'est aussi l'aboutissement d'une aventure entrepreneuriale entamée en 2010 et souvent qualifiée de « folie », mais à laquelle Pierre Schmitt n'a jamais renoncé.

Maison familiale hypothéquée

A l'époque, Velcorex, leader européen de la fabrication de velours, est sur le point de fermer. Pierre Schmitt, ancien cadre du géant textile DMC, refuse de voir s'éteindre le savoir-faire bicentenaire de Velcorex. Il élabore un projet de reprise.

« Les banques n'étaient pas prêtes à m'accompagner. Pour prouver que j'y croyais, j'ai hypothéqué ma maison », confie-t-il. « Grâce à ça, j'ai obtenu des prêts, ça m'a permis de démarrer. » L'histoire se répète en 2013: Emanuel Lang, dernière entreprise de tissage sur le sol français, est placée en liquidation. Pierre Schmitt dépose une offre de rachat, refusée par le liquidateur, qui organise la vente aux enchères du matériel de l'entreprise.

« J'ai un frère agriculteur. On a mis des ballots de paille pour empêcher l'accès à la vente et on a utilisé une sirène qui faisait un bruit d'enfer », se souvient-il. « Les CRS étaient sur place. Le préfet a constaté l'impossibilité de procéder aux enchères. »

Le rachat sera finalement conclu quelques semaines plus tard, après l'intervention d'Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif. « On a quand même dû rentrer dans l'illégalité pour sauver un patrimoine industriel français », s'étonne encore Pierre Schmitt.

Avec ces rachats, l'entrepreneur maîtrise l'ennoblissement et le tissage, mais doit encore importer son fil de l'étranger, les dernières filatures françaises ayant fermé dans les années 2000. Alors, en 2019, il rachète en Hongrie des machines promises à la casse et, pour les remettre en marche, fait appel à des ouvriers en retraite.

« C'est comme ça qu'on a pu produire le premier fil de lin français depuis plus de 20 ans », souligne-t-il. « La France est le premier producteur mondial de lin, mais elle était incapable de valoriser cette ressource. »

« Retrouver du sens »

Avec cette maîtrise de la filière, le groupe propose, en plus du jean, tout un vestiaire « made in France », commercialisé sous la marque « Sème », développée par Agathe, la fille de Pierre Schmitt. Ancienne de LVMH, elle a quitté la carrière qui s'offrait à elle pour « retrouver du sens ».

Son père a déjà d'autres projets en tête: à partir de fibres textiles naturelles (lin, chanvre ou ortie), mettre au point des matériaux biosourcés comme alternative aux dérivés du pétrole.

« Les pales d'éolienne en fibre de verre, par exemple, on ne peut pas les recycler, on les enterre », se désole-t-il. « Ca demande un peu de recherche, mais demain, on peut les fabriquer à partir de matériaux biosourcés. Ces matériaux vont être le moteur de la prochaine révolution industrielle ». De quoi, espère-t-il, replacer Mulhouse sur la carte des villes industrielles de premier plan.

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