« Le DEFI est absolument clef dans tous les financements des entreprises de mode », Clarisse Reille, directrice générale
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Le DEFI de la Mode, c’est LA banque des entreprises de mode françaises. Afin de faire la lumière sur cet organisme qui soutient la filière et met en avant les entreprises françaises, FashionUnited est allé à la rencontre de Clarisse Reille, directrice générale du DEFI (et de l'IFTH).
À quoi sert le DEFI ?
Le DEFI est la plateforme de développement et de financement de la mode française, elle est absolument clef dans tous les financements des entreprises. Sa caractéristique est d’agir et interagir avec l’écosystème des entreprises, installées en France, et des fédérations. Le but est de permettre à la mode française de : garder son avance dans la compétition internationale, notamment en matière de créations ; soutenir et acquérir l’émergence d’une mode durable ; armer les entreprises aux nouveaux modèles économiques en s’appuyant sur les nouvelles technologies.
D’où vient votre budget ?
Le budget provient exclusivement d’une taxe affectée de 0,0675 %, payée par le secteur. Nous la collectons au prorata du chiffre d’affaires réalisé en France et exporté dans l’Union européenne. Elle concerne essentiellement les vêtements en chaîne et trame et les accessoires textiles. Il n’y a pas de taxe affectée pour la maille. À noter qu’en France, la notion de fabrication est liée à l’apposition de marques, car la confection, stricto sensu, est extrêmement faible. Seuls 3 % des vêtements vendus en France sont vraiment fabriqués dans l’hexagone.
Nous taxons également les importations des pays extra-européens, ces dernières sont collectées par les douanes qui les reversent au DEFI. 35 % des recettes proviennent des importations, cela permet de favoriser le développement de la mode française.
Quel est le budget annuel alloué ?
Environ dix millions d’euros. En 2024, la collecte de taxes est plutôt en baisse par rapport à 2023. La baisse la plus importante concerne les recettes en provenance des douanes. Considérant que Shein et Temu ne paient pas la taxe, n’étant pas enregistrés comme importateurs, nous nous demandons s’il n’y a pas un effet de substitution qui fait qu’une partie taxable s’évapore. S’assurer la taxation de tels groupes passe par une évolution de la législation européenne.
Qui peut faire une demande de subventions ?
Nous avons une commission qui gère tout ce qui est développement/croissance des entreprises/rayonnement de la mode française et une commission innovation/savoir-faire/mode responsable, plus une commission finance. Dans les deux premières commissions, nous examinons toutes les actions qui peuvent bénéficier d’une aide du DEFI.
Les actions sont proposées, dans leur grande majorité, par les fédérations qui consultent les entreprises. Typiquement, ce sont des aides sur le développement international via la présence sur les salons ou dans des showrooms. Le principe de l’aide est approuvé par le DEFI et une ligne budgétaire est débloquée, à condition que l’entreprise soit à jour de sa taxe.
Les fédérations sont à l’origine de nombreux projets. Le DEFI peut aussi proposer des actions. C’est, par exemple, le cas du showroom Sphère (autrefois nommé Designers Apartment), une idée que j’ai eue, notamment en rencontrant des distributeurs à l’étranger qui se rendaient très peu sur les défilés des jeunes créateurs. Le fait de les regrouper dans un seul lieu, plusieurs jours, est plus efficace. La Fédération de la Mode et de la Haute Couture (FHCM) pilote Sphère grâce à Serge Carreira et Christelle Cagi Nicolau.
Quels sont les autres membres, hormis le conseil d’administration* ?
Il y a des administrateurs et nous faisons appel à : des experts, issus de la société civile, comme Odile Baudelaire ou Patricia Lerat, qui donnent leur avis sur les actions à mener pour les jeunes créateurs ; et des techniciens des fédérations comme ceux qui s’occupent des programmes internationaux. C’est le cas d’Anne Laure Druguet, Karine Sfar ou Hervé Huchet qui bâtissent les programmes et connaissent très bien les entreprises. Adeline D’argent est très impliquée sur les sujets de mode durable.
Comment est réparti le budget de dix millions d’euros ?
Nous avons cinq axes stratégiques : la croissance des entreprises, la mode responsable, l’innovation, le soutien au savoir-faire et l’image de la France. Près de 46 % porte sur la croissance des entreprises avec, en priorité, le développement commercial (4,3 millions d’euros). Cela leur permet de participer à des salons ou à des missions de prospection.
Pour les salons français, nous aidons les entreprises qui existent depuis au moins un ou deux ans, font minimum 50 000 euros de chiffre d’affaires et exportent. Une sous-commission spéciale examine les dossiers. Nous estimons que des marques déjà bien établies n’ont pas besoin de notre soutien.
Pour les salons à l’étranger, les aides sont allouées plus automatiquement. Les salons que mettent en avant le prêt-à-porter féminin, masculin, la lingerie et l’enfant sont tous subventionnés par le DEFI de la Mode. Cf. Tranoï Tokyo, le conseil d’administration a estimé que c’était une première édition et que nous n’allions pas soutenir les entreprises françaises. Si elle s'avère concluante, nous la soutiendrons certainement.
Si une entreprise française souhaite exposer sur un salon étranger, le DEFI l’accompagne-t-elle ?
La commission définit les salons étrangers soutenus par le DEFI. La liste des salons et showrooms aidés est sur notre site internet. Les subventions couvrent une partie des frais de voyage, de location de stands, de traducteurs avec des taux différents selon l’éloignement. Un pourcentage de subventions est stipulé, de même qu’un plafond fixé à 20 000 euros.
Après le développement commercial des entreprises françaises, quel est le deuxième secteur accompagné par le DEFI ?
27 % du budget est alloué au rayonnement et à l’image de la France, comprenez à l’aide au développement des marques dites « créatives », qui sont identifiées par la FHCM : celles qui exposent sur Sphère et/ou qui défilent dans le calendrier de Paris Fashion Week. Il n’y a que la France, via le DEFI, qui soutienne les jeunes marques créatives. Le rayonnement de la France prend racine dans cette extrême créativité. J’ai connu Simon Porte de Jacquemus alors qu’il était vendeur chez Kris Van Assche, il avait dix modèles sur un portant. Nous l’avons accompagné.
Un créateur non validé par la FHCM ne reçoit pas de subventions pour son défilé ou sa présentation. Le fait que les plus grosses griffes mondiales disent « oui » ou « non » à l’entrée d’une jeune marque dans le calendrier a de la valeur. Elles ont l’œil aiguisé, sont extrêmement attentives. Pour Sphère, qui bénéficie d’un budget de 400 000 euros par quatre sessions physiques, ce ne sont pas les grandes maisons qui décident, mais un jury spécifique.
Le volet rayonnement de la France inclut d’autres postes ?
Nous sommes cofondateurs, avec le ministère de la Culture, du prix de l’Andam, pour lequel nous sommes le deuxième sponsor avec 95 000 euros. Nous finançons le centre de presse et les navettes entre les défilés pendant la fashion week parisienne, ainsi que la plateforme média de la FHCM (images de défilés, interviews) et les programmes de coaching des jeunes, comme « Talents » de la FFPAPF, dont l’action va être groupée féminin/masculin/lingerie à partir de septembre 2025. Nous comptons renforcer ce type de soutiens.
Nous finançons également l’Observatoire économique de l’IFM, leur programme « IFM Labels », qui accompagne cinq jeunes créateurs, ainsi que leurs défilés d’ouverture des fashion weeks Paris.
Quid du plan d’amplification digitale (PAD) ?
Il entre dans le cadre de l’axe Innovation et représente 11 % des dix millions alloués. Une grosse partie est concentrée sur le digital : optimisation des relations btob/btoc, de l’e-commerce et des réseaux sociaux ou abonnements à des ERP (Enterprise Resource Planning).
Hormis les griffes de luxe, les marques sont encore peu sensibles à l’innovation hors le digital centré sur la relation clients. Nous avons mené une étude prospective pour clarifier les tendances futures de la mode et inspirer nos futures actions.
Ainsi, nous avons réalisé une cartographie des solutions IA pour la mode qui va être présentée fin septembre. Nous avons identifié les domaines qui intéressent le secteur – la supply chain, le commercial, le marketing ou la communication –, 120 solutions ont été identifiées.
Que faites-vous pour favoriser une mode plus durable ?
Voici près de sept ans que nous avons engagé des actions en faveur de la mode durable, ce, bien avant les réglementations, car aucune marque ne se créait sans intégrer la dimension RSE. Le plan d’amplification sur la responsabilité sociétale des entreprises (PARSE) représente aujourd’hui 11 % de notre budget total. L’objectif étant la diminution de l’impact environnemental, nous pensons que cela passe par une meilleure connaissance de sa chaîne amont et par l’écoconception.
Notre premier guide fut « Comment faire un sourcing responsable ? ». Puis, nous avons édité un guide sur l’écoconception. Ils sont en accès libre sur notre site. Pendant la crise Covid, nous nous sommes demandés ce que nous pouvions faire pour les entreprises. Depuis, nous éditons une newsletter une fois par semaine, l’idée étant de donner des éléments stratégiques d’informations. Cette lettre e-Defi est un concentré d’informations, y compris sur les aides accordées. Elle est gratuite et accessible sur le blog de notre site internet.
En termes d’écoresponsabilité, la première règle est de diminuer le nombre de sous-traitants pour développer des relations de partenariat. Pour le PAD et le PARSE, un jury se réunit avec les fédérations et le DEFI pour examiner les demandes.
En résumé, quelles sont les conditions pour demander une aide et quand sont versés les fonds ?
Toute entreprise qui paie la taxe affectée peut demander une aide. Les fédérations sont dans l’obligation de présenter le projet d’une entreprise à jour de la taxe, même si elle n’est pas adhérente ou membre. Il n’y a pas de dossier type à rédiger, juste avoir une stratégie. La demande se fait en ligne (connexionsmode.com). L’approbation est donnée au préalable. Nous sommes toujours capables de faire des exceptions.
Puis, les justificatifs sont demandés : le billet d’avion, la facture du stand avec le nombre de mètres carrés, etc. L’argent est versé a posteriori. Le règlement se fait généralement au bout de trois mois. Le délai dépend des retardataires qui envoient leurs justificatifs tardivement et retardent tout le monde.
Au total, 400 marques sont aidées par an. Le DEFI est le cœur de l’écosystème. Nous sommes une petite équipe, mais toujours à l’écoute. Ce n’est pas juste un guichet de subventions.
*Le conseil d’administration est composé de : Lucien Deveaux (président), Yohann Petiot (président de la commission Croissance et Rayonnement), Lionel Guerin (président de la commission Innovation / Savoir-Faire / Mode Responsable), Pascal Morand (président de la Commission des Finances).